Des affrontements à l'apaisement, ce qu’on sait au lendemain des violences devant l’usine SLN de Nouméa

A l'entrée du site industriel de Doniambo, un engin de chantier s'attaque au poste de gardiennage.
Vingt-quatre heures après la soudaine explosion de violences devant l'usine SLN de Doniambo, au cœur de Nouméa, retour sur ce que l'on sait à ce stade des faits, de leur contexte et de leurs conséquences. Ce vendredi, les appels au calme se sont multipliés.

Jeudi 3 août, en fin d’après-midi, à Doniambo. Depuis le mardi soir, des manifestants sont mobilisés devant la Société Le Nickel. Un collectif de soutien à la Sonarep, la Société de navigation et de roulage de Poum, accompagné du syndicat des rouleurs pays. A l’intérieur, le syndicat principal de la SLN, le SGTINC.

Une étincelle qui met le feu

Il est environ 16h30, c'est le moment du changement de quart entre les employés. Les esprits s'échauffent, la violence éclate. Deux engins de chantier s'affrontent à hauteur du pont dans un duel improbable. De nombreux cailloux volent. L'accès au périmètre de l'usine est forcé. Le poste de sécurité, la guérite du gardien, une chargeuse, des voitures, des panneaux de signalisation sont détruits par deux machines que conduisent des manifestants. L’entrée du site est dévastée. Tout ça sous les regards médusés des travailleurs.

"Le quart de jour pris en otage", un salarié témoigne

Jeudi soir, un employé de la SLN témoigne de la scène au micro de Charlotte Mannevy. "Le quart qui bossait la journée était pris en otage dans l'usine. Il y avait deux pelles. Une de la SLN et une du conflit, décrit-il. Manque de pot, la pelle du conflit a pu repousser la pelle de l'usine, et une rétro est rentrée par derrière, pour la soutenir. Les caillassages ont fait que notre chauffeur a rebroussé chemin et c'est là qu'ils se sont introduits, ont commencé à casser les véhicules, le poste de gardiennage…" 

Une cellule de soutien psychologique

Des salariés qui se voient contraints de rester dans l'usine. "Nous qui avons bossé le jour, ajoute ce témoin, on a pu sortir à 18h30, par là où les camions du port font les allers-retours, à l'entrée de la ville." Ils sont en effet évacués par l'accès arrière du site. Dans la nuit, un communiqué diffusé par la Société Le Nickel affirme que "de nombreux employés ont été caillassés, menacés à l’arme blanche et frappés". Il annonce la mise en place d'"une cellule de soutien psychologique".

"Provocation", accusent les manifestants

Le conflit a dégénéré sur fond d’accusation entre pro-Sonarep et membres du syndicat majoritaire de la SLN. Les premiers reprochent au SGTINC de les avoir “provoqués” avec une tractopelle alors qu’ils étaient en pourparlers avec la direction. “On voit bien que le système met des moyens pour qu’il y ait des freins", lance même un porte-parole des rouleurs, jeudi soir, au micro de Dave Waheo-Hnasson et Franck Vergès. "Et ça va jusqu’à utiliser des syndicats, du personnel, comme de la chair à canon, pour venir ici, sur notre piquet de grève, faire de la provocation.” Samedi après-midi, Sonarep et syndicat des rouleurs développent leur version des faits devant les médias.

Déploiement policier et interpellations

Très vite, les forces de l'ordre bouclent ce site industriel extrêmement sensible puisque classé ICPE. La police, appuyée par la gendarmerie, est déployée en nombre, y compris le GIGN, avec blindé. A peine une heure après l'embrasement, deux hommes sont interpellés, âgés de 65 et 28 ans. L'enquête est dirigée par la police judiciaire. Le procureur de la République évoque "les infractions de dégradations graves commises en réunion et violences avec arme en réunion”. Peu avant 20 heures, alors que les forces de l’ordre ont investi les lieux sans heurt, une partie du dispositif de sécurité est levé. Un cordon important demeure toutefois sur place, vendredi, et doit rester ce week-end.

