Jacob Desvarieux raconté par lui-même

Guitariste, chanteur et compositeur, monstre sacré du zouk, Jacob Desvarieux s'est éteint à 65 ans. De son enfance passée entre l'Hexagone, le Sénégal et les Antilles aux succès du groupe Kassav’, le musicien s’est confié au micro de Cécile Baquey en avril dernier.

Jacob Desvarieux s'est éteint à 65 ans au CHU de Guadeloupe. En avril dernier, il se racontait au micro de Cécile Baquey dans #MaParole.

A l’âge de dix ans, sa mère Cécile Desvarieux lui a offert une guitare. Il aurait préféré un vélo. Mais c’est peut-être grâce à cette frustration que le zouk est né. Jacob Desvarieux est l'un des fondateurs du groupe antillais le plus connu au monde, Kassav'. Il a mis au point un style musical nouveau : le zouk.

#1 Apprentissage de la guitare au Sénégal

►Jacob Desvarieux 1/3

Né en 1955 à Paris, Jacob Desvarieux est parti quelques mois après sa naissance pour la Guadeloupe. Puis direction la Martinique où lui et sa mère ont été chassés par le cyclone Dorothy. La maison avait été complétement détruite. Cécile Desvarieux a donc été envoyée par le Bumidom dans une famille du Vésinet pour effectuer toutes les tâches ménagères. Jacob Desvarieux a alors été mis dans un pensionnat. Dans #MaParole, il se souvenait qu’à cette époque, lui et sa mère regardaient souvent une revue dénommée Bingo, "le mensuel d’actualité au rythme du monde noir". Cécile Desvarieux avait envie de découvrir l’Afrique et elle a donc décidé de s'envoler avec son fils pour le Sénégal et d'y vivre pendant deux ans.

C’est au Sénégal que Jacob Desvarieux a appris à jouer de la guitare avec ses voisins. L’un d’entre eux sera plus tard le bassiste de Youssou N'Dour. Après le Sénégal, Jacob et sa mère sont revenus en France. A Marseille, adolescent, il a commencé à jouer du rock dans un groupe dénommé les Bad grass. Et puis petit à petit, il a lâché le lycée pour devenir arrangeur et il est monté à Paris. Ce n’était pas encore le succès, mais Jacob Desvarieux avait trouvé sa voie.

#2 L’épopée Kassav’

►Jacob Desvarieux 2/3

A Paris, en 1979, Jacob Desvarieux a fait la connaissance de Pierre-Edouard Décimus. Ce musicien guadeloupéen avait monté Les Vikings, un groupe qui lui a valu des moqueries de la part de touristes. Il se disait que le nom de son groupe n’était "pas terrible" et songeait à créer une formation dénommée Kassav’. Il voulait constituer un groupe qui revienne aux sources de la musique antillaise et soit mondialement connu. Pierre-Edouard Décimus a embarqué Jacob Desvarieux dans l’aventure. Ils ont enregistré un premier album Love and Ka dance puis sont partis à la recherche d’autres musiciens sur la même longueur d’onde.

Le groupe s’est constitué petit à petit. Au début avec les frères Décimus, Pierre-Edouard et Georges, puis avec des Martiniquais comme Jean-Philippe Marthély, Jocelyne Béroard, et Jean-Claude Naimro et des Guadeloupéens comme Patrick Saint-Eloi et Claude Vamur. En 1984, Jacob Desvarieux a composé en Haïti un véritable tube Zouk la sé sèl médikaman nou ni qui a donné son nom à la musique de Kassav’ : le zouk. Georges Décimus avait écrit les paroles. Aimé Césaire a même repris cette phrase Zouk la sé sèl médikaman nou ni dans l’un de ses discours.  

Un an après, en 1985, Kassav’ a fait son premier Zénith à Paris sans aucune promotion. La salle a été remplie : 80 000 personnes en liesse. Le groupe s’est ensuite lancé dans une tournée en Afrique avec son lot de galères, "pas plus qu’ailleurs" insistait en avril dernier Jacob Desvarieux. Un producteur avait oublié par exemple de payer l’hôtel. A Luanda en Angola, en pleine guerre civile, Kassav’ a chanté devant 90 000 personnes. 

En 1986, Kassav a rassemblé 250 000 personnes à Vincennes lors du premier carnaval tropical de Paris. Un triomphe. Et puis le groupe a commencé à faire des concerts dans le monde entier. Notamment en 1989, c’est le premier groupe noir à se produire en URSS à Leningrad, l’ex-Saint-Pétersbourg. La même année en 1989, Kassav’ a joué devant 500 détenus à la prison de Fleury-Merogis. Rien ne pouvait arrêter le zouk. 

#3 Un cardinal africain

►Jacob Desvarieux 3/3

Kassav’ a enchaîné les tubes dont le fameux Syé Bwa. Le groupe a tourné le clip à Kinshasa de manière totalement improvisée. Au fur et à mesure des albums, la voix si particulière de Jacob Desvarieux s'est imposée. Ce n’était pas du tout son objectif au départ, mais son timbre grave et singulier a séduit. Le groupe Kassav’ a eu des coups durs comme le départ de Patrick Saint-Eloi en 2002 ou encore le divorce avec Sony, mais à aucun moment selon Jacob Desvarieux le groupe a tangué. A tel point qu’il n’a jamais songé à larguer les amarres et mener une carrière en solo.

Au fur et à mesure de sa carrière, Jacob Desvarieux a eu de plus en plus de propositions dans le cinéma. Il n’a jamais couru après, mais il se voyait mal tout refuser. Lui qui a toujours dénoncé le manque d’acteurs noirs dans le cinéma français. Grâce à une agent rencontrée à Dakar lors d’un défilé de mode, il s’est retrouvé embarqué dans le tournage des deux premiers épisodes de la série américaine The young pope avec Jude Law. Il a ainsi joué le rôle d’un cardinal africain et n'a pas manqué un seul épisode de cette série qui l'a captivé.

En 2009, Jacob Desvarieux a eu de gros soucis de santé. Dialysé pendant un an, il a souffert le martyre, mais a choisi de continuer à jouer sur scène et à surtout ne pas renoncer à faire de la musique. Il a pu être finalement greffé d’un rein et se disait en avril dernier rajeuni de dix ans.

Mi-juillet 2021, Jacob Desvarieux a été plongé en coma artificiel après avoir contracté le Covid-19. Il est décédé le 30 juillet 2021, à 65 ans.

Prise de son : Bruno Dessommes.

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♦♦ Jacob Desvarieux en 6 dates ♦♦♦

►21 novembre 1955

Naissance à Paris

►1976

Le titre Bilboa du groupe Sweet Bananas

►1979

Création de Kassav’ avec Pierre-Edouard Décimus 

►1984

Zouk la sé sel médikaman nou ni, le tube de Kassav’ sort dans l’album Yélélé

►11 mai 2009

Concert des 40 ans de Kassav’ au Paris La Défense Arena

►30 juillet 2021, décès à Pointe-à-Pitre

Les coulisses de l'interview

Au lendemain du décès de Jacob Desvarieux, Cécile Baquey, auteure de #maparole, a publié sur sa page Facebook un message dans lequel elle raconte les coulisses de cet entretien. En voici un extrait :"C’était tellement agréable cette interview. J’avais l’impression de discuter avec un bon copain. Et pourtant, quel parcours, quelle vie, quelle œuvre ! A la fin de l’interview, il était content. Il m’a dit qu’il y avait des questions qu’on ne lui avait jamais posées. Ça m’a très fait plaisir. On s’est quitté. C’était harmonieux." L'intégralité ci-dessous :