De l’accord de Nouméa, l’on garde en souvenir cette image de la double poignée de main entre Roch Wamytan, Lionel Jospin et Jacques Lafleur qui scellait symboliquement l’avenir de la Nouvelle-Calédonie pour les 20 années à venir après des négociations incertaines.
Signé le 5 mai 1998, ce texte est en fait le prolongement des accords de Matignon. Ces derniers avaient été négociés 10 ans plus tôt pour mettre fin aux violences qui ont endeuillé le territoire dans les années 1980, dont le climax a été le drame d’Ouvéa le 5 mai 1988.
Ces accords de Matignon ont permis de rétablir la paix civile et d’engager une phase de développement de 10 ans, avec un rééquilibrage des pouvoirs et des responsabilités entre indépendantistes et non-indépendantistes.
Ils projetaient aussi à l’issue de la décennie un référendum pour ou contre l’indépendance, mais à l’approche du scrutin d’autodétermination, les conditions ne semblaient pas réunies pour que ce vote se déroule sans heurts.
Autodétermination et gel du corps électoral
Est donc signé l’accord de Nouméa qui repousse le scrutin d’autodétermination. L'accord de Nouméa prévoit ainsi trois référendums sur l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie en cas de vote négatif pour les deux premiers.
Si les Calédoniens répondent par trois fois non à la question "Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?", alors l’accord de Nouméa planifie que les partenaires politiques se réunissent "pour examiner la situation ainsi créée" (ce que nous vivons actuellement).
Mais tous les habitants ne peuvent pas voter car ce texte instaure un corps électoral restreint pour les référendums et les élections provinciales. Concrètement, il s’agit de limiter le droit de vote des habitants installés récemment et de permettre aux Kanak de peser dans les décisions politiques.
La liste est ainsi limitée à ceux qui ont ou auraient pu participer au scrutin de 1998, et ceux pouvant justifier d'une durée de 20 ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie à la date de la consultation et au plus tard au 31 décembre 2014.
Un transfert progressif des pouvoirs
Dans le texte est également précisé que "tant que les consultations n'auront pas abouti", "l'organisation politique mise en place par l'accord de 1998 restera en vigueur".
En effet, l'accord de Nouméa ne parle pas seulement de l’autodétermination mais "définit pour vingt années l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie et les modalités de son émancipation" via une modification de la Constitution française.
Il prévoit ainsi de donner au Caillou une plus grande autonomie au travers d’un transfert progressif et irréversible des pouvoirs. Certaines compétences sont destinées à être partagées, comme celles concernant l’entrée et le séjour des étrangers sur le sol calédonien, les relations internationales dans la région Pacifique ou encore la réglementation minière.
Au terme de l’accord, seules les compétences régaliennes – à savoir les affaires étrangères, la défense, l’ordre public, la justice et la monnaie – restent uniquement à la main de l’État si l’indépendance est rejetée. Si l'indépendance est acceptée, celles-ci sont transférées vers la Nouvelle-Calédonie qui devient une nation à part entière.
De nouvelles institutions
Pour que la Nouvelle-Calédonie exerce ces compétences, le texte de 1998 reconnaît l’existence d’institutions propres aux Calédoniens :
- Un gouvernement collégial qui détient le pouvoir exécutif
- Un congrès qui partage le pouvoir législatif avec l’Assemblée nationale
- Un sénat coutumier qui porte la coutume kanak au sein des institutions
L’accord de Nouméa donne ainsi le pouvoir au congrès calédonien de promulguer des lois du pays qui ne peuvent être contestées que devant le Conseil constitutionnel. Dès sa rédaction en 1998, le texte prévoit d’ailleurs une loi du pays destinée à "privilégier l’accès à l’emploi" des habitants installés durablement sur l’île.
Quant au Sénat coutumier, émanation du Conseil coutumier, le texte indique noir sur blanc qu’il doit être "obligatoirement consulté sur les sujets intéressant l'identité kanak".
Préambule : "le destin commun"
La mention de l’identité kanak n’est pas anodine, car toutes les transformations inscrites dans l’accord de Nouméa se fondent sur son préambule qui reconnaît d’une part la légitimité du peuple autochtone que sont les Kanak ; d’autre part la légitimité des autres communautés d’origines multiples arrivées tout au long de la période coloniale.
Dans ce texte, tous les signataires reconnaissent par ailleurs "les ombres de la période coloniale, même si elle ne fut pas dépourvue de lumière".
C’est sur cette base - cette double légitimité des peuples et cette reconnaissance de la colonisation comme "traumatisme durable" - que l’accord de Nouméa entend bâtir les fondements d’une citoyenneté calédonienne "affirmant son destin commun".
Si la notion de citoyenneté calédonienne repose sur le corps électoral restreint et la priorité à l’emploi donné aux habitants de longue durée, l’accord de Nouméa propose aussi de créer "des signes identitaires du pays". Est ainsi écrit : "nom, drapeau, hymne, devise, graphismes des billets de banque devront être recherchés en commun pour exprimer l'identité kanak et le futur partagé entre tous".
Une situation unique résumée dans ce reportage de Nathalie Nouzières :
25 ans après la signature de cet accord et son approbation par les Calédoniens, plus d’un an après le 3e référendum d’autodétermination, qu’en reste-t-il ? Réponse dans le second article de ce dossier.