Outre-mer la 1ère : La presse a largement couvert la sortie de Tout simplement noir. Lundi 6 juillet par exemple, vous étiez en couverture de Libération. Vous vous attendiez à faire ainsi la une des journaux ?
Jean-Pascal Zadi : En fait, c’est avant tout la promotion d’un film dans lequel j’ai joué. C’est pas moi qui suis mis en avant, c’est le film. Finalement, j’ai l’impression que les gens, mes proches, sont plus contents que moi… Ma mère par exemple, elle m’a dit “je t’ai vu sur le bus”, oui bon, c’est un film… Oui, ça va, c’est un peu flatteur mais je ne suis pas dupe.
Ce qui est sûr, c’est que je suis content d’avoir fait le film, content d’avoir été honnête à 100 % avec moi-même, d’avoir fait les affiches qu’on a faites. On aimerait bien que ça marche mais on a déjà un peu gagné. Les chiffres seront les chiffres et on est aussi conscient que la période est un peu extraordinaire, que ça peut marcher, pas marcher, on verra bien. Mais moi ça va, cool.
Outre-mer la 1ère : D’où vous est venue l’idée de Tout simplement noir? Rappelons le pitch : un acteur noir raté décide d’organiser la première grande marche de protestation noire en France. Une marche réservée aux hommes noirs.
Jean-Pascal Zadi : C’est tiré de la marche de Washington en 1995 (la Million Man March, ndlr). Il y avait un mec qui avait organisé cette grosse marche uniquement réservée aux hommes noirs, et je trouvais ça marrant de faire une marche contre l’exclusion dans laquelle on excluait plein de gens ! Ça me faisait un bon pitch de départ. En tout cas, moi, ça me faisait rire. C’est parti de là.
Outre-mer la 1ère : Votre film dispose d’un casting cinq étoiles. Avec beaucoup de comédiens ou comédiennes originaires des Outre-mer. Il y a notamment cette scène hilarante entre Fabrice et Eboué et Lucien Jean-Baptiste. Vous lui auriez dit que vous saviez qu’il y avait une colère en lui…
Jean-Pascal Zadi : Quand on voit Lucien Jean-Baptiste comme ça, même s’il a l’image TF1, on se dit tout de suite que le gars est fou, que le gars a un problème dans sa tête! (rires) Moi, j'avais vraiment envie de voir s’affronter deux grosses personnalités. Je savais que Fabrice Eboué allait représenter le côté Afrique - c’est un très bon ami et d’ailleurs on a travaillé ensemble, au début, sur le scénario du film -.
Quant à Lucien Jean-Baptiste, franchement, c’était une évidence. C’était important d’avoir deux grosses personnalités qui se querellent un peu dans ce restaurant. Oui, la scène est drôle parce que ça tourne un peu autour de l’absurde et du ridicule d’une famille qui se déchire, alors qu’en fait, c’est la même famille.
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► Altercation hilarante entre Lucien Jean-Baptiste et Fabrice Eboué
"Tu fais des films de vendu, des films de bounty!"
Cette réplique de Fabrice Eboué va faire enrager le réalisateur martiniquais Lucien Jean-Baptiste:
"C'est moi que tu traites de bounty? C'est toi le bounty! Sé mwen ou ka kriyé bounty? Ou pa mem sav ki koté ou yé! Ni blanc ni noir! C'est ça votre problème à vous les métisses."
La scène dure plus de cinq minutes et enchaîne les répliques, plus drôles les unes que les autres. Entre un Fabrice Eboué, vexé par les critiques d'un Lucien Jean-Baptiste sur Case Départ - "ça met pas les Noirs en valeur, c'est tout, j'ai rien dit d'autre"- qui décrédibilise le film Première étoile - "Des Noirs qui tombent le cul dans la neige. Après Spike Lee, Lucien Jean-Baptiste, défenseur de la cause des Noirs !"- et un Lucien Jean-Baptiste blessé au plus profond de son être -"Moi je sais d'où je viens, je viens de La Martinique"-, cette scène d'enguelade au restaurant dépote. Le réalisateur martiniquais raconte :
Jean-Pascal Zadi est un garçon très intelligent qui a eu la bonne idée de m'appeler. Ce qui est formidable, c'est qu'il m'a dit : "je sais qu'il y a une colère en toi". Et bien, je la lui ai montrée.
Lucien Jean-Baptiste ne tarit pas d'éloges sur le réalisateur de Tout simplement noir. "Il faut qu'on continue à travailler et qu'on passe des messages sans violence et ce que fait Jean-Pascal avec son film, c'est remarquable. Il déconstruit les clichés, les stéréotypes avec humour. Ce film, c'est un pied de nez à toutes les formes d'injustice, c'est un cri de ralliement à la devise de la République Liberté, Egalité, Fraternité."
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Outre-mer la 1ère : Dans la vie, rassurez-moi, vous êtes un peu différent du Jean-Pascal Zadi qu’on voit à l’écran, cet acteur raté, jaloux de Omar Sy et qui parvient à faire sortir la journaliste Kareen Guiock de ses gonds?
Jean-Pascal Zadi : Dans la vie, je suis très gentil, j’ai des points communs avec le personnage principal : le fait que ce soit une espèce d’acteur raté qui n’a pas de carrière, ça c’est totalement moi (rires). Après, le gars qui a des petites revendications, c’est un peu moi aussi : j’ai des revendications mais pas trop non plus, donc ça ne me dérange pas trop dans la vie de tous les jours. Et ouais, le fait d’avoir un enfant métisse, c’est moi aussi. Mais après, on a tout extrapolé pour avoir de la comédie. Le côté gaffeur, le fait qu'il raconte des soi-disant vérités aux gens et que ça les fait sortir de leurs gonds, ça, c’est des trucs qu’on a extrapolé, mais la base du personnage c’est moi quand même.
