Hed Boina et Oluren Fekre vivent depuis plusieurs décennies en région parisienne. Le premier est comorien mais est en passe de demander sa naturalisation française, le second est comoro-français de naissance. Pour les deux hommes, la situation entre les Comores et Mayotte est un drame et l'annonce de Gérald Darmanin de supprimer le droit du sol et les titres de séjours territorialisés sur l'ile n'arrangeront pas la situation.
Supprimer le droit du sol : une fausse bonne idée ?
La suppresion du droit du sol ? "Ça ne changera rien du tout !" avoue Hed Boina, responsable associatif comorien implanté à Paris depuis une vingtaine d'années. "Il faudra d'abord que Darmanin nous montre la légalité de sa mise en place. Est-ce que demain on pourra décider qu’on impose ce droit du sol en région Aquitaine mais on ne l’imposera pas en Alsace ? Je ne pense pas."
"C'est comme si on était arrivé à une étape attendue dans notre histoire tragique" analyse Oluren Fekre. Ecrivain et artiste, l'homme de 48 ans a également occupé des postes dans des ONG et a beaucoup travaillé entre les Comores et Mayotte. "J’ai 48 ans et depuis mon enfance, j’ai toujours vu ce malheur. Cette difficulté : les plus pauvres des nôtres vouloir rejoindre l’autre rive en mettant en péril leur vie et en imaginant qu’ils vont peut-être faire naitre des Français. Des Français de seconde zone certes, mais des Français quand même pour ceux qui n’ont rien" raconte-t-il.
En plus des Comoriens, une nouvelle vague d'immigration touche l'ile de Mayotte. Le nombre de demandeurs d'asile originaires des pays des Grands Lacs en Afrique a augmenté d'un tiers en 2023 pour atteindre près de 1500 demandes à Mayotte.
Des populations instrumentalisées
Selon Hed Boina, pour comprendre et mettre un terme à cette crise migratoire, il faut d'abord en décrypter les fondements. "Cette décision est directement liée à la politique de la France en Union des Comores qui a conduit à l’intronisation d’un dictateur aux Comores. Cela conduit inéluctablement les personnes à aller chercher mieux ailleurs, donc ce sera Mayotte parce que c’est le territoire qui lui semble familier au comorien."
"Dans les faits, on a une classe politique mahoraise qui instrumentalise cette question, qui vit très bien, très au-dessus du mahorais moyen, raconte Oluren Fekre, fort de son expérience de franco-comorien, ayant évolué dans les deux territoires. Tout le monde fait semblant de ne pas regarder, mais entre les expats qui y vivent avec moult primes, les mahorais de cette classe politique très bien lotis, et le reste de la population les disparités de revenus sont énormes." Pour l'écrivain, c'est avant tout cette classe politique favorisée qui tente de déplacer un problème de gestion du territoire vers la question de l'immigration. "Et qui en pâtit ? interroge le franco-comorien. Ce sont les plus petits, des deux cotés. La haine, le face à face haineux, comme par hasard, c’est ceux du bas. Ceux qui gagnent presque rien à Mayotte et ceux qui sont dans la misère de l’autre coté"
"Construisons un pays"
"La meilleure façon de réguler un problème migratoire, c’est déjà de faire respecter les droits tout simplement humains, souligne Hed Boina. Si demain, on laisse aux Comoriens le droit de choisir son gouvernant, déjà on lui laissera cette chance de se plaindre de la personne qu’il a choisi. Aujourd’hui, on impose aux Comoriens celui qui doit le gouverner, et on leur dit qu'ils n'ont même pas le droit de partir." Azali Assoumani, actuel chef de l'Etat de l'Union des Comores est en effet arrivé au pouvoir en 1999 suite à un coup d'Etat, avant d'être réelu à plusieurs reprises.
Presque désabusé de la situation, Oluren Fekre estime que les Comores sont arrivées à un tournant de leur histoire "A Mayotte, ils ne veulent pas de nous. A ce niveau là de haine, concentrons notre énergie ailleurs !" lance l'artiste. "Construisons un pays, construisons un autre type de trajectoire migratoire.Il faut que les Comores regardent ça comme une opportunité. Que la France se débrouille avec ses belles promesses et ses fariboles !" termine Oluren Fekre.