Ministre de l'Éducation de 1993 à 1997, député à trois reprises entre 1986 et 2012, éphémère garde des Sceaux en 2017, François Bayrou n'est clairement pas un petit nouveau. Le président centriste du MoDem tout juste nommé Premier ministre par Emmanuel Macron s'est fait remarquer des Outre-mer ces dernières années. En avril 2018 par exemple, il a souhaité que l'État reconnaisse l'état de catastrophe naturelle à la suite des échouages massifs des sargasses sur les côtes de la Martinique.
"Si ce n'est pas une catastrophe naturelle, qu'est-ce qui en est une ?, avait-il lancé à propos des réticences possibles des compagnies d'assurances sur ce dossier. Je m'engage à défendre cette nécessité et cette urgence que cela soit effectivement accepté comme ce que c'est, c'est-à-dire une catastrophe naturelle qui doit entraîner des mécanismes d'assurance et la solidarité."
Quand il retirait Césaire des programmes
De la Martinique, ce professeur agrégé de lettres classique connaît nécessairement Aimé Césaire. Le Monde rappelle que lorsqu'il était ministre de l'Éducation nationale, il avait décidé en 1995 de retirer du programme de lettres des terminales L (littéraires) le Cahier d'un retour au pays natal et le Discours sur le colonialisme, les deux œuvres les plus connues et les plus emblématiques du chantre de la négritude.
Interrogé par Le Canard Enchaîné, François Bayrou avait alors affirmé que ce n'étaient pas des "remous idéologiques" qui avaient motivé sa décision, mais qu'il jugeait Aragon "plus représentatif de la littérature française" que l'écrivain martiniquais.
Un recteur d'académie avait livré une autre version : "François Bayrou avait reçu de nombreuses protestations d'enseignants de terminale, qui trouvaient Césaire trop difficile [...]. Il avait souhaité qu'on modifie le programme et avait choisi Aragon précisément pour ne pas prêter le flanc à l'accusation de choix idéologique."
La colonisation, pas un crime contre l'humanité
Il était en tout cas intervenu sur la question de la colonisation en 2017 en exprimant son "incompréhension" face aux propos d'Emmanuel Macron, alors leader d'En marche ! Ce dernier avait qualifié la colonisation française de "crime contre l'humanité". Pour le président de MoDem, c'était "une phrase blessante pour beaucoup de Français, et qui ne correspond pas à la vérité historique". Le maire de Pau avait estimé que "le crime contre l'humanité est imprescriptible et c'est un crime qui vise à faire disparaître de la terre une partie de l'humanité".
"Ce qu'a été cet épisode de la présence de la France en Algérie et en Afrique ne correspond absolument pas à ça", avait-il souligné, en reconnaissant en même temps "les souffrances qui ont été causées par ce mouvement-là dans tous les sens et dans tous les camps".
Un désaccord qui n'avait pas empêché François Bayrou d'annoncer dans le même temps son alliance et ralliement à Emmanuel Macron pour la présidentielle de 2017. Cette décision a dû être un renoncement pour le responsable du MoDem qui s'était par le passé présenté trois fois à l'élection suprême (2002, 2007, 2012).
Priorité à la continuité territoriale
Il s'était ainsi rendu à La Réunion en mars 2007 pour y exposer son programme. Affirmant venir sur l'île depuis plusieurs années parce qu'il "aime l'île et son mode de vie" ainsi que "ses valeurs", il avait défendu l'idée d'un État impartial qui ne favorise pas tel ou tel clan, dans une interview au Journal de l'île de La Réunion.
À l'époque président de l'UDF (Union pour la démocratie française, disparu depuis 2007), François Bayrou assurait vouloir faire de la continuité territoriale une "priorité". "Par exemple, l'effort que l'État fait en Corse, il est nécessaire d'y penser pour la Réunion", avait-il déclaré, une idée reprise d'ailleurs en 2023 par la mission sénatoriale sur la continuité territoriale entre l’Outre-mer et l’Hexagone. "Peut-être en pensant à la Réunion comme un 'hub océan Indien', c'est-à-dire comme une plaque tournante pour l'océan Indien", avait-il ajouté.
