Chaque année, des milliards d’animaux traversent la planète pour se nourrir et se reproduire. Les tortues de mer, les baleines, les requins, certains oiseaux, mais aussi des papillons ou les éléphants sont des espèces migratrices. Parce que ces espèces dépendent de plusieurs milieux, parfois distant de milliers de kilomètres, pour survivre, elles sont un bon indicateur de l’état de santé des écosystèmes à travers le monde.
Et le constat est alarmant : selon le dernier rapport de la Convention des Nations-Unies sur la Conservation des Espèces Migratrices, à l’échelle mondiale, les populations surveillées d’espèces migratrices ont diminué en moyenne de 15 % entre 1970 et 2017. Ce chiffre cache de très grandes disparités : 97 % des poissons migrateurs inscrits sur la liste de la Convention sur les espèces migratrices (CMS) sont menacés d’extinction.
Des menaces variées
Les menaces qui pèsent sur les espèces migratrices sont multiples. Le rapport liste la surexploitation (accidentelle ou via la pêche ou la chasse), la diminution de leur habitat (liée à l’urbanisation ou à l’agriculture), la présence d’obstacle physique sur leur chemin (des clôtures ou des gratte-ciel par exemple) et les pollutions.
La pollution peut être due aux pesticides, aux plastiques, à la lumière, mais aussi aux sons. Olivier Adam est bioacousticien. Il travaille notamment sur les baleines. "Quand un bateau passe à proximité, cela vient masquer les échanges que les cétacés peuvent avoir entre eux, explique-t-il. Le bruit génère du stress pour tous les mammifères et même chez les oiseaux. Le bruit gêne dans les activités vitales : pour communiquer, on peut communiquer moins loin, et si les espèces utilisent des sons pour chasser, elles vont chasser moins loin."
Les dommages peuvent être bien plus directs : les sons les plus intenses, ceux qu’émettent les sonars militaires par exemple, peuvent faire exploser les vessies natatoires des poissons, une sorte de petit sac rempli de gaz qui se trouve sous la colonne vertébrale des poissons osseux et qui leur permet de flotter.
Des oiseaux désorientés par la lumière
La pollution lumineuse, parce qu’elle attire les oiseaux dans des écosystèmes peu accueillants, est particulièrement dangereuse, d’autant que les deux tiers des oiseaux migrateurs se déplacent de nuit. Jérémy Dupuy est ornithologue. Co-auteur de l’Atlas des oiseaux migrateurs de France, il travaille pour la Ligue pour la Protection des Oiseaux.
"À La Réunion, il y a des espèces d’oiseaux marins qui se reproduisent à l’intérieur de l’île, notamment dans les zones de falaise. Ces jeunes, lorsqu’ils vont rejoindre le littoral pour la première fois, vont survoler des espaces urbanisés. La lumière qui en sort va les attirer et on va retrouver des oiseaux qui s’échouent dans les jardins, sur les toits des maisons, dans les rues… Beaucoup, notamment les jeunes oiseaux inexpérimentés, vont en mourir", regrette l'ornithologue, qui salue le travail des associations réunionnaises qui sauvent ces oisillons en les transportant dans des centres de soin.
La problématique est loin de ne concerner que La Réunion. Chaque année, des centaines d’oiseaux migrateurs, appâtés par les lumières, s’écrasent sur les vitres des gratte-ciel nord-américains.
Autre danger pour les oiseaux : la pêche. Attirés par les restes des grands chalutiers, les oiseaux migrateurs plongent pour récupérer leurs proies et se coincent dans les filets. "Beaucoup vont mourir noyés ou décapités, et c’est valable aussi pour les cétacés", pointe Jérémy Dupuy.
Plus largement, avec le changement climatique, le printemps arrive plus vite dans l’hémisphère nord. Les arbres bourgeonnent et les insectes pullulent alors que les oiseaux migrateurs sont encore à des milliers de kilomètres. Le temps qu’ils fassent le voyage, "le boom" de nourriture est déjà passé. Les migrateurs s’adaptent et reviennent déjà de plus en plus tôt dans l’hémisphère nord, mais le décalage reste important.
Le changement climatique aggrave les menaces
Les migrateurs sont confrontés à plusieurs types de dangers au cours de leurs périples. C'est par exemple le cas du bécasseau maubèche, un petit oiseau qui vit aux Antilles et sur les côtes sud-américaines et qui migre vers l’arctique canadien pour se reproduire. Chassé aux Antilles, il peine de plus en plus à trouver de zones humides en Amérique du Sud, où il se repose normalement, car elles sont grignotées par l’urbanisation et les terres agricoles. Avant de repartir vers le nord, il doit consommer des limules pour faire le plein de calories et affronter la traversée, or le crustacé est menacé. Avec le réchauffement, la fonte des neiges est de plus en plus précoce, et lorsque le bécasseau maubèche arrive dans la toundra canadienne, la n eige a disparu depuis plusieurs semaines déjà. Parce que les insectes sont déjà sortis, sa nourriture est moins abondante.
Dans son rapport, la Convention des Nations-Unies sur la Conservation des Espèces Migratrices, alerte sur le rôle du changement climatique dans la survie des espèces migratrices. Les auteurs considèrent que ses impacts "devraient augmenter considérablement au cours des prochaines décennies". À la fois comme cause directe, mais aussi comme amplificateur des autres menaces.