Le m’godro est une danse et un rythme typique de Mayotte, son île natale. M’Toro Chamou aime s’inspirer de ces musiques traditionnelles qui ont bercé son enfance. Il a ainsi développé son propre style musical, l’Afro m’godro blues rock. De retour à Mayotte, après avoir longtemps vécu dans l’Hexagone et à La Réunion, le chanteur se dit préoccupé par la situation sociale et politique de son île qui a envoyé en juillet dernier sa première députée Rassemblement national Anchya Bamana, la fille de l’un des chefs de file charismatiques pro français de Mayotte. Nous avons rencontré M’Toro Chamou début juin 2024 à Marseille lors du festival La1ere. Ce numéro de #MaParole a été enregistré dans les studios de radio Grenouille, à la Friche de la Belle de Mai.
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1Une enfance insouciante
Natif de Mayotte, M’Toro Chamou a grandi du côté de Dzaoudzi en petite terre jusqu’à ses sept ans avant de rejoindre la grande terre à M’Tsapéré. Son père était employé dans une société de manutention portuaire et sa mère s’occupait de sa nombreuse famille. Le chanteur se considère comme appartenant à "une génération sacrifiée" car il n’est pas allé très longtemps à l’école. Il se souvient dans #MaParole de ce jour où, enfant, il a vu une longue file d’adultes se former dans son village. Il est allé se renseigner pour en savoir la cause et là, il a compris que c’était pour inscrire les enfants à l’école. Ses parents n’étant pas disponibles, il est allé chercher les papiers et a fait les démarches tout seul à l’âge de dix ans.
Avant son entrée à l’école, M’Toro Chamou, enfant, passait beaucoup de temps à s’amuser avec les amis, mais aussi à participer aux travaux des champs. À la maison, les parents et la famille parlent le shimaoré. À l’école, en revanche, il doit parler français. Pas facile de faire les devoirs en français à la maison sans aucune aide. Malgré tout, M’Toro Chamou garde de bons souvenirs de l’école.
À la maison, on écoute beaucoup de musique, en particulier son père qui passe un temps fou à réparer les radios et les tourne-disques. Cette passion a inspiré à M’Toro Chamou la chanson Radio Tranganika dont le clip est très réussi. Son père a des goûts éclectiques. Il écoute aussi bien Bob Marley, de la musique africaine, de la musique traditionnelle de Mayotte que de la variété française. Son grand-père maternel joue du tambour et chante du chigoma. Bref, la famille baigne dans une ambiance des plus musicales.
M’Toro Chamou est l’aîné de sept enfants. Une grosse responsabilité sachant qu’à Mayotte, la mère porte le nom du fils aîné. "Il faut veiller sur les petits frères et sœurs ainsi que sur sa maman", insiste-t-il. À l’adolescence, M’Toro Chamou devient danseur de rap, de soukouss et de break. La danse représente sa première porte d’entrée vers la musique. Puis, il crée M’Tsapéré Power, le premier groupe de rap de Mayotte.
Un jour à M’Tsapéré, chez Demo un voisin musicien de sa grand-mère, il voit pour la première fois une guitare. "C’est un peu mon fundi (NDLR maître d'école coranique), grâce à lui, je me suis dit que je pouvais faire de la musique", ajoute M’Toro Chamou. À Petite terre, un musicien dénommé Slim lui offre sa première guitare. Il rejoint son groupe comme choriste. "Slim, c’était la star à Mayotte, il était animateur de radio à RFO", se souvient-il.
De son vrai nom Mohamed Chamsidini se fait appeler M’Toro Chamou. "Moi, je voulais un nom de scène qui parlerait à tout le monde, surtout aux Mahorais, explique le chanteur. M’Toro cela signifie le Marron", le rebelle, celui qui refuse l’esclavage et "c’est donc une manière de leur rendre hommage". Chamou est le diminutif de Chamsidine qui signifie "le soleil de la religion".
En 1995, à 21 ans, le chanteur décide de quitter Mayotte pour La Réunion. Il déplore le manque de structures pour les musiciens à Mayotte. "Je ne peux pas parler de la musique sans parler de La Réunion, car c’est là que tout a commencé", insiste-t-il. Après un an à La Réunion, il débarque dans l’Hexagone avec une farouche envie de devenir musicien professionnel.
