"Je pense qu’il est indispensable de réformer l’octroi de mer", a déclaré le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, lors d’un déplacement aux Antilles en mai dernier. Instauré sous Louis XIV dans les années 1670, cet impôt est une taxe spécifique à la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, Mayotte et La Réunion. Tout territoire confondu, l'octroi de mer représentait 1,47 milliard d'euros en 2022, soit 270 millions de plus qu'en 2019.
L'octroi de mer a été pensé pour protéger les économies locales -moins compétitives car insulaires ou éloignées de l'Hexagone- de la concurrence extérieure. C'est une taxe sur les produits importés qui ne fait pas de différence entre les biens venus de France ou de l'étranger. Si la taxe ne concernait initialement que les marchandises venues d'ailleurs, paradoxalement, elle s'applique désormais aussi aux produits locaux.
L'octroi de mer poursuit un double objectif : protéger la production locale et alimenter les budgets des communes et des collectivités territoriales. Dans les DROM, c'est la principale ressource des collectivités locales. En 2019, l'octroi de mer représentait 36% des recettes fiscales des communes de La Réunion, 43% de celles de Guyane, 45% en Guadeloupe, 47% en Martinique et plus de 76% pour celles de Mayotte.
Une taxe variant de 0 à 135%
L'octroi de mer est calculé sur le montant total d'un produit, frais de port inclus. C'est le conseil régional ou les collectivités territoriales qui décident du niveau de taxation. Le taux varie en fonction du type et de l'origine des produits. L'octroi de mer ne peut dépasser 60%, sauf pour les alcools et le tabac, où le taux peut grimper jusqu'à 90%, et même jusqu'à 135% à Mayotte. En cas d'absence de production locale ou parce que les produits sont considérés comme de première nécessité, les autorités locales peuvent choisir d'appliquer des taux nuls ou faibles. Ainsi, La Réunion ne taxe pas ou peu les produits locaux, à quelques rares exceptions près.
Pour chaque territoire, une liste très précise des produits et des taux qui leur sont appliqués est publiée chaque année. À titre d'exemple, la grille tarifaire de la Guyane est un véritable inventaire à la Prévert de plus de 220 pages. On peut y lire que l'octroi de mer est fixé à 0% pour les appareils médicaux ou la farine, 12% pour une brosse à cheveux ou un harmonica, 17% pour de la viande de baleine ou des raquettes de tennis, 27% pour un lance-flamme et 47% pour de la vodka.
Critiques
L'octroi de mer est un impôt régulièrement dénoncé comme étant l'une des causes de la vie chère en Outre-mer. Sa suppression était au cœur des revendications des gilets jaunes ultramarins, en particulier réunionnais.
Mais selon l'Autorité de la concurrence, si l'octroi de mer pèse significativement sur les prix, ce n'est pas le principal facteur qui explique la cherté de la vie dans les départements d'Outre-mer. Dans un rapport de 2019, l'institution estimait que l'octroi de mer représentait en moyenne 7% du prix final d'un produit, contre 16% pour le recours à des grossistes ou des importateurs. L'Autorité de la concurrence soulignait par ailleurs que, en plus d'augmenter les prix, l'octroi de mer est un "facteur de complexité" et appelait à "simplifier et homogénéiser le dispositif pour l'ensemble des territoires".
De nombreux observateurs et responsables politiques, à commencer par Emmanuel Macron, estiment qu'il faut réformer l'octroi de mer.
On peut sans doute moderniser [l'octroi de mer], mais si on le baisse, ou on le supprime, on devra supprimer ce qu’il y a en face, qui sont des services dont la population a aussi besoin.
Emmanuel Macron, lors d'un déplacement à La Réunion en octobre 2019
Même si le système est complexe et décrié, l'octroi de mer reste l'une des pierres angulaires du financement des collectivités locales : une suppression pure et simple n'est envisageable que si l'on trouve un dispositif de substitution. Reste à savoir par quoi le remplacer. Les propositions de Bruno Le Maire pour une réforme de l'octroi de mer seront discutées au début du mois de juillet, lors du prochain Comité interministériel des Outre-mer (CIOM). Interrogé par nos confrères de l'AFP, le ministre de l'Économie a assuré que si la réforme aboutit à "des recettes plus faibles" pour les collectivités, "des moyens de compenser" seront imaginés. L'une des pistes étudiées par le ministre est de continuer à taxer les productions locales tout en supprimant les taxes sur les produits "qui ne sont pas disponibles sur ces territoires".