Lilian Thuram : "Pendant des siècles, on nous a dit que la norme était blanche" [#MaParole]

Auteur d’un essai remarqué intitulé La Pensée blanche, Lilian Thuram évoque dans #MaParole, son enfance, sa carrière exceptionnelle de footballeur et son combat contre le racisme à la tête d’une fondation qui porte son nom.

"Le football est une métaphore de la vie". Lilian Thuram et son parcours en témoignent. Champion du monde, champion d’Europe, le défenseur de l’équipe de France a goûté aux plus belles victoires. Mais au lieu de devenir consultant ou entraîneur, il a choisi de créer une fondation qui lutte contre le racisme.

► D'Anse Bertrand à Monaco

Natif de Pointe-à-Pitre, Lilian Thuram a grandi à Anse Bertrand, "le centre de l’univers",  jusqu’à l’âge de 9 ans. C’est là qu’il a fait ses premiers pas de footballeur "quand les grands venaient lui proposer de jouer". Issu d’une fratrie de cinq frères et sœurs, Lilian Thuram a l’impression d’avoir grandi "au paradis" grâce à une maman, Mariana, qui avait le don "de rendre la vie joyeuse". "Elle ne parlait pas de ses problèmes". Le matin, elle partait couper la canne et l’après-midi faire des ménages à Pointe-à-Pitre.

En 1980, la mère de Lilian Thuram décide de s'envoler pour l’Hexagone afin d'"améliorer la vie de ses enfants". Pendant ce temps, la fratrie doit se débrouiller toute seule à Anse Bertrand. Mais "heureusement, note avec un sourire Lilian Thuram, tout le monde avait un œil sur nous". Le grand frère Gaëtan récupérait l’argent envoyé par la poste par leur mère depuis Paris et se chargeait ensuite des courses et des repas. Et puis au bout d'un an, Mariana est revenue chercher ses cinq enfants pour les emmener en région parisienne.

A Bois-Colombes, à l'école, c’est là que Lilian Thuram raconte avoir été pour la première fois de sa vie confronté au racisme."Ma mère m’a alors fait une très mauvaise réponse, elle m’a dit : "c’est comme ça, les gens sont racistes, ça ne va pas changer"". Très vite, la famille part pour Avon près de Fontainebleau à la cité des fougères. Le futur champion du monde découvre, émerveillé, des communautés qu’il ne connaissait pas. "Il y avait des Pakistanais, des gens du Zaïre, du Liban, du Portugal, d’Algérie". Il entre alors au club des Portugais à Montigny-sur-Loing dans lequel il se sent bien. "Quand on allait jouer à certains endroits, on se faisait traiter de sales Portos !".

 

► Champion du monde de football

Lilian Thuram intègre ensuite le club de Fontainebleau puis à l’âge de 17 ans, il entre au centre de formation de l’AS Monaco. "Ma chambre avait vue sur la mer. Je n’avais pas trop l’habitude des vacances (…) Quand on est arrivés à Monaco avec ma mère, c’était incroyable, c’était le paradis". De ses années à Monaco, le champion du monde ne garde que de bons souvenirs et même de sa grosse blessure au genou qui a nécessité une intervention chirurgicale. "Je me suis rendu compte après ça qu’à chaque fois que j’étais sur le terrain, c’était une chance", se souvient-il. Lilian Thuram se rappelle jusqu'à aujourd'hui des conseils de son entraîneur Arsène Wenger qui disait : "on peut s’améliorer à n’importe quel âge en travaillant intelligemment".

En 1996, cap sur l’Italie. A Parme, son club de "cœur", il passe cinq saisons, de belles années marquées par la naissance de ses deux fils, Khéphren et Marcus. En 1997, il est élu meilleur joueur d’Italie puis il poursuit sa carrière italienne à la Juventus de Turin à partir de 2001. Entre temps, Lilian Thuram évolue en équipe de France. Il contribue grandement à la victoire des Bleus en 1998 avec ses deux buts face à la Croatie en demi-finale. L’image a fait le tour du monde, on y voit Lilian Thuram agenouillé, un doigt sur la bouche, dubitatif. Le champion du monde évoque dans #MaParole cet épisode incroyable de sa carrière.

Il parle aussi du racisme des supporters italiens, du fameux coup de boule de Zinédine Zidane en finale de la coupe du monde en Allemagne en 2006, de son passage au FC Barcelone la même année. En 2008, Lilian Thuram met fin à sa carrière de footballeur et conclut ce chapitre de #MaParole sur une déclaration d’amour au football qui l’a "construit" et lui a "appris énormément de choses".

 

► Fondation contre le racisme

Au terme d’une carrière de champion, Lilian Thuram n’a pas cherché bien longtemps comment tracer sa route. "Ça s’est imposé à moi", dit-il. En Italie ou en Espagne, on lui demandait souvent d’aller parler dans les écoles. Et grâce à une rencontre avec un vieux monsieur espagnol à Barcelone, il réalise que sa voie passe par la création d’une fondation. C’est ainsi qu’est née en 2008 la fondation "Lilian Thuram, Education contre le racisme" dont le siège se trouve à Paris. L’une des premières actions très concrètes, est l’écriture d’un livre intitulé Mes Étoiles noires (Philippe Rey) paru en 2010. Dans cet essai, Lilian Thuram dresse le portrait de 45 personnalités noires parmi lesquelles Esope, le chevalier de Saint-Georges, Toussaint Louverture, Billie Holiday ou encore Frantz Fanon. "Je pense qu’on doit avoir des étoiles de toutes les couleurs, de toutes religions, de tous genres pour aller vers beaucoup plus d’intelligence", dit-il.

Avec Pascal Blanchard, il organise en 2011 une exposition au musée du quai Branly à Paris sur les zoos humains intitulée Exhibitions, l’invention du sauvage. "Vous ne pouvez pas lutter contre le racisme si vous n’expliquez pas l’histoire du racisme", explique Lilian Thuram. Neuf ans plus tard, l’ex-footballeur creuse le même sillon en signant La Pensée blanche (Philippe Rey). Selon Lilian Thuram, la "pensée blanche" signifie "l’idéologie politique qui a construit la hiérarchie des êtres humains en de supposées races et qui a donné l’idée qu’être blanc serait mieux". En décortiquant cette idéologie, l’essayiste démonte les ressorts du racisme tel qu’il l’a subi sur les bancs de l’école à Bois-Colombes. "A 9 ans, ils avaient la conviction qu’être blanc, c’était être supérieur", s’étonne encore Lilian Thuram. L’ex-footballeur a choisi de conclure #MaParole avec Mwen domi Dewo (1975), une chanson emblématique de Super combo qui raconte l’arrivée d’un Guadeloupéen à Paris et toutes les difficultés auxquelles il est confronté.

Interview enregistrée à la fondation Lilian Thuram le 3 décembre 2020. Prise de son : Diane Koné

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Lilian Thuram en 5 dates

♦1er janvier 1972

Naissance à Pointe-à-Pitre

♦24 mai 1991

Arsène Wenger fait débuter Lilian Thuram à l'AS Monaco lors d'un match face à Toulon.

♦8 juillet 1998

Lilian Thuram marque deux buts entrés dans la légende du football français.

♦1er aout 2008

Fin à sa carrière de footballeur à l'âge de 36 ans. 

♦29 septembre 2017

Lilian Thuram est fait docteur honoris causa de l'université de Stockholm.