Léon Bertrand : "Jacques Chirac aimait mon histoire guyanaise, mon grand-père bagnard et ma mère arawak" #MaParole

Léon Bertrand dans #MaParole
Petit-fils de bagnard, maire de Saint-Laurent du Maroni pendant 35 ans, député puis ministre sous Jacques Chirac, Léon Bertrand a fait une carrière politique exceptionnelle entachée par des affaires judiciaires qui l’ont mené en prison. A 71 ans, il revient dans #MaParole sur son parcours hors normes.

Il a atteint les sommets du pouvoir et a effectué deux séjours en prison. De la gloire à l’enfer, Léon Bertrand a tout connu. Ajouté à cela, son grand-père bagnard qui l’a beaucoup marqué, ses racines créoles et amérindiennes, sa commune, Saint-Laurent du Maroni qui ne ressemble à aucune autre en Guyane, Léon Bertrand a tout d’un personnage de roman. Il se livre sans fioritures dans #MaParole.

 #1 Lucien Bertrand


Un père créole, une mère amérindienne arawak et un grand-père bagnard. À lui tout seul, Léon Bertrand est un condensé de l’histoire de la Guyane. Le futur maire de Saint-Laurent du Maroni a grandi dans cette commune qui dans les années 50 ne comptait que 6 000 habitants. La ville a été très marquée par l’histoire du bagne. À partir de 1854, des prisonniers de métropole arrivaient au camp de la transportation. Il a fallu notamment toute la détermination d’un homme politique guyanais remarquable, Gaston Monnerville, pour que le bagne disparaisse enfin de la Guyane en 1946. Au total, la France y a envoyé environ 75 000 hommes.

Durant son enfance, Léon Bertrand a été marqué par son grand-père bagnard. C’est lui qui lui a appris à conduire. Le futur ministre porte d’ailleurs l’un des prénoms de son grand-père ainsi que son nom de famille. Enfant, il pouvait passer des journées en sa compagnie. Le futur maire se souvient d’une enfance joyeuse. Il aimait aller à l’école chez les sœurs. Il aimait la guitare et les balades en forêt ou sur le fleuve. Pendant les vacances, la famille partait au Suriname retrouver les parents arawak de sa mère ou bien sa grand-mère paternelle créole. À Paramaribo, avant la rentrée scolaire, tous les enfants Bertrand se rendaient chez le tailleur pour se faire faire leurs tenues d’école.

Jacques Chirac et Léon Bertrand à la mairie de Saint-Laurent du Maroni, image d'un documentaire réalisé en 2007

 #2 Saint-Laurent du Maroni


Après le collège, Léon Bertrand est parti pour Cayenne. À la fin des années 60, il n’y avait pas de lycée à Saint-Laurent du Maroni. La route entre Cayenne et Saint-Laurent était particulièrement accidentée. Impossible de rentrer tous les week-ends. En revanche, pendant les vacances scolaires, Léon Bertrand retournait à Saint-Laurent. Il se souvient des trajets homériques entre les deux villes. Par temps de pluie, c’était une expédition assez mouvementée.

Après le lycée, le futur homme politique a poursuivi ses études à Fort-de-France. Son père rêvait qu’il devienne médecin. Ça n’a pas vraiment fonctionné. Léon Bertrand a fait son service militaire puis il a pris un job de pion dans un collège de sa commune. Progressivement, il a donné des cours de sciences physiques et de sciences naturelles et passé le concours de professeur. En même temps, il tenait une laverie pour "gagner un peu d’argent". C’est là qu’un jour, toute une délégation d’hommes politiques de droite est venue le trouver pour lui proposer de se présenter aux élections cantonales. Léon Bertrand s’est dit : et pourquoi pas ? En 1982, il a remporté ces élections face au sénateur-maire Raymond Tarcy du Parti socialiste guyanais et six mois plus tard, il a été élu maire de Saint-Laurent du Maroni. Il avait 32 ans. Léon Bertrand a dirigé pendant 35 ans Saint-Laurent du Maroni jusqu’en 2018.

Avant les élections municipales, le futur ministre avait décidé de s’encarter au RPR, le parti de Jacques Chirac. "Toute ma famille était de droite, ça m’a semblé logique", dit-il. Il avait aperçu le fondateur du RPR lors de ses passages à Saint-Laurent, car comme musicien, Léon Bertrand avait quelques connaissances en matière de sono. Par la suite, les deux hommes se sont rapprochés.

