"Même les valides ont plus de repos" : aux Jeux Paralympiques de Paris 2024, le rythme infernal des épreuves fatigue les athlètes

Timothée Adolphe (sur le sol) et son guide Jeffrey Lami à l'issue de la finale du 400 m T11 aux Jeux Paralympiques de Paris, au Stade de France, le 1er septembre 2024.
Certains sportifs handisports regrettent d'avoir à performer plusieurs fois en très peu de temps aux Jeux Paralympiques de Paris 2024. Un rythme fatigant qui a un impact sur leurs performances et leurs résultats. Et qui peut aussi favoriser les blessures.

"En deux tours, on était peut-être intouchables. Le troisième tour, il m'a été fatal." Timothée Adolphe a la médaille d'argent amer. Sacré vice-champion paralympique sur 400 m avec son guide d'origine antillaise Jeffrey Lami dimanche soir au Stade de France, le sprinteur non-voyant accuse le coup des trois courses – premier tour, demi-finale puis finale – qu'il a dû enchaîner en à peine deux jours.

Alors qu'il a survolé ses deux premiers tours samedi, améliorant au passage son chrono entre la matinée et la soirée, le "Guépard blanc" n'a pas réussi à maintenir le rythme en finale. En tête pendant la grande majorité du temps, lui et son guide sont doublés dans les toutes dernières secondes de l'épreuve par le duo vénézuélien, sacré champion paralympique. "En milieu de ligne droite, on perd la synchronisation, ce qui met le binôme en difficulté. Sur les derniers mètres, au moment où on commence à sentir la fatigue dans les jambes et l'acide lactique monter, on a du mal à se trouver", analyse Jeffrey Lami après la course. "C'est difficile d'enchaîner trois tours de 400 [mètres] en deux jours", souligne-t-il. 

Comme les deux sprinteurs français, pourtant récompensés d'une belle médaille d'argent, certains para athlètes trouvent le rythme des épreuves infernal. Aligné lui aussi sur le 400 m, mais en catégorie T53 (qui concerne les personnes en fauteuil roulant), le multi-médaillé calédonien Pierre Fairbank a également couru son premier tour et sa finale dans la même journée, dimanche. S'il a réalisé le meilleur temps de sa saison dans la matinée (49"10), il a fini la finale à la sixième place, en 50"37, dans la soirée. "C'est mieux une course par jour, reconnaît le quinquagénaire. Mais bon, on est entrainés pour."

Un frein pour les performances

Ce rythme très soutenu n'est en soit pas scandaleux étant donné que tous les para athlètes sont logés à la même enseigne. "C'est le binôme le plus résistant des trois tours qui a gagné", souligne d'ailleurs Jeffrey Lami, nouveau vice-champion paralympique du 400 m avec Timothée Adolphe. Mais la question de l'organisation des épreuves aux Jeux Paralympiques peut tout de même légitimement être posée. Car les athlètes n'ont pas à subir cette même cadence infernale aux Jeux Olympiques.

"C'est complètement aberrant puisqu'on ne le fait pas chez les valides", s'étonne Dimitri Demonière, ancien sprinteur martiniquais de haut niveau et désormais directeur du pôle France athlétisme à l'INSEP, où il entraîne des para athlètes bleus. "Ce rythme-là est faisable", dit-il. Les sportifs de haut-niveau sont préparés à l'intensité des grandes compétitions. "Mais le temps proposé aux athlètes n'est pas suffisant pour que la performance soit au rendez-vous."

La sprinteuse Mandy François-Elie lors de la finale du 200 m T37 aux Jeux Paralympiques de Paris 2024, le 30 août, au Stade de France.

Aux Jeux Olympiques, les athlètes bénéficiaient en général d'au moins 24 h, voire 48 h, de repos entre deux courses. Une période nécessaire pour récupérer correctement, se préparer et arriver en forme en finale. Aux Jeux Paralympiques, la donne est différente. Il n'est pas rare de voir un para athlète sur les pistes le matin, puis le retrouver une nouvelle fois le soir-même pour les demi-finales ou la finale. "Le corps a besoin d'un certain temps pour récupérer", rappelle avec évidence Dimitri Demonière.

C'est le cas en para athlétisme, mais aussi dans d'autres disciplines paralympiques comme la para natation ou le para cyclisme, par exemple. Les sports collectifs demandent aussi un effort assez intense aux rugbymen, aux basketteurs et aux footballeurs en situation de handicap, qui doivent jouer chaque jour alors que leurs coéquipiers valides avaient un match un jour sur deux.

Valides et non-valides : une même physiologie

Difficile de savoir pourquoi le calendrier des épreuves paralympiques est si condensé comparé à celui des épreuves olympiques. Une des explications peut être la hausse du nombre d'athlètes (4.400 à Paris) et la multiplication du nombre d'épreuves selon les catégories de handicap (par exemple, il y a 16 finales du 100 m masculin). Il s'agit de réussir à organiser toutes ces épreuves en onze jours.

La venue de plus en plus d'athlètes issus de pays émergents, qui n'envoyaient pas forcément de délégation aux précédentes Paralympiades, n'a pas non plus été intégrée dans l'organisation de la compétition. Leur niveau est souvent bien moins élevé que celui des sportifs de haut-niveau qui disposent d'infrastructures spécifiques pour s'entraîner toute l'année. Sauf que le Comité international paralympique les fait courir avec les autres. Un tour préliminaire pour sélectionner les meilleurs d'entre eux (comme aux JO) permettrait aux autres de ne pas dépenser leur énergie dans un premier tour peu compétitif, juge le coach Dimitri Demonière.

"Quand on se retrouve dans des conditions comme ça, c'est très difficile non seulement d'aller chercher de la performance, mais aussi de récupérer, d'enchaîner derrière. Le risque de blessure est important", affirme l'ancien spécialiste du 100 mètres. C'est aussi l'avis du Docteur Frédéric Depiesse, spécialiste en médecine physique et de réadaptation au sein de l'Institut Mutualiste Montsouris. "Il faut être bien préparé pour tout enchaîner", dit-il. Or, "dans le para sport, on n'est pas encore arrivé au même niveau de maturité de gestion que dans le sport valide", dit-il.

Pierre Fairbank lors de l'épreuve du 400 m T53 aux Jeux Paralympiques de Paris, au Stade de France, le 1er septembre 2024.

Le médecin rappelle que certaines pathologies amènent les athlètes à gérer la fatigue et l'effort d'une manière différente que les sportifs valides, même si, in fine, la physiologie reste la même entre athlètes et para athlètes. "Les maladies qui touchent la moelle épinière ou les nerfs peuvent donner des fatigues neuro-musculaires ou des fatigues centrales, du cerveau", prend-il en exemple. Reste que, pour un non-voyant comme Timothée Adolphe, la récupération est la même que pour un coureur valide. En faisant trois courses en seulement deux jours, il doit donc fournir plus d'efforts qu'un athlète qui courrait sur trois ou quatre jours.

Le nouveau vice-champion paralympique du 400 m réclame depuis plusieurs années une meilleure répartition des épreuves lors des compétitions internationales. Car ce rythme infernal n'est pas nouveau : il existait déjà aux championnats du monde de Paris en 2023. Contacté, le Comité international paralympique n'a pas encore répondu à nos sollicitations. Timothée Adolphe, lui, continue sa préparation pour ses prochaines épreuves. Mercredi et jeudi, il sera une nouvelle fois sur la piste violette du Stade de France pour courir le 100 m T11. Encore une fois, il enchaînera trois courses en deux jours.