Le personnage était intéressant à jouer parce qu’en fait, il est candide et en même temps hautain. Sous prétexte qu’il défend une cause qui est noble, le gars se permet de dire des choses incroyables aux gens et ça, ça nous faisait rire. Ce n’est pas parce qu’on défend une cause noble qu’on a le droit de faire chier les gens quoi, et ça, on trouvait ça drôle en fait : le gars qui est très hautain et en même temps candide et dit des trucs sans s’en rendre compte. On aimait bien cette dualité là.
Outre-mer la 1ère : Votre casting est presque exclusivement noir, mais vous vous défendez d’avoir fait un film communautaire. Vous pouvez m’expliquer pourquoi?
Jean-Pascal Zadi : Il y a beaucoup d’acteurs noirs dans le film mais ça reste un film français. A longueur de journée, on voit des films avec des blancs et on dit pas que ce sont des films communautaires. Alors, il faut que ce soit réciproque.
Si mon film est communautaire, il faut dire la même chose avec Guillaume Canet et Les petits mouchoirs.
La “communauté noire”, ça veut presque tout et rien dire. On ne dit pas la communauté blanche. Du coup, comme il n’y a pas de communauté blanche, il n’y a pas de communauté noire, mais il y a la communauté des syndicalistes par exemple (et en plus à l’intérieur c’est encore plus compliqué que ça)...
En tout cas, nous on sait très bien que la communauté noire, elle a été créée de toutes pièces parce qu’on a été perçu à un moment donné comme des Noirs par d’autres gens. Mais entre nous-mêmes, moi, Fabrice ou Lucien par exemple, quand on se regarde, alors évidemment, on rigole, on s’aime bien, mais de notre vie, il n’y a rien, presque rien en commun. A part la couleur de notre peau, il n’y a rien en commun.
Outre-mer la 1ère : D'ailleurs, vous êtes deux à la réalisation, John Wax (plus discret dans les médias ndlr) et vous-même. Un Blanc et un Noir. Cela change-t-il la donne ?
Jean-Pascal Zadi : John Wax, c’est mon double en blanc, c’est moi, mais en blanc. On est de la même génération, on a grandi dans le rap, on a grandi dans un milieu populaire, on rigole des mêmes blagues… On s’est rencontrés grâce à Fabrice Eboué. Ça fait dix ans qu’on traine notre bosse ensemble, qu’on galère ensemble. Quand vous me parlez à moi, vous parlez aussi à John Wax (rires). Cette collaboration, ça montre aussi qu’on n’a pas voulu faire un film qui s’adresse uniquement aux Noirs, on a fait un film qui s’adresse à tout le monde. Cela prouve bien que c’est un sujet français, c’est un sujet pour tout le monde en fait.
Outre-mer la 1ère : A cause du confinement, la sortie de votre film a été repoussée et le voilà terriblement d’actualité. Tout simplement noir entre en résonance avec les mouvements anti-racistes actuels. Qu’en pensez-vous?
Jean-Pascal Zadi : Ce n'est pas le film qui est d’actualité. C’est la situation de l’homme noir dans la société occidentale qui est à régler. J’ai l’impression qu’on l’aurait sorti n’importe quand, il y aurait eu une actu. Quand ce n’est pas une bavure, une violence policière, c’est la présence des noirs dans le cinéma français, quand ce n’est pas ça, c’est un ministre qui dérape sur l’Afrique… En fait, il y a toujours quelque chose…
Là, on est tombés tragiquement sur la mort de George Floyd, il y a eu un retentissement mondial, mais j’ai l’impression qu’il y a toujours quelque chose.
Et puis, ce n’est pas parce qu’on n’en parlait pas avant que ça n’existait pas. Il y a toujours quelque chose.
Outre-mer la 1ère : Que pensez-vous de la place des Noirs dans le cinéma français. Vous inscrivez-vous dans le mouvement initié par Aïssa Maïga, lors de son discours au César?
Jean-Pascal Zadi : Oui bien sûr, je m’inscris dans ce mouvement, mais je pense que ce n’est pas la situation des Noirs dans le cinéma qu’il faut “réactualiser”, c’est la position des Noirs dans la société. Le cinéma, c’est accessoire en fait.
Le plus important c’est qu’on se rende compte que quand on est noir, on n’a pas les mêmes opportunités que les autres : il est là le vrai problème.
Alors, effectivement, c’est visible dans le cinéma, c’est également visible dans la radio, dans l’entreprise… Il y a un domaine où on est bien présents par contre, c’est le rap et le foot, là, en tout cas, on est là, on peut compter sur nous ! (rires)
On aimerait bien avoir les mêmes opportunités que tout le monde. Moi j’aimerais bien que mes enfants grandissent dans une France, dans un monde où le fait d’avoir la couleur de peau foncée ne te prédispose pas, que tu ne sois pas prédestiné à aller directement dans une case parce que tu as cette couleur de peau là.
Alors oui je suis d’accord avec le discours d’Aïssa Maïga, mais j’élargirai un peu plus le truc, parce que le cinéma c’est accessoire, c’est du divertissement. Evidemment, c’est important pour l’imaginaire, pour qu’on puisse rêver, tout ça, mais on aimerait bien que ce soit pareil dans les entreprises, les grosses sociétés, dans les rédactions de journalistes, dans les productions, au CNC, partout en fait… On aimerait bien que ce soit un peu plus ouvert. On ne demande pas plus. On veut juste les mêmes chances, les mêmes possibilités que tout le monde.
♦ Tout simplement noir, réalisé par Jean-Pascal Zadi et John Wax, sortie le 8 juillet