Loi immigration votée au Parlement : que prévoit le texte pour les Outre-mer ?

Les sénateurs et sénatrices au Sénat, à Paris.
Le projet de loi immigration porté par le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin a été adopté par l'Assemblée nationale et le Sénat mardi 19 décembre après qu'un accord a été trouvé en commission mixte paritaire. Le texte, durci par la droite, prévoit des dispositions spécifiques pour les territoires ultramarins.

Après des semaines de discussions, de soubresauts politiques et de concessions faites à la droite parlementaire, les députés et sénateurs ont finalement adopté la loi immigration portée et défendue par le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin mardi 19 décembre (214 voix pour, 114 contre au Sénat; 349 pour, 186 contre à l'Assemblée). Mais l'avenir du texte reste tout de même incertain, Emmanuel Macron ayant fait savoir à ses troupes que la loi ne devait pas être adoptée grâce aux voix du Rassemblement national, et qu'il envisageait de demander une deuxième délibération parlementaire si c'était le cas.

Largement durci lors de son passage au Sénat, à majorité de droite, le texte avait été rejeté d'emblée par l'Assemblée nationale, où le gouvernement ne possède qu'une majorité relative. Emmanuel Macron avait donc placé le destin de cette loi dans les mains d'une commission mixte paritaire (CMP), dont la majorité des membres ont mis près de 24 heures avant de se mettre d'accord mardi après-midi.

Révision à venir de l'aide médicale d'état, quotas, restriction des aides accordées aux étrangers... La droite d'Eric Ciotti et de Bruno Retailleau ont amplement modelé le texte, forçant le gouvernement à accepter cette version plus dure que la copie originale, sans quoi la loi serait tombée aux oubliettes. 

Gérald Darmanin, le ministre de l'Intérieur à l'Assemblée nationale le 28 novembre 2023.

Soucieux de rassembler le plus de voix possible derrière sa loi, Gérald Darmanin avait demandé au député guadeloupéen Olivier Serva (Libertés, indépendants, Outre-mer et Territoires, LIOT) de rédiger un rapport instaurant des dispositions spécifiques pour les territoires ultramarins. Voici ce que la loi devrait changer en Outre-mer.

  • Durcissement du droit du sol à Mayotte, en Guyane et à Saint-Martin

Si le droit du sol est davantage restreint sur l'ensemble de la France (la naturalisation des enfants nés en France de parents étrangers n'est désormais plus automatique à 18 ans), il l'est encore plus dans trois territoires d'Outre-mer, qui font face à une forte pression migratoire.

À Mayotte, pour qu'un enfant né dans le département obtienne la nationalité française, il faut dorénavant que ses deux parents (et non plus un seul) aient résidé de manière régulière sur le territoire depuis au moins un an au moment de sa naissance. Jusqu'ici, le délai était de trois mois.

Cette dérogation au droit commun s'applique également à la Guyane, de plus en plus attractive pour les migrants venant du Suriname voisin, d'Haïti mais aussi du Moyen-Orient. La naturalisation des enfants nés sur le sol guyanais de parents étrangers n'est désormais possible que si l'un des deux parents résidait de manière régulière depuis au moins neuf mois au moment de la naissance.

Pour Saint-Martin, cette disposition est aussi mise en place. Mais le délai n'est là que de trois mois.

  • La rétention de mineurs interdite en France, mais possible à Mayotte jusqu'en 2027

Alors que la loi immigration prévoit l'interdiction d'enfermer un jeune de moins de 18 ans dans tout centre ou local de rétention administrative, Mayotte fait figure d'exception "compte tenu de la pression migratoire particulière qui s’exerce sur le département", précise un amendement au projet de loi. Cette disposition n'entrera donc en vigueur dans le département qu'au 1ᵉʳ janvier 2027, soit dans trois ans.

Dans un rapport publié au mois de novembre, l’UNICEF estimait qu’entre 2012 et 2021, au moins 33 786 enfants ont été placés en rétention en France, dont "l’immense majorité à Mayotte". "On se prononce pour l’interdiction de l’enfermement sur l’ensemble du territoire et sans aucune dérogation", commentait alors Mathilde Delez, coordinatrice du rapport consacré aux droits de l’enfant en Outre-mer.

C'est par le centre de rétention administrative de Pamandzi que passent tous les étrangers en situation irrégulière avant d'être expulsés de Mayotte.

