Kassav' : il y a 40 ans naissait le zouk

Le 11 mai, Kassav' va fêter ses 40 ans à Paris La Défense Arena. Les 40 000 spectateurs attendus dans la plus grande salle d'Europe vont vibrer au son du zouk. Une musique que ses créateurs ont imaginé dès 1979. La1ère vous propose de remonter le temps à la source d'un phénomène parti des Antilles françaises pour faire danser le monde.

Kassav' : le laboratoire musical 

En 1979, Love and Ka Dance parait chez les disquaires. Le premier album de Kassav' comporte quatre titres. Le vinyle est le fruit de plusieurs mois de travail... et d'une frustration. Celle de Pierre-Edouard Décimus.

Kassav' : un concept avant le groupe

A la fin des années 70, l'auteur-compositeur guadeloupéen est l'un des membres des Vikings de la Guadeloupe. Le groupe mythique a marqué une génération de musiciens nés après guerre.
"Mon père est un combattant de la seconde guerre mondiale. Il n’avait aucune envie de contester l’appartenance à la société française ou la figure du général de Gaulle (...). Dans les années 60, a émergé une génération contestataire. Elle a inventé la maxime '"nos ancêtres ne sont pas les Gaulois". Elle était à la recherche de quelque chose. Le contexte politique est celui de la décolonisation."

En adoptant le nom "les Vikings", je ne me rendais pas compte que c’était très gaulois, comme si on revendiquait d’être un peu européen finalement. Quelle erreur ! Il fallait changer de nom.


Malgré le succès des Vikings de la Guadeloupe, Pierre-Edouard Décimus les quitte en 1978. Le bassiste décide de créer un groupe "plus en cohérence avec nos réalités culturelles". Il le nomme Caso Vikings Guadeloupe Exploration, en référence à Camille Sopran'n Hildevert, le saxophoniste de son ancien groupe. Un album est enregistré entre la Guadeloupe, la Martinique et Paris. Un titre sort du lot : Sweet Florence. A la guitare déjà, Jacob Desvarieux. Les deux hommes se rencontrent cette année-là. 

L'expérience musicale laisse Pierre-Edouard Décimus sur sa faim. Faute d'argent, le musicien n'est pas allé au bout de sa démarche. Il voulait notamment rendre hommage à Marcel Lollia dit Vélo, percussionniste et figure du gwo-ka, le genre musical traditionnel guadeloupéen. L'artiste rejoint à Paris son frère Georges et Jacob Desvarieux. Est enregistré Love and Ka Dance.

L'album est co-produit par Freddy Marshall. "Je lui rends hommage car il a été un très bon directeur artistique", précise Pierre-Edouard Décimus. Les deux hommes choisissent le mot Kassav', en référence à la galette de manioc. 

Nous étions dans un laboratoire. 

 

Les musiciens ont une idée : créer un style musical propre aux Antillais qui s'enrichit de tout ce que les Guadeloupéens et les Martiniquais écoutent.

A la fin des années 70, la radio diffuse le kompa haïtien, la salsa cubaine, les tubes de la variété française de Claude François à Joe Dassin... "On écoute toutes sortes de musique de partout : du funk, de la soul, du jazz, du reggae, et puis en même temps, on est nous-mêmes, on a notre musique du carnaval, notre mas à Saint-Jean notamment pour les gens de Pointe-à-Pitre. Et puis on a la cadence-rampa, le kompa, le tumbélé, les musiques de tambour, le quadrille,(...) on a toutes ces musiques-là", explique le journaliste Bertrand Dicale. Il ajoute :

Chaque Antillais est un archipel, un carrefour de musiques, de cultures. Et le zouk est une tentative de synthèse de tout ça.

 
Aux rythmes traditionnels, ceux du gwo-ka, le tambour guadeloupéen, les fondateurs de Kassav' ajoutent des cuivres et des sonorités électroniques. A l'époque arrivent les premiers synthétiseurs. Autant d'éléments réunis qui créent une musique inédite. Une première mouture, prémices d'un style qu'on appellera plus tard : le zouk.