À Saint-Laurent du Maroni, très vite, le nouveau maire a été confronté à la guerre civile au Suriname voisin qui a duré de 1986 à 1992. Des milliers de réfugiés sont venus à Saint-Laurent du Maroni. L’autre dossier qui l’a beaucoup occupé en tant que maire, c’est la rénovation et la transformation du camp de la transportation. Ça ne faisait pas rêver ce camp où s’entassaient les bagnards et pourtant, Léon Bertrand a imaginé une reconversion en centre culturel. C’est le cas aujourd’hui, il y a une bibliothèque, un musée, on y organise des festivals comme le FIFAC (Festival International du Film documentaire Amazonie Caraïbes), des concerts. Dans ce combat, Léon Bertrand raconte dans #MaParole qu’il a reçu l’appui d’un homme politique de gauche : Michel Rocard. 

En juin 1988, élu député, il a fait ses premiers pas à l’Assemblée nationale et choisi d’intégrer la commission Défense. En juin 2007, Léon Bertrand a perdu son mandat de député face à la candidate du Parti socialiste guyanais Chantal Berthelot.

#3 La gloire et l’enfer


En 2002, Jacques Chirac était président, Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Léon Bertrand a été nommé secrétaire d’État au Tourisme. "Jacques Chirac m’a téléphoné et il m’a dit : "Tu es le moins pire des élus d’Outre-mer, tu veux faire partie de mon gouvernement ?", se souvient dans un sourire l’homme politique guyanais. Pour un petit-fils de bagnard, c’était une belle reconnaissance.

Pendant cinq ans, Léon Bertrand est resté au gouvernement, passant même du statut de secrétaire d’État à ministre. C’était la gloire, mais c’est là que les ennuis ont commencé. Il avait tenu à cumuler avec son poste de ministre les fonctions de maire, de président de la communauté des communes de l’Ouest guyanais. Pour Léon Bertrand, c’était nécessaire, il voulait garder le contact avec le terrain. Et puis ministre, comme il le dit lui-même, "c’est éphémère". 

Septembre 2018, Léon Bertrand avait organisé une conférence de presse, juste avant son incarcération

À partir de 2009, Léon Bertrand a commencé à avoir de sérieux problèmes avec la justice. L’élu guyanais a été condamné dans deux dossiers distincts. D’abord pour favoritisme et corruption passive dans une affaire de marchés illégaux passés en 2003 et 2004 par la CCOG (Communauté de Communes de l’Ouest Guyanais) qu’il présidait et dans une autre affaire qui concerne la SENOG (Société d’Economie Mixte du Nord Ouest Guyanais) pour complicité d’abus de biens sociaux pour des faits qui remontent à 2008. 

L’ex-ministre a clamé son innocence à de multiples reprises. Il a été incarcéré deux fois. D’abord à la prison de Ducos en Martinique quelques mois en 2009, puis à la prison de Remire-Montjoly en Guyane de septembre 2018 à avril 2019. Une période très difficile pour l’élu guyanais qui sans le soutien de son épouse aurait eu bien du mal à supporter sa nouvelle vie de prisonnier. Pendant ces longs mois d’incarcération, il a bien sûr pensé à son grand-père bagnard.  

En 2017, son avocat maître Varaut, qui est aussi l’avocat de la Communauté des Communes de l’Ouest Guyanais, a écrit à la justice pour demander que l’enquête sur la disparition de Myrtho Fowel soit relancée. Myrtho Fowel, directeur financier de la CCOG, avait disparu en 2004. Neuf ans plus tard, sa voiture et ses ossements avaient été retrouvés par les gendarmes dans le fleuve Sinnamary. L’enquête à l’époque avait mis en évidence qu’il avait détourné de l’argent de la CCOG.

Léon et Katia Bertrand

À la prise de son : Nicolas Palkossian. Tous les anciens numéros de #MaParole sont désormais téléchargeables sur les plateformes de podcasts suivantes : Apple Podcasts, Spotify, Castbox, Podcast Addict, Sybel, Amazon Music et RadioPlayer France.

♦♦ Léon Bertrand en 5 dates ♦♦♦

► 11 mai 1951

Naissance à Saint-Laurent du Maroni

► 13 mars 1983 

Élu maire de Saint-Laurent du Maroni

► 12 juin 1988 

Élu député

► 2002-2007 

Secrétaire d’État puis ministre du Tourisme

26 décembre 2009 

Placé en détention provisoire à Ducos (Martinique)