Dans cette même interview, François Bayrou parlait déjà à l'époque d'"État ruiné" et se disait favorable à "inciter les entreprises à partager une part de leurs bénéfices à la fin de l'année avec leurs salariés", ou "permettre à chaque entreprise de créer deux emplois nouveaux sans avoir à créer de charges". Il s'était également positionné pour créer une "zone franche globale" pour que les impôts et charges pèsent moins sur les entreprises.
"L'avenir, ce n'est pas l'assistance"
Des propositions reprises cinq ans plus tard lors sa tournée dans les Antilles-Guyane et à La Réunion pour la présidentielle de 2012. "L'État n'aura plus les moyens de l'assistance donc il n'y a qu'un chemin possible, c'est de soutenir l'activité", avait-il déclaré en mars 2012 alors qu'il était en visite au Marin, en Martinique.
"L'avenir de l'Outre-mer, ce n'est pas l'assistance, c'est le développement, c'est la force de mettre en place un tissu productif et d'organiser toutes les activités (...) dans des conditions de concurrence et de travail qui soient bonnes" avait-il réitéré quelques jours plus tard en Guadeloupe, au micro de RCI.
Interrogé sur la vie chère en Outre-mer, François Bayrou avait estimé qu'elle avait "deux composantes, l'éloignement, qui est physique, et l'organisation de la distribution, une composante à laquelle on peut apporter un certain nombre de changements et de remèdes".
Il avait aussi évoqué "un plan de développement pour chacune des régions d'Outre-mer" : "Les problèmes de la Guyane ne sont pas les mêmes que les problèmes de la Martinique, qui ne sont pas les mêmes que ceux de la Guadeloupe ou de l'océan Indien ou du Pacifique."
Pro-autonomistes
Dans le Pacifique, il s'y était rendu en 2005 pour l'élection de l'assemblée de la Polynésie française 2005. Il soutenait alors la liste de l'Alliance pour une démocratie nouvelle, c'est-à-dire les autonomistes.
Invité sur le Caillou, il avait livré aux Nouvelles Calédoniennes sa vision des Outre-mer qui d'après lui avaient "besoin de transparence" en politique : "Désormais, le droit et la démocratie en Outre-mer doivent être au moins égaux au droit et à la démocratie en métropole. En clair, le temps où les décisions étaient inspirées uniquement par l'esprit de parti, ou bien selon les amitiés qui liaient les responsables d'Outre-mer et ceux de métropole, doit céder la place à un temps nouveau."
Interrogé sur l'évolution politique de la Nouvelle-Calédonie depuis 1989, François Bayrou se targuait d'être "l'un des rares députés de droite à voter oui pour le référendum" de 1988 qui entérinait les accords de Matignon et à saluer le travail de Michel Rocard "pour rapprocher" les indépendantistes et les non-indépendantistes.
Un ministère des Outre-mer à part entière ?
Le centriste avait cependant botté en touche sur la question du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, la ministre des Outre-mer s'étant engagée en 2005 à proposer un texte destiné à le geler. "Je comprends les arguments des uns et des autres mais je pense qu'un accord ne peut être changé que par un autre accord, et certainement pas par un coup de force, avait-il alors déclaré. Il ne faut jamais oublier que les accords de 1989 puis de 1998 ont permis à la Nouvelle-Calédonie de sortir d'une situation dramatique."
François Bayrou avait insisté en 2005 sur le fait que les territoires ultramarins ne sont pas une charge mais "une richesse" à ses yeux. Des propos réitérés en 2012 lors de sa visite à La Réunion pour l'élection présidentielle : "Il faut penser différemment l'Outre-mer, pas comme une charge, une obligation mais comme une clef de développement."
À cette époque, il l'avait promis : s'il était élu président de la République, il doterait les Outre-mer d'un ministère à part entière. Se souviendra-t-il de cette promesse 12 ans plus tard en tant que Premier ministre ?