Mayotte, un maillon essentiel de la stratégie française dans l'océan Indien

Cette photographie prise le 24 mai 2023 montre un policier utilisant des jumelles de vision nocturne à bord d'un bateau de la Police de l'air et des frontières (PAF) au large de l'île française de Mayotte, dans l'océan Indien, après qu'un avion de reconnaissance a détecté un écho radar sur l'eau.
Considérée comme une véritable force d’appui dans les relations internationales, Mayotte est sur le point de changer drastiquement sa politique d’accueil. Une décision qui pourrait avoir des conséquences sur quelques-uns des nombreux intérêts français dans l’océan Indien.

La liste est longue lorsque sont abordés les différents intérêts français dans l’océan Indien. Grâce à son 101ᵉ département, la France dispose à la fois d’une puissance militaire, politique et économique de taille, parfois jalousée par ses voisins africains. Toutefois, Mayotte continue de s’enfoncer dans une crise toujours plus profonde, un élément à prendre en compte dans la stratégie française.

La seconde plus grande ZEE après les États-Unis 

Avec ses plus de 10 millions de km² de mers et océans, la France détient la seconde zone économique exclusive (ZEE) la plus étendue du monde. À l'instar des États-Unis, première puissance maritime mondiale, la France demeure l'unique pays à être présent sur six des sept continents et sur les trois plus grands océans de la planète, dont fait partie l'océan Indien. 

Extension du domaine maritime sous-marin

Parmi ces espaces maritimes, l'océan Indien, qui représente 27 % de la ZEE française, apparaît comme un véritable atout pour l'État. À travers une présence à la fois militaire, économique, scientifique et culturelle, la France maintient sa présence dans cette zone. À l'occasion d'une rencontre sur le sol australien en 2018, Emmanuel Macron avait rappelé qu'une "partie de la croissance du monde" se jouait dans la zone indopacifique où plus d'un million de citoyens français résident et où sont déployés 8 000 militaires pour des missions de surveillance et de contrôle, notamment contre la piraterie et l'immigration clandestine.

La stratégie française dans l’Indopacifique est une réponse globale aux défis auxquels est confrontée cette région où la France doit assumer le rôle d’une puissance médiatrice, inclusive et stabilisatrice.

Emmanuel Macron

Discours de Garden Island à Sydney le 2 mai 2018

Dans les zones qui entourent les territoires français des îles de La Réunion et de Mayotte ou encore les îles Éparses, de nombreuses richesses sont en jeu. En effet, les sous-sols de l'océan Indien renferment près de 55 % des réserves mondiales de pétrole, 60 % d’uranium, 80 % de diamant, 40 % de gaz et 40 % d’or, et ce, sans compter les réserves halieutiques, comme le rappelait en 2023 Ersilia Soudais, députée LFI en commission des affaires étrangères.

De plus, les îles Éparses, qualifiées de "sanctuaires océaniques de la nature primitive" par l'exécutif, disposent d’un patrimoine biologique terrestre et marin remarquable. Leurs plages sont des lieux de ponte parmi les plus importants au monde pour les tortues marines.

(Illustration)

Dans cette zone, le passé colonial de la France a laissé de nombreuses traces, notamment aux Comores qui revendiquent toujours leur souveraineté sur Mayotte. En outre, l'industrie du pétrole alimente de nombreuses tensions entre les deux pays. Des conflits qui sont représentatifs des rapports diplomatiques avec les pays du sud de l'Afrique, selon Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Po Paris. Selon lui, un vent "d'hostilité" planerait vis-à-vis de la France dans ces régions. 

Il est très difficile, à un moment où la France essuie de très sérieux revers en Afrique, notamment dans le Sahel, de considérer que ce qu’il se passe à Mayotte n’ait pas d’effet négatif sur la réputation, la perception de la France dans la région. À un moment où le populisme s’active dans la plupart des pays africains, on voit mal comment les dirigeants locaux et régionaux (…) pourraient longtemps résister à cette vague de méfiance et défiance, voire d’hostilité, à l’égard de la France et de cette présence très contestable sur l’île de Mayotte.

Bertrand Badie, professeur émérite à l'Université Sciences Po Paris

La 1ère

De plus, bien que la France soit déjà frontalière de 22 états dans le monde, son domaine maritime est toujours en progression. Cela est notamment rendu possible grâce à une extension de la Convention de Montego Bay (CNUDM) de 1982. Elle autorise chaque état côtier à revendiquer jusqu'à 350 miles (650 km) d'espace maritime pour des droits "illimités pour l’exploration et l’exploitation des ressources naturelles du sol et du sous-sol : hydrocarbures, minéraux, métaux ou ressources biologiques".

Une région à forte concurrence 

Pour protéger ses intérêts, l'État a donc mis en place un vaste réseau de sécurité militaire et de surveillance face à de forte puissantes militaires concurrentes américaines, russes ou chinoises. C'est le cas dans le canal du Mozambique, une route stratégique indispensable au commerce mondial. 

Grâce à sa position privilégiée, cette zone au cœur de l'océan Indien abrite un régiment de la légion étrangère capable d'accueillir des avions et des navires de guerre. La France y a également installé un centre d’écoute qui lui permet de surveiller l’ensemble de l’océan Indien et une bonne partie du continent africain.

Le canal du Mozambique et les stratégies françaises

Selon le ministère des Armées, cette omniprésence militaire serait indispensable pour pouvoir lutter "contre les activités illicites et contrepoids à l’influence chinoise" ou encore contre "la piraterie, la pêche illicite ou les trafics en tout genre". À travers tous ces espaces marins, la France se positionne ainsi en tant qu'actrice du commerce international et se place au cœur des discussions diplomatiques avec le Mozambique, la Tanzanie ou encore Madagascar, où des tensions subsistent.

Mais selon le professeur Bertrand Badie, "la pente paraît plus que descendante pour l’influence française" dans l'océan Indien. À l'origine, selon le politologue, la départementalisation de Mayotte en mars 2011.

Mayotte, c’est le résultat, en tant qu’entité départementale, d’une décolonisation que l’on a mise en échec. (...) Cette réalité multiséculaire qui relève d’une communauté de langue, de religion, du côté ethnique ou historique vient donner à la notion de "sol" une signification totalement différente. (...) Le sol mahorais, c’est avant tout et d’abord un sol comorien.

Bertand Badie, professeur émérite à l'Université Sciences Po Paris

La 1ère

Cette situation, observée et commentée de part et d'autres du globe, serait vue, selon Bertrand Badie de manière "catastrophique". Selon le spécialiste des relations internationales, pour l’ensemble des pays du Sud, "la décolonisation devait marquer la fin d’un monde". "La manière toute particulière dont s’est opérée la décolonisation des Comores laisse encore planer l’idée d’une persistance coloniale, mais, bien au-delà, vient remettre en cause, le principe sacro-saint, qui est le principe de l’intégrité territoriale" poursuit-il.

La situation migratoire à Mayotte, qui cristallise certaines des relations diplomatiques entre la France et les pays de l'océan Indien, ne s'arrêtera donc pas une fois un éventuel retrait du droit du sol acté. Pour Bertrand Badie, puisque l'abandon de Mayotte par la France est "impensable" pour la Confédération des Comores, le "nœud diplomatique reste insoluble". La situation et les intérêts de la France pourraient ainsi être menacés dans le cas d'une "régionalisation du conflit sur Mayotte".