  • Un comité dans chaque Outre-mer pour déterminer la liste des métiers en tension

Les députés ultramarins ont obtenu la mise en place d'un comité spécifique dans les cinq départements et régions d'Outre-mer ainsi qu'à Saint-Pierre et Miquelon pour déterminer la liste des métiers en tension. Il sera présidé par le préfet du territoire et composé des acteurs économiques et élus locaux.

Ainsi, la préfecture pourra délivrer des titres de séjour aux travailleurs étrangers en prenant en compte les réalités économiques locales, défend le texte.

  • Rallongement possible des titres de séjour pour les travailleurs étrangers à Saint-Pierre et Miquelon 

La loi votée par les deux chambres du Parlement mardi soir prévoit de faciliter la délivrance de titres de séjour aux travailleurs étrangers dans l'archipel de Saint-Pierre et Miquelon. Le territoire étant particulièrement éloigné et difficile d'accès (il faut généralement passer par le Canada pour y accéder, ce qui suppose d'avoir obtenu un visa canadien), un salarié en possession d'une carte de séjour annuelle pourra, une fois celle-ci expirée, obtenir une carte de séjour pluriannuelle.

Cette disposition doit permettre au territoire de mieux gérer sa main d'œuvre, alors que les jeunes quittent de plus en plus l'archipel.

  • Le délai de rétention pour vérification d'identité allongé en Guyane

Dès que la loi entrera en vigueur, les autorités pourront retenir une personne à des fins de vérification d'identité pendant maximum 8 heures en Guyane, comme c'est déjà le cas à Mayotte. Ailleurs en France, ce délai est de 4 heures. 

  • Des mesures pour limiter l'immigration à Mayotte

Le 101ᵉ département français, qui subit une forte pression migratoire venue principalement des Comores, de Madagascar et de l'Afrique continentale, est le sujet de plusieurs mesures spécifiques adoptées dans le projet de loi. La plupart d'entre elles émanent des deux députés du territoire, Estelle Youssouffa (LIOT) et Mansour Kamardine (Les Républicains).

Ainsi, un amendement déposé par l'élue interdit le renouvellement de titre de séjour par la préfecture pour les étrangers polygames (la polygamie étant interdite à Mayotte depuis 2010). Estelle Youssouffa a également fait voter un amendement instituant un volet sur l'appartenance de Mayotte à la République française dans les formations civiques à destination des immigrés, pour la plupart originaire d'un territoire, les Comores, qui revendique encore sa souveraineté sur l'île. Aussi, des étrangers condamnés par la justice pour violence, viol ou agression sexuelle seront plus facilement expulsables de Mayotte. 

Mansour Kamardine a quant à lui fait adopter des amendements relatifs à la famille. Par exemple, dorénavant, un parent devra justifier de s'être occupé de son enfant pendant trois ans (et non plus deux) pour obtenir un titre de séjour "parent d'enfant français". Le regroupement familial ne concerne lui plus que la famille nucléaire (le conjoint ou la conjointe, et les enfants).

  • La commission du titre de séjour instituée en Guyane

Réclamée par des députés de la Nupes, dont le Guyanais Davy Rimane (Gauche démocrate et républicaine, GDR) et la Réunionnaise Émeline K/Bidi (GDR), la mise en place de la commission du titre de séjour en Guyane est actée, alors que le département en était jusqu'aujourd'hui exclu.

"Cette commission donne l’opportunité à l’étranger (...) d’exercer un droit de parole qui lui permet de mettre en avant son insertion professionnelle, personnelle et sociale", justifient les députés dans leur amendement.

  • Le gouvernement devra remettre des rapports sur sa politique migratoire en Outre-mer

Au-delà des mesures citées précédemment et qui entreront en vigueur lorsque la loi sera publiée au Journal officiel, des articles demandent au gouvernement de se pencher sur plusieurs aspects de sa politique migratoire en Outre-mer, dont il devra rendre compte devant le Parlement.

Dans les six mois, il devra remettre un rapport présentant les moyens technologiques et humains pour assurer la surveillance des côtes antillaises. Sur Mayotte, l'État devra, d'ici trois mois, remettre un rapport sur la manière de lutter plus efficacement contre l'immigration irrégulière. D'autant que le pouvoir est très attendu sur une loi spécifiquement dédiée à Mayotte, et qui doit répondre aux nombreux défis de ce territoire de l'océan Indien.

Enfin, les élus de la Nupes veulent que le gouvernement produise un rapport sur les conditions d'accueil dans les territoires d'Outre-mer, alors que la pression migratoire y est par endroit très forte et que les places en hébergement se font extrêmement rares.