La délégation française n'attend qu'une chose : l'inscription, dès ce mois-ci, de la Montagne Pelée et des pitons du nord de la Martinique sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco. Dans quelques jours, le Comité du patrimoine mondial, réuni à Riyad, la capitale de l'Arabie Saoudite, du 10 au 25 septembre, doit statuer sur le sort du site martiniquais.
Pourtant, rien n'est encore gagné. Alors que les experts mandatés par l'organisation internationale pour évaluer scientifiquement la candidature ont émis un avis mitigé et recommandé de différer l'inscription des massifs martiniquais sur la liste du patrimoine mondial, les porteurs du dossier sont prêts à défendre ce joyau naturel, antre d'une biodiversité extraordinaire et témoin de l'histoire géologique de la Caraïbe.
Avant de s'envoler pour le royaume saoudien pour y défendre les dossiers français, dont celui de la Montagne Pelée, l'ambassadeur de France à l'Unesco, Philippe Franc, a accordé une interview exclusive à Outre-mer la 1ère. Après les TAAF (en 2021), la Martinique (potentiellement cette année) et les îles Marquises (l'année prochaine), le diplomate assure que d'autres sites d'Outre-mer devraient prochainement intégrer la liste indicative de la France, l'étape précédant une candidature au patrimoine mondial.
Outre-mer la 1ère : Le Comité du patrimoine mondial doit bientôt examiner la candidature de la Martinique. Êtes-vous confiant quant à l'inscription de la Montagne Pelée et des pitons du nord de l'île au patrimoine mondial dès ce mois-ci ?
Philippe Franc : C'est en tout cas ce à quoi nous travaillons ! Il y a juste un petit bémol : l'avis de l'UICN [Union internationale pour la conservation de la nature, organisme chargé d'évaluer scientifiquement la candidature, NDLR] est de différer l'inscription de la Montagne Pelée sur la liste du patrimoine mondial. Depuis déjà quelques mois, nous travaillons à surmonter cette recommandation et à faire inscrire le bien au patrimoine mondial dès la réunion de Riyad.
Ensuite, il y aura le vote des pays membres du Comité du patrimoine mondial. Les 21 états peuvent, pour des raisons diplomatiques ou politiques, décider qu'ils vont aller au-delà des recommandations des experts.
Avez-vous compris l'avis mitigé des experts de l'UICN sur le dossier martiniquais ?
Il ne faut jamais ni ignorer les recommandations des experts, ni les dénoncer. Quand on va argumenter à Riyad, ce sera devant les experts de l'UICN, qui vont, eux aussi, intervenir quand les ambassadeurs vont commenter le dossier. Il y a certaines recommandations qui sont pertinentes, mais qui ne nous paraissent pas suffisantes pour empêcher l'inscription.
Sur l'ensemble, le président [de la Collectivité territoriale de Martinique] Serge Letchimy et moi, les experts de l'équipe du dossier martiniquais et celles des différents ministères à Paris, on a trouvé que l'avis était très sévère.
L'UICN reconnaît la Valeur Universelle Exceptionnelle du bien. Elle a appelé de ses vœux la candidature martiniquaise. Tout ça pour finalement avoir un avis un petit peu mitigé sur l'ensemble du dossier. Ça ne nous paraît pas très cohérent. C'est ce qu'on va essayer de démontrer à la réunion de Riyad.
Philippe Franc, ambassadeur de France à l'Unesco
C'est la première fois que le Comité du patrimoine mondial se réunit depuis l'invasion en Ukraine, l'année dernière. La Russie est un des états-membres de ce Comité. Craignez-vous que les tensions internationales n'entravent les discussions à Riyad ?
Le travail diplomatique a commencé il y a quelque temps. C'est un travail de sensibilisation de mes collègues qui siègent au Comité du patrimoine mondial. Aujourd'hui, il y a des situations politiques qui posent problèmes. On n'a pas demandé aux Russes leur soutien [sur les dossiers français], par exemple. Les relations entre la France et le Mali, qui siège aussi au Comité du patrimoine mondial, sont un peu compliquées [depuis le coup d'État de 2020, NDLR].