2"À Mayotte, tout est politisé"
Curieusement, c’est dans l’Hexagone qu’il fait la connaissance de Mikidache, l’un des deux musiciens de Mayotte avec qui il a partagé beaucoup de projets. Il est allé voir Baco, l’autre pionnier de la musique locale, à Mayotte et a également appris beaucoup auprès de lui.
Après avoir joué avec ces deux musiciens reconnus de Mayotte, il enregistre son premier album en 1998 intitulé Kaza n’goma, un album en shimaoré sa langue marquée par les rythmes traditionnels de la musique mahoraise, le n’goma et le m’godro.
Il ne traîne pas, car en 1999, il signe un second album baptisé Retour aux sources avec un titre phare qui s’intitule Bombo. Dans cette chanson, il dénonce la manière dont les élus font de la politique à Mayotte. Ce titre lui vaut d’être reçu par Younoussou Bamana, alors président du conseil général de Mayotte qui voit d’un bon œil la critique, la contestation des artistes. "Enfin un artiste mahorais qui ose parler !", lui déclare-t-il.
En 2000, M’Toro Chamou fait la connaissance du producteur d’IAM, le célèbre groupe de rap marseillais qui lui conseille de creuser son sillon en puisant dans ses racines mahoraises. En 2004, avec son album Bwé Foro, il propose des ballades et du reggae. À l’instar du chanteur Baco reçu dans #MaParole, il affirme : "j’ai un peu de Bob Marley en moi".
Dans l’Hexagone, M’Toro Chamou vit successivement à Marseille, à Paris, à Avignon et dans d’autres endroits, mais c’est à Nantes qu’il pose ses valises "par amour". En 2008 et en 2011, il se lance dans une aventure collective avec les albums Tsenga 1 et 2. Inspiré par l’aventure Kassav’, il se dit qu’il serait bon de créer un collectif de chanteurs et de musiciens mahorais qui comme Jacob Desvarieux ou Jocelyne Béroard pourraient aussi enregistrer leurs propres albums. Mais ça n’a pas pris la même ampleur.
En 2011, Mayotte devient le 101e département français, M’Toro Chamou se trouve dans l’Hexagone. Il ne voit pas d’un très bon œil la transformation de Mayotte où l’ambiance n’a plus rien à voir avec celle qu’il a connue durant son enfance. "Ça nous crée pas mal de problèmes", dit-il.
En 2012, M’Toro Chamou décide de quitter l’Hexagone pour aller s’installer à La Réunion, et non pas à Mayotte. Il reproche alors à son île de ne pas assez investir dans la culture. Puis en 2016, il enregistre un album important dans sa carrière dénommé Punk islands dans lequel il dénonce le chemin choisi par Mayotte. Le titre Umani qui signifie "dispute" représente selon lui une métaphore de cette manie qu’ont "les Mahorais de se disputer avec tout le monde".
Dans cet album Punk islands, il y a un titre dont le clip est particulièrement réussi qui s’appelle Radio Tranganika. Il évoque son père et son enfance à Mayotte à écouter la radio. "On n’avait pas beaucoup de sous, mais on vivait bien, dit-il, on était plus connecté à l’Afrique".
M’Toro Chamou prend du plaisir à tourner des clips. La réalisation est soignée. Sa prestation très convaincante. Dans N’Godro rebel qui figure dans son dernier album Sika Mila, on le voit habillé en roi. Ce clip a été tourné en Afrique-du-Sud. Il s’est inspiré des récits de sa grand-mère qui lui parlait de rois, de reines, de princes et princesses locales. "Notre histoire n’est pas seulement liée à l’esclavage", souligne-t-il. Depuis la fin de l’année 2023, M’Toro Chamou est rentré à Mayotte. Il se dit que son île qui fait face à de nombreuses crises a besoin de lui et réciproquement. Le chanteur ne se voit pas faire de la politique, mais il en parle beaucoup car "à Mayotte, tout est politisé", nous dit-il. D'ailleurs, sa musique n'échappe guère à sa maxime.
♦♦ M'Toro Chamou en 5 dates ♦♦♦
►1974
Naissance à Mayotte
►2008
Album Tsenga 1 avec Mikidache
►2015
Voix de l’océan Indien : meilleur chanteur mahorais
►2016
Album Punk Islands
►2024
Participe au festival La1ère à Marseille