De l'opération Wuambushu au blocage de l'île par une population en colère, une année marquée par les crises à Mayotte

Nouvelle manifestation ce mercredi 27 septembre place de la République contre la crise de l'eau.
En déplacement à Mayotte dimanche 11 février, le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin a annoncé un ensemble de mesures drastiques pour limiter l'immigration en provenance des Comores, de Madagascar et d'Afrique continentale. Ces annonces interviennent après des semaines de tensions et de blocages sur l'île. Retour sur une année marquée par les crises successives dans le département le plus pauvre de France.

À peine descendu de l'avion, Gérald Darmanin n'a pas fait durer le suspense sur les mesures d'urgence qu'il comptait prendre pour répondre aux demandes de la population mahoraise. "Une révision constitutionnelle fera qu’il ne sera plus possible de devenir Français à Mayotte si on n’est pas né de parents français", annonce-t-il. Dimanche 11 février, en déplacement à Mayotte avec la toute nouvelle ministre déléguée chargée des Outre-mer, Marie Guévenoux, le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer a listé un ensemble de mesures drastiques censées limiter au maximum l'immigration venue des Comores, de Madagascar et d'Afrique continentale.

Suppression du droit du sol, lancement d'une opération Wuambushu 2, mise en place d'un "rideau de fer", restriction du regroupement familial... Gérald Darmanin, arrivé avec des gendarmes du GIGN venus prêter main forte aux forces de l'ordre sur place, a promis de sortir l'île de la crise. Depuis des semaines, des collectifs citoyens bloquent les routes du département, en protestation contre l'insécurité et l'immigration. 

Pourtant, l'arrivée des deux ministres et des renforts n'a pas semblé apaiser les tensions. "Nous, on ne veut pas des 'peut-être'. On veut des actes concrets, précis, nets. (...) On ne lèvera pas les barrages, on ne veut pas être trahis une deuxième fois", a réagi avec véhémence une référente des "forces vives", le mouvement citoyen à l'origine des blocages, à Tsararano.

Comment le territoire a-t-il pu en est arriver là ? Il y a bientôt un an, le gouvernement lançait déjà une vaste opération pour lutter contre l'immigration illégale. L'accalmie relative qui a suivi n'a pas duré. Retour sur une année de crises et de tensions à Mayotte, le département le plus pauvre de France. 

  • L'opération Wuambushu

Territoire situé à proximité des îles des Comores, de Madagascar et de l'Afrique continentale, Mayotte vit depuis longtemps une pression migratoire que les pouvoirs publics peinent à contrôler. Entre 2012 et 2017, la population a augmenté de 3,8 % en moyenne par an, le plus fort taux de France. Selon l'Insee, près de la moitié des habitants n'a pas la nationalité française.

Soumise aux tensions sociales, à la délinquance et à la pauvreté, la population rejette la faute sur les migrants, appelant l'État à réguler radicalement les entrées et sorties du territoire. Ce sentiment antimigrants s'est illustré en 2022 par un soutien de masse de la population à Marine Le Pen, la candidate d'extrême-droite à l'élection présidentielle. 

Marine Le Pen avait été accueillie avec les honneurs en décembre dernier à Mamoudzou lors de sa visite à Mayotte.

En héritant du portefeuille des Outre-mer en juillet 2022, Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur venu de la droite, s'empare alors de ce dossier brûlant. En avril 2023, il monte une vaste opération avec trois objectifs bien précis : lutter contre l'immigration clandestine, contre l'habitat insalubre et contre la délinquance. C'est le début de l'opération Wuambushu.

Pendant plusieurs mois, avec l'aide de renforts venus de l'Hexagone, les pouvoirs publics multiplient les expulsions de migrants, les destructions de bidonvilles, les arrestations de délinquants... Malgré des débuts laborieux, l'opération Wuambushu porte peu à peu ses fruits et amène un semblant de calme sur l'île. Gérald Darmanin se félicite alors de l'arrestation de plusieurs chefs de gang, à l'origine du climat de tension perpétuelle dans le département.

