Un extrait de l'interview donnée par l'avocate au barreau de la Guadeloupe Me Ellen Bessis au média covidosceptique France-Soir agite les réseaux sociaux depuis quelques jours. Interrogée sur la colère qui agite l'île antillaise depuis une quinzaine de jours, la Guadeloupéenne a dévié sur la question de la vaccination, assurant, document à l'appui, que l'agence sanitaire Santé publique France (SPF) avait demandé à ce que la date de péremption des vaccins Pfizer soit rallongée de trois mois, alors même que ces vaccins sont périmés.
Il existe aujourd'hui dans nos stocks, ici en Guadeloupe, des vaccins périmés (...). Et ces vaccins périmés, on vous dit [qu'ils ont désormais une] "nouvelle date de péremption". (...) A Nouméa [en Nouvelle-Calédonie], ils ont renvoyé leurs stocks. Ici, on voudrait que nos pharmaciens prennent la responsabilité, qui est lourde pour eux, bien évidemment, et qui est lourde pour ceux qu'ils vont vacciner, de changer [la date de péremption].
Voici l'extrait de l'interview en question, sur la chaîne Youtube de France-Soir (de 25'08 à 30'50) :
Face aux vives critiques dont cette intervention a fait l'objet, Outre-mer La 1ère a voulu vérifier les affirmations de Maître Bessis, et cherché à savoir si les vaccins stockés en Guadeloupe sont périmés, et donc dangereux pour la santé, comme l'assure l'avocate.
L'organisme Santé publique France a-t-il demandé l'extension de trois mois de la durée de conservation du vaccin Pfizer ?
Au cœur de l'argumentaire de Me Ellen Bessis repose un document, émis par Santé publique France le 6 octobre 2021, et destiné à tous les "établissements conservant les vaccins à -80 °C", dont voici une copie :
Santé publique France - Extension de la durée de conservation du vaccin Pfizer
Le courrier indique bel et bien que la durée de conservation des flacons de Comirnaty (le vaccin produit par les entreprises Pfizer et BioNTech) est passée de 6 à 9 mois.
Tous les flacons dont la date d'expiration est postérieure à mars 2022 indiqueront la durée de conservation de 9 mois. Par ailleurs, cette extension de 3 mois peut être appliquée rétroactivement aux flacons fabriqués avant cette approbation.
En revanche, précise le document, la condition pour que l'extension de la date de péremption soit valide est que le vaccin soit resté à une température comprise entre -90 °C et -60 °C.
Contacté, Santé publique France affirme que ce genre de message envoyé aux professionnels de santé n'est pas exceptionnel : "L’Agence Européenne du Médicament, qui est l’agence indépendante qui délivre sur la base d’études scientifiques les autorisations des vaccins et encadre les modalités de leur utilisation, a validé le 13 septembre 2021 le prolongement de la durée de conservation des flacons du vaccin (...)".
L'extension de la durée de conservation ne concerne-t-elle que la Guadeloupe ?
Tweeté, retweeté et re-retweeté, l'intervention d'Ellen Bessis a été sujette à des surinterprétations sur les réseaux sociaux, certains déplorant un sujet qui toucherait spécifiquement la Guadeloupe, comme le montre ce tweet :
Avez-vous vu ceci ?
— Carine Jaumain (@jaumain_carine) December 6, 2021
L'avocate Me Ellen Bessis dévoile un document surprenant destiné aux pharmaciens en #Guadeloupe !! Sur @france_soir ( vidéo Vendredi 26 novembre) #Delfraissy #hdpros#NonALaVaccinationObligatoire https://t.co/LSmPE0Mv3b
Or, contactée par Outre-mer La 1ère, l'avocate s'est défendue d'avoir limitée ses observations à son île : "Je n'ai pas dit que ça ne concernait que les Guadeloupéens. J'ai dit qu'on a demandé ça à tous les pharmaciens".
D'ailleurs, SPF a précisé que l'extension de la durée de conservation de Pfizer "s’applique à l’ensemble des pays européens et donc pour la France entière. Il ne s’agit en aucun cas d’une décision qui ne concernerait que la Guadeloupe".
Il faut cependant noter que, la campagne vaccinale se heurtant au scepticisme de la population guadeloupéenne, beaucoup de vaccins n'ont pas trouvé preneur, faisant de la Guadeloupe un des départements où l'on stocke le plus de flacons. À titre de comparaison, 83 % des doses livrées à l'échelle nationale ont été injectées, contre 77 % en Guadeloupe.
Toutefois, ces stocks, s'ils sont conservés à ultra-basse température, ne sont pas périmés s'ils ont été produits il y a moins de 9 mois.
Pourquoi la durée de conservation a-t-elle été rallongée ?
Pour rappel, les vaccins contre le Covid-19 ont été fabriqués il y a un peu plus d'un an pour faire face à la pandémie. Certains d'entre eux, dont Pfizer, utilisent une nouvelle technologie, jusque-là jamais employée : l'ARN messager.
Le vaccin pointé du doigt par Maître Ellen Bessis est donc relativement nouveau. Or, plus le temps passe, et plus les fabricants ont du recul sur le produit. Les autorités peuvent alors adapter les modalités d'utilisation du vaccin au fur et à mesure que les connaissances scientifiques s'étayent.
C'est ce qu'explique Bruno Pozzetto, virologue et professeur des universités au CHU de Saint-Etienne :
Comme [le vaccin] était un produit tout à fait inconnu, au début, on a mis des conditions de conservation draconiennes dans des congélateurs à -80 °C... Bon, on s'est rendu compte que c'étaient des sécurités qui étaient un peu excessives.
Ce qui peine néanmoins à convaincre l'avocate guadeloupéenne, qui martèle qu'"un vaccin périmé est un vaccin périmé".
À partir du moment où ont été instaurées des dates de péremption, on doit les respecter. C'est un principe de précaution.
Le professeur en virologie tient à rassurer : un flacon de Pfizer fabriqué il y a plus de 6 mois ne comporte aucun danger pour la santé.
Pourquoi ce document fait-il débat, alors ?
La polémique, alimentée par les réseaux sociaux, découle d'une confusion sur les différentes étapes du cheminement du vaccin produit par Pfizer.
Le sérum, qui fonctionne grâce à l'ARN messager, est difficilement transportable, sa température devant se situer entre -90 °C et -60 °C, comme indiqué plus haut dans cet article. C'est pour cela qu'il était, en premier lieu, disponible uniquement dans les centres de vaccination, et non pas en médecine de ville, la logistique ne permettant pas de démultiplier les lieux de vaccination au Pfizer.
Cependant, une fois préparé, le Comirnaty (le vaccin de Pfizer) peut être conservé dans un frigo classique pendant 30 jours à une température comprise entre 2 °C et 8 °C (contre seulement cinq jours auparavant). Cette nouvelle modalité d'utilisation a permis de faire entrer le vaccin de Pfizer dans la médecine de ville (médecins et pharmacies).
Le document brandi par Ellen Bessis lors de son interview à France-Soir, qui n'évoque que les flacons conservés à -80 °C ne concerne donc pas les vaccins Pfizer que possèdent les médecins et les pharmaciens, qui, en général, n'ont pas le matériel pour conserver les flacons à de telles températures.