Kassav' : il était une fois le zouk [Décryptage]

Le zouk dans le vocabulaire antillais

Au début des années 80, les expérimentations se poursuivent au fil des départs et des arrivées de musiciens. Jean-Claude Naimro, le pianiste, les chanteurs Patrick Saint-Eloi, Jean-Philippe Marthély et Jocelyne Béroard intégrent Kassav'. Ils forment le noyau dur d'auteurs-compositeurs autour de Georges Décimus, le bassiste et Jacob Desvarieux le guitariste. 

Avec Kassav’, fini les bals orchestrés dans les paillotes aux Antilles. Place aux concerts et aux albums produits dans des structures professionnelles. Dès lors, les artistes vivent de leur passion. Ils enchaînent les succès en solo comme sur les albums signés Kassav'. Le zouk prend une nouvelle dimension. Pour Pierre-Edouard Décimus, le co-fondateur de Kassav' :

Le zouk est une création collective. Le public y a pris part à 90%.

Le mot zouk existait en créole avant que Kassav' ne le promeuve. Mais il n'existait pas depuis très longtemps. Dans les années 50, il signifiait surprise-party et Kassav' a embelli le mot, l'a enrichi, l' enchanté.

Raphaël Confiant, écrivain martiniquais


Zouk la sé sel médikaman nou ni : LE tube

En 1983, avec les albums Chiré de Georges Décimus et Banzawa de Jacob Desvarieux, les musiciens créent le socle musical qui fera leur succès. En 1984, sort le tube qui va enflammer les pistes de danse de Pointe-à-Pitre à Paris en passant par Yaoundé: Zouk la sé sel médikaman nou ni. Un titre qui figure sur Yélélé, un album du duo Georges Décimus/Jacob Desvarieux, disque d'or deux ans plus tard. La vague Kassav' va déferler sur quasiment tous les continents.

Une salle fétiche pour la "diaspora" : le Zénith de Paris

22 juin 1985, Kassav' se produit pour la première fois au Zénith de Paris. La salle, fraîchement inaugurée, affiche complet. A l'époque, le pari paraît fou.

Ça a fait rire tout le monde quand on a dit ça. Quand on a dit, "on va passer au Zénith" , c'est comme si on a dit : "on va passer sur la lune".

Jacob Desvarieux, guitariste et co-fondateur de Kassav'


Le souvenir reste indélébile pour les spectateurs de l'époque.

Pour la  première fois de ma vie, je vois mon peuple en osmose, en harmonie, en communion, chantant, j'ai eu les larmes aux yeux. Je vais dire la vérité :  j'ai pleuré. C'était un moment de joie intense (...).

Claudy Siar, journaliste

Avec plus de soixante représentations en quarante ans, le Zénith de Paris reste la salle fétiche du groupe. Mais Kassav' remplit aussi des stades.

Une histoire d'amour avec l'Afrique

En 1985, naît l'histoire d'amour avec le continent africain. Kassav' joue en Côte d'Ivoire, au Sénégal etc. Le groupe doit sa renommée à Gilles Obringer et son émission Canal Tropical sur RFI. Les K7 pirates font le reste.
Plus de 90 000 personnes se déplacent à Luanda en Angola en 1985, comme le relate Nathalie Sarfati avec nos images d'archives. 

Une maison du zouk en Angola

Dans la banlieue de Luanda, la capitale angolaise, une discrète bâtisse peinte en orange abrite un trésor. En lettres capitales blanches, le mot ZOUK la signale aux visiteurs. Une statue de Pierre-Edouard Décimus aussi. La maison du zouk est l'unique musée au monde consacré au genre musical. Une partie de la collection de ses fondateurs y est exposé. Au fil des ans, Luis Paulo Da Silva Manuel et Olivier Green ont rassemblé près de 10 000 disques. 

Kassav' : 40 ans de records

Paris, New York, Montreal, Tokyo… Kassav’ fait danser 72 capitales. C'est le premier groupe noir à jouer en ex-URSS à Leningrad, aujourd'hui Saint-Pétersbourg. Avec seize albums au compteur, sans compter les albums solo de ses membres, Kassav’ accumule disques d’or, disques de platine et récompenses internationales. Des records à battre dont celui de leur longévité : 40 ans en studio et sur scène.
 
Il inspire même d’autres styles comme le brasazouk au Brésil, la kizomba angolaise. Des festivals du zouk sont organisés au Mozambique et en Angola. Preuve de la vivacité de cette musique 40 ans après.