C'est tout à la fois un hommage hautement symbolique, un combat et un rêve d'enfant qui se réalise. L'hommage, c'est celui rendu à la chanteuse lyrique guadeloupéenne Axelle Saint-Cirel qui a chanté la Marseillaise sur le toit du Grand Palais lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques en juillet 2024.
La mezzo-soprano a "vraiment fait vibrer" Guylaine Conquet qui regardait l'événement à la télévision depuis chez elle à Atlanta, aux États-Unis.
"J'étais tellement fière, souffle l'artiste. Elle est Guadeloupéenne comme moi, elle avait un afro, ce qui correspond à la thématique que j'aborde dans ma peinture et elle est Française quoi ! Je me suis dit 'Waouh, tout ça fait partie de mon identité'."
C'est donc naturellement qu'elle a voulu lui rendre hommage en peignant cette performance historique juchée sur le Grand Palais, intitulée Axelle. Comme une mise en abyme, le tableau se retrouve aujourd'hui sous la verrière de ce monument à l'occasion d'Art Capital, un événement qui regroupe du 19 au 22 février 2025 quatre salons artistiques et quelque 2.000 peintres, sculpteurs, photographes, plasticiens...
Une "artiviste" qui veut bouger la loi
Chacun expose une œuvre ou une poignée d'œuvres. Guylaine Conquet a choisi d'en présenter trois, dont Axelle, qui font écho à son combat : assumer ses cheveux naturels et lutter contre la discrimination capillaire.
Celle qui se décrit comme une artiviste – contraction d'artiste et activiste – avait été choquée par l'histoire d'Aboubakar Traoré, ce steward d'Air France écarté par la compagnie pour avoir porté ses tresses africaines pendant son service au lieu d'une perruque.
Elle avait alors contacté le député guadeloupéen Olivier Serva pour initier une proposition de loi contre la discrimination capillaire. Celle-ci a été adoptée par l'Assemblée nationale en mars 2024. Le texte n'a cependant pas encore été voté au Sénat à cause de l'instabilité politique que traverse la France depuis la dissolution de l'Assemblée nationale l'été dernier. "J'ai eu récemment M. Serva, il est en train de travailler, on essaie de trouver le sénateur qui va porter ce projet de loi", assure Guylaine Conquet.
Une alopécie à cause des produits défrisants
"Je suis aussi activiste dans le sens où je me bats pour que les gens s'assument, poursuit-elle. C'est une histoire de 'self esteem' [d'estime de soi], que les gens reprennent confiance en eux et s'assument tels qu'ils sont."
Car elle-même a mis du temps à s'accepter. "J'ai fait des lissages, des défrisages, tout sauf mes cheveux naturels", reconnaît-elle. À force d'utiliser des produits défrisants, elle développe une alopécie en 2015 : "Je me souviens précisément parce que j'avais une émission en prime time [sur Guadeloupe la 1ère] où il fallait toujours être bien mise, et c'est vrai que pour moi, mon image était hyper importante. Et quand j'ai été touchée par cette alopécie, ç'a été un trauma."
Elle finit par porter ses cheveux au naturel à l'antenne, avant de changer de vie et de partir aux États-Unis où elle commence à se former à la peinture. Elle décide alors de peindre autour de ce trauma capillaire et se documente. "Et je me suis rendue compte que j'avais personnellement un problème."
"On dirait de la laine de mouton"
"Mon histoire a vraiment démarré quand j'étais petite fille, raconte Guylaine qui a grandi à Lyon. J'étais la seule petite fille noire avec les cheveux crépus. Je voulais ressembler à mes autres camarades, Je voulais avoir les cheveux longs, lisses et qui volent au vent. J'ai haï mes cheveux parce que pour moi je n'étais pas comme les autres."
Une souffrance intérieure à laquelle s'ajoutent des maladresses humiliantes : "Mes petits camarades avaient tendance à toucher mes cheveux." Elle entendait aussi des remarques comme "Oh c'est marrant, on dirait de la laine de mouton". "Donc en grandissant, j'ai fait comme tout le monde, j'ai tenu à me lisser les cheveux pour ressembler à tout le monde, un standard qui n'était pas le mien", analyse-t-elle.
Plus qu'un traumatisme personnel, elle réalise que c'est "un problème universel qui concerne toutes les petites filles" et "qui pousse la plupart des femmes noires à avoir les cheveux lisses". Un problème lié à l'histoire des Africains déportés et réduits en esclavage dont l'identité "était complètement effacée", retrace celle qui a étudié l'histoire américaine.
J'ai choisi à travers chaque toile de raconter une histoire, l'histoire de nos cheveux car c'est une histoire qui est ancrée.
Guylaine Conquet
"J'exposerai au Louvre"
Si Guylaine Conquet a choisi la peinture pour parler de la réflexion autour des cheveux, c'est aussi parce qu'elle ne trouvait pas de modèle à qui s'identifier dans l'art. "Je me souviens d'avoir été toute petite au Louvre et je me suis dit que là encore, il n'y avait pas de femme noire, il n'y a pas de gens comme moi", déplore-t-elle. Après s'être interdit longtemps de pratiquer la peinture, elle a finalement osé essayer et se dire :'Je vais faire mon tableau et j'exposerai au Louvre un jour'."
"On n'est pas loin du Louvre“, s'exclame-t-elle aujourd'hui. L'artiste qui a déjà exposé ses toiles à Chicago, New York ou Miami, regrettait de n'avoir "jamais vraiment exposé en France", mis à part une fois à l'Assemblée nationale. "Donc pour moi, c'est une grande fierté d'être là. Vraiment."
Une parenthèse française avant de repartir aux États-Unis où elle donne des conférences sur la discrimination capillaire dans des universités ainsi que des ateliers de peinture à des lycéens.
"Je dis à mes étudiants américains : 'Imaginez que je vous emmène en Jamaïque et vous êtes tous embauchés pour un stage d'un mois. Par contre, il va falloir que vous fassiez des dreadlocks, des tresses, un afro peu importe, mais vous n'êtes pas conforme aux normes de la culture jamaïcaine', raconte-t-elle. Ils me regardent tous avec un regard ahuri. Je leur fais : 'C'est ce qu'on nous demande de faire depuis 400 ans'."