Sauf qu'en juin et juillet 2023, la France connaît des nuits de violences urbaines après la mort du jeune Nahel, tué par un policier à Nanterre. Pour faire revenir l'ordre, le ministère de l'Intérieur rappelle des unités déployées à Mayotte. Les semaines suivantes, des dizaines de camions de gendarmerie quittent l'île. Petit à petit, l'opération Wuambushu arrive à son terme.

  • Une crise de l'eau sans précédent

Mais, à peine Wuambushu terminé, une autre crise vient frapper le département français : la sécheresse s'abat sur l'île, les retenues collinaires sont à sec. Face à cette situation, la préfecture n'a d'autre choix que de restreindre l'accès à l'eau potable, coupant les robinets deux jours sur trois dès septembre. S'ensuit alors une crise sanitaire et humanitaire sans précédent, alors que les Mahorais cumulent déjà les difficultés sociales. 

Face à cette situation, le gouvernement organise la distribution de bouteilles d'eau venues de La Réunion et de l'Hexagone, envoie des renforts, et accélère le chantier de l'usine de désalinisation, en attendant le retour des pluies.

Pourtant, les critiques s'abattent sur le pouvoir, qui, selon les habitants, a tardé à réagir. La population se sent abandonnée. 

  • Le camp de migrants du stade de Cavani

Ce sentiment de frustration grandit d'autant plus que l'accalmie partielle apportée par l'opération Wuambushu disparaît. Les violences ressurgissent subitement sur l'île. Des caillassages forcent les agents du Centre hospitalier de Mayotte à exercer leur droit de retrait. Des compétitions sportives sont annulées alors que des jeunes se sont faits agresser en marge de matchs de football...

Très vite, les tensions se cristallisent autour d'un camp de migrants originaires d'Afrique des Grands Lacs. Ils sont des centaines à s'être installés dans l'enceinte du stade de Cavani, à Mamoudzou. La population et le conseil départemental veulent les voir partir.

Migrants au stade de Cavani

Les habitants organisent des manifestations. La colère explose. Certains s'en prennent aux demandeurs d'asile. Pour exprimer leur ras-le-bol, les Mahorais et Mahoraises, organisés dans des collectifs, érigent des barrages pour bloquer les routes de l'île et les administrations publiques. 

Gérald Darmanin, alors en déplacement à La Réunion après le passage du cyclone Belal, annonce alors avoir demandé au préfet de Mayotte le démantèlement du camp de Cavani. Les réfugiés possédant un titre de séjour doivent être rapatriés dans l'Hexagone. Les personnes en situation irrégulière seront, elles, expulsées. 

  • Gérald Darmanin annonce des mesures drastiques

Mais la situation ne s'apaise pas. Les manifestations continuent, soutenues par les élus de Mayotte. À Paris, députés et sénateurs interpellent le gouvernement sur le sujet. La députée Estelle Youssouffa (LIOT) enchaîne les interventions médiatiques, appelant l'État à agir radicalement.

Gérald Darmanin décide alors de se rendre dans le département, accompagné de Marie Guévenoux, nouvelle ministre déléguée chargée des Outre-mer. Donnant rendez-vous aux élus et à la population dans la future loi Mayotte, promise par Gabriel Attal et censée répondre aux maux du territoire, le ministre a annoncé le renforcement du contrôle des frontières, la suppression totale du droit du sol à Mayotte et la préparation d'une opération Wuambushu 2.

Le député Les Républicains Mansour Kamardine a salué les mesures du ministre. Mais il presse néanmoins le gouvernement à agir vite : "J’espère que le Premier Ministre saura convaincre les groupes Renaissance, Horizons et MoDem de la nécessité de se libérer des emprises et des postures idéologiques pour les conduire à adopter les dispositions nécessaires pour que Mayotte reste Mayotte", a-t-il indiqué dans un communiqué.