Mais il y a un autre niveau d'action qui peut faciliter les choses : ce sont les relations entre ambassadeurs, qui sont quelques fois plus fluides que les relations diplomatiques entre les pays, puisque nous nous voyons tous les jours. Il y a des liens qui se créent. Dans le cadre de l'Unesco, c'est souvent du donnant/donnant, on est en négociations permanentes. Par exemple, un pays qui siège au Comité du patrimoine mondial et qui serait candidat à un siège dans une commission de l'Unesco va nous demander si on peut soutenir sa candidature et, à ce moment-là, nous, en contrepartie, on va lui demander de soutenir le dossier de la Martinique, par exemple. Il y a des liens, pas toujours visibles, qui facilitent les négociations pour le patrimoine mondial.
J'en ai parlé à tous mes collègues qui siègent au patrimoine mondial. On a eu de longues conversations. Le conseil exécutif de la Martinique a organisé un certain nombre d'évènements, a aussi sollicité par écrit un certain nombre de pays. Le ministère de la Transition écologique aussi, les Outre-mer... Tout le monde est intervenu pour avancer nos arguments et convaincre tout le monde.
Qu'est-ce qui pourrait bloquer l'inscription de la Martinique ?
Il faut être confiant. Est-ce que le comité sera convaincu au point d'outrepasser les recommandations de l'UICN ? Ça, on ne sait pas. On pense que oui, mais on ne peut pas le garantir. Il faut rester prudent. On est quand même confiant. Des retours que j'ai de mes collègues, de manière informelle, c'est plutôt positif.
Je pense qu'on a une majorité au sein du Comité. Mais je ne veux pas donner l'impression que c'est gagner, il faut encore travailler. C'est ce qu'on fait en ce moment, et ce qu'on fera sur place dès que je serai à Riyad.
Philippe Franc, ambassadeur de France à l'Unesco
Avant la Martinique, ce sont les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) qui ont intégré la Liste du patrimoine mondial, en 2021. L'année prochaine, ce sera aux îles Marquises, en Polynésie, de défendre leur candidature... Y a-t-il une volonté particulière de la France de promouvoir les sites naturels en Outre-mer ?
Oui, absolument, c'est une des priorités. La France considère qu'il y a des régions dans le monde qui n'ont pas eu encore tout à fait leur place au sein du patrimoine mondial, comme le Pacifique ou les Caraïbes. Si vous regardez la liste des biens inscrits, vous verrez qu'il y a certaines régions du monde qui sont encore trop absentes.
Les biens français d'Outre-mer, qui sont des pépites, sont des priorités pour le gouvernement français. [L'autre priorité, c'est] l'aide apportée à certaines régions. Je pense notamment à ce qu'on appelle les petits états insulaires, qui ont créé un groupe dans les enceintes multilatérales, et qui nous sollicitent beaucoup parce qu'ils aimeraient avoir le soutien de la France pour présenter des biens régionaux. Pour la France, c'est un honneur de pouvoir soutenir des candidatures qui ne sont pas françaises, mais qui concernent des régions un petit peu oubliées ou délaissées.
Où en est la candidature de la Polynésie aujourd'hui ? Est-elle prête pour être étudiée l'année prochaine ?
La candidature [des îles Marquises] est sur la liste indicative de la France. Ensuite, il y a une mission d'évaluation qui va être effectuée dans pas longtemps. Il y aura une recommandation : soit d'inscription, soit de différer, comme pour la Martinique [l'UICN peut aussi recommander de renvoyer la candidature, voire de ne pas inscrire le bien, NDLR]. À ce moment-là, on rentrera dans le processus du Comité du patrimoine mondial.
Y aura-t-il d'autres biens Outre-mer dans la liste indicative de la France dans les prochains mois ou prochaines années ?
Oui, tout fait. [L'ambassadeur n'a pas souhaité préciser quels sites sont concernés.]