Loi immigration : le Conseil constitutionnel censure le durcissement du droit du sol à Mayotte, en Guyane et à Saint-Martin

Le Conseil constitutionnel, à Paris.
Considérée comme un "cavalier législatif" par les Sages du Conseil constitutionnel, cette disposition, qui faisait partie des quelques mesures spécifiques aux territoires d'Outre-mer, a été supprimée du texte jeudi 25 janvier.

Caution pour les étudiants étrangers, accès aux aides sociales, restrictions du regroupement familial... Le Conseil constitutionnel a censuré près de 40 % des mesures inscrites dans le projet de loi immigration votée par le Parlement au mois de décembre 2023. Concernant les mesures spécifiques à la politique migratoire dans les territoires d'Outre-mer, la plupart ont été conservées. Sauf une : le durcissement du droit du sol à Mayotte, en Guyane et à Saint-Martin, prévu dans l'article 81.

Les Sages ont estimé que "ces dispositions relatives à certaines conditions d’acquisition de la nationalité française ne présentent de lien, même indirect, avec aucune des dispositions qui figuraient dans le projet de loi déposé" par le gouvernement. L'article 81 est donc ce qu'appellent les constitutionnalistes un "cavalier législatif", interdit par l'article 45 de la Constitution.

Exception au droit national

Rajoutée dans la loi portée par le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin lors de la commission mixte paritaire, cette mesure rendait plus difficile l'accès à la nationalité française pour les enfants nés de parents étrangers dans les départements mahorais et guyanais, et dans la collectivité de Saint-Martin, des territoires qui connaissent une forte pression migratoire.

À Mayotte, où le droit du sol est déjà adapté depuis 2018, pour qu'un enfant né dans le département puisse devenir Français, la loi votée en décembre demandait à ce que ses deux parents (au lieu d'un seul) aient résidé de manière régulière sur le territoire depuis au moins un an au moment de sa naissance (contre trois mois actuellement). Avec la décision du Conseil constitutionnel publiée jeudi, cette règle ne changera donc pas.

Le projet de loi prévoyait aussi de créer cette exception en Guyane et à Saint-Martin, avec des conditions différentes (un parent résidant de manière régulière depuis neuf mois pour la Guyane, depuis trois mois pour Saint-Martin). Mais pareil : cette disposition a été retoquée par l'institution gardienne de la Constitution.

Le Conseil a jugé la forme, pas le fond

Mais, la censure de l'article 81 ne signifie pas que cette mesure est anticonstitutionnelle sur le fond, précisent les constitutionnalistes. Deux recours avaient été déposés concernant cet article : un par les sénateurs, portant sur la procédure d'adoption ; un par les députés, portant sur le fond (ils considéraient que restreindre cette exception à Mayotte, à la Guyane et à Saint-Martin contrevenait aux "principes d’égalité devant la loi et d’indivisibilité de la République").

Le Conseil constitutionnel fait le choix de ne répondre qu’au premier moyen d’inconstitutionnalité, celui des sénateurs. Ainsi, il considère que la procédure d’adoption de l’article 81 est contraire à l’article 45 de la Constitution. [Il] ne va donc pas plus loin dans son contrôle, il s’en tient à un contrôle du respect de la procédure législative et ne se prononce pas sur la constitutionnalité de l’article 81 au regard du principe d’égalité devant la loi et du principe d’indivisibilité de la République.

Kassandra Goni, doctorante en droit public, chercheuse au Centre d'Études et de Recherches Comparatives sur les Constitutions, les Libertés et l'État de l'Université de Bordeaux

"Un amendement déposé par les parlementaires ou le gouvernement doit avoir un lien suffisant, même indirect, avec la loi en discussion", abonde le professeur de droit constitutionnel à l'Université de Bordeaux Ferdinand Mélin-Soucramanien. Si les Sages ont annulé plusieurs articles, notamment un grand nombre introduits par la droite, c'est qu'ils s'éloignaient du projet de loi initial présenté par le gouvernement, portant sur le contrôle de l'immigration et l'amélioration de l'intégration (et non sur l'accès à la nationalité).

"La censure du Conseil constitutionnel est aussi une censure de la lutte contre l’immigration clandestine qui submerge Mayotte", a réagi le député mahorais Mansour Kamardine, après la décision de la plus haute juridiction du pays, jeudi. Comme ses collègues du parti Les Républicains, il réclame le dépôt d'une nouvelle loi immigration et presse le gouvernement pour qu'il présente rapidement le projet de loi Mayotte, promis lors du Comité interministériel des Outre-mer (CIOM).