D’énormes dégâts

Le lendemain matin, la SLN procède au déblayage de son accès. Le premier employeur privé du pays avance aussi une estimation des dégâts subis. La somme est énorme. L'outil industriel a été préservé, mais la direction évoque un montant d'au moins 250 millions de francs. Une estimation qui va être réévaluée à 300 millions, selon le parquet. Sans compter les pertes de production occasionnées par ces troubles. Il est question d'une centaine de tonnes. 

Pour la direction, "la meilleure réponse à la violence, c'est la performance"

"On est sous le choc", réagit Jérôme Fabre, le directeur général du Nickel, invité de Thérèse Waïa au journal télévisé de vendredi soir. "On a à peu près une dizaine de personnes qui ont été blessées, heureusement légèrement. On a frôlé la catastrophe et on a des installations qui ont été détruites par ces manifestants qui se prétendent de la Sonarep." Il poursuit : "Ça m'est insupportable de savoir que des salariés ont été menacés, ont été agressés, sur notre site. Aujourd'hui, c'est un appel au calme, le calme est revenu, c'est le retour à la sérénité. C'est de ça qu'on a besoin pour pouvoir produire. La meilleure réponse à la violence, c'est la performance."

Le symbole de soutien à la SLN qui s'est répandu sur les réseaux sociaux :

La vision du SGTINC

Glen Delathière, délégué syndical du SGTINC, a livré à Charlotte Mannevy sa vision de ce qui s’est passé. “Avec les gars de quart, il y a eu une altercation. Ils prennent à 17 heures. A 16 heures, les gens commencent à arriver. A 16h30, il y en a qui commencent à sortir. La tension est montée à ce moment-là, explique-t-il. C’est vrai qu’une pelle a été sortie, a été mise en face, mais à l’intérieur de la SLN. Je pense que ça a dû être très mal pris, ou comme de la provocation. C’est pour ça qu’ils ont foncé dans la pelle et qu’ils ont tout dégradé. Mais le but était de faire entrer le quart et d’avoir des explications pour leur dire que nous, en tant que syndicat majoritaire, on ne peut pas cautionner qu’on soit bloqués ou empêchés de travailler.”

Réactions et appels au calme

Glen Delathière qui passe un message, ce vendredi soir : “On appelle à l’apaisement. On a pas mal d’appels de gens de mine qui veulent nous soutenir, les salariés de la SLN qui sont remontés par rapport à ce qui s’est passé. Il faut que la justice fasse son travail, qu’on attende de voir et ce qu’on a besoin, c’est de produire. On a fait 4 725 tonnes le mois dernier. Au mois d’août, il faut qu’on fasse autant, voire plus.”

Cet épisode violent suscite de nombreuses réactions. Condamnation, soutien à la SLN et appel au calme : voilà le ton général des communiqués et des réactions recueillies, à retrouver ici. Ce vendredi, le collectif de soutien à la Sonarep et le syndicat des rouleurs pays appellent aussi à l'apaisement.

Un bien mauvais moment

Rappelons que l'embrasement de jeudi tombe juste après la publication, en début de semaine, d'un rapport sur l'avenir de la filière nickel en Calédonie. Rendu par l’Inspection générale des finances et le Conseil général de l’économie, il fait suite à une mission d'experts venue il y a quelques mois. Et leurs conclusions s'avèrent alarmantes. 

Le déplacement d’un problème

N'oublions pas non plus qu'à l'origine de cette situation qui a dégénéré, il y a le placement en liquidation judiciaire de la Sonarep, entreprise d'actionnariat populaire en proie à d'importantes difficultés financières, et ses répercussions sociales en chaîne dans la région de Poum. “Ce qui est au cœur de ce qu’on est venu faire ici, ce sont les 400 personnes qui sont sur le carreau", entend resituer Christian Dahote, président du conseil d’administration, et représentant du collectif de soutien à la société. "Quand on parle de 400 personnes, c’est plus que ça, c’est toute la population de Poum, du Grand Nord, qui est impactée. C’est douloureux. On a écouté, c’est dramatique. Les mots ne suffisent pas, il faut regarder le visage de chaque jeune engagé sur cette exploitation sur Poum.”

Des manifestants ont passé la nuit sur place à Doniambo avec camions et engins miniers, sous haute surveillance policière. Ce vendredi matin, le président du Congrès, Roch Wamytan, et un membre du gouvernement ont reçu une délégation.

Le point par Dave Waheo-Hnasson et Franck Vergès :

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