Retour du gang de blues électrique, magnétique et en créole : Delgrès donne la parole à ceux qu'on n'entend pas, déracinés ou classes laborieuses, à travers l'histoire familiale de son leader Pascal Danaë.
Trois ans après leur premier coup d'éclat "Mo jodi", le trio franchit un cap pour faire danser et penser avec un deuxième album percutant, "4:00 AM" (qui sort vendredi chez Pias). La magie opère toujours et le message infuse au rythme des mots du Guadeloupéen Pascal Danaë, éternel béret façon Black Panthers vissé sur le crâne.
"4:00 AM", formule anglaise, c'est "4H00 du matin" en français, "4 ed maten" en créole antillais. Le tempo est donné : c'est l'heure à laquelle se levait le père du chanteur-guitariste, qui a quitté les Antilles pour venir travailler en 1958 sur les docks du Havre, décor du clip du single.
"Le premier album était déjà très personnel, en prenant pour nom de groupe celui de Louis Delgrès, on allait chercher ce héros oublié qui redonnait sa dignité aux Antilles, ces petits cailloux dans ce monde immense", raconte à l'AFP Pascal Danaë. Louis Delgrès, c'était ce colonel d'infanterie de l'armée française, qui s'est rebellé contre les troupes napoléoniennes venues rétablir l'esclavage. Il se fit sauter à l'explosif - avec ses hommes, en 1802 - pour ne pas se rendre.
L'épopée Delgrès racontée par Nathalie Sarfati :
"Aliénation par le travail"
"Avec le nouvel album, on est dans la continuité, avec un coup de zoom, on se rapproche de mon histoire personnelle, on n'est pas en 1802, mais en 1958, quand mon père arrive en métropole ; ma mère arrivera en 1962", poursuit-il. "Malgré tout, on reste dans l'universel : l'immigration ou l'aliénation par le travail que connaissent tous ceux qui bossent dur, qu'ils se lèvent à 4 heures du mat' ou pas".
Une thématique qui résonne chez ses deux comparses. "Ça fait sens, ça me parle très fort" raconte Baptiste Brondy, le batteur, qui se présente comme "petit-fils d'ouvrier né à Nantes, un (ancien) port esclavagiste". Rafgee, au soubassophone (instrument de la famille des cuivres), raconte de son côté sa "mère qui allait au champ de tabac avant de faire 8 km pour aller à l'école".
La famille, Pascal Danaë y fait sans cesse référence. Lors d'un concert parisien, il avait rendu hommage au micro à une de ses soeurs, la décrivant comme le "potomitan" du clan, soit, en créole, le pilier sur lequel tout repose. C'est une autre de ses soeurs, l'aînée, qui lui a inspiré le morceau Se mo la, soit "Ces mots là", les piques racistes malheureusement inévitables pour la "seule black" dans sa cour d'école en métropole dans les années 1960.
"Choses intimes"
"Elle ne me l'a jamais dit de manière claire, juste "j'ai vécu des choses difficiles", et moi je me suis mis dans ses shoes (chaussures, ndlr), j'ai imaginé un dialogue entre mon père et elle", relate le chanteur. "Ce ne sont pas des choses qu'on a envie de mettre en avant dans les familles, et c'est là où ce que fait Pascal est très fort, il arrive à percevoir des choses intimes, vécues, pas forcément exprimées, et à les poser pour que ça parle à tous", développe Rafgee.
Avec Delgrès, la petite histoire rejoint toujours la grande. Le jour où on les rencontre, le procureur de Paris évoquait une prescription des plaintes en 2006 pour empoisonnement au chlordécone en Guadeloupe et en Martinique, suggérant ainsi une possible ordonnance de non lieu dans ce dossier sensible. Ce pesticide, interdit en France en 1990, mais qui a continué à être autorisé dans les champs de bananes de Martinique et de Guadeloupe par dérogation ministérielle jusqu'en 1993, a provoqué une pollution importante et durable des deux îles.
Cette "réalité qui se rappelle à ces petits bouts de caillou", comme le dit Pascal Danaë, c'est celle d'un "drame humain lié à la course au profit à court terme", qu'on retrouve en tout temps et tout point du globe, comme le souligne Rafgee.