"On est en train de passer une étape dans le cinéma antillais" : entretien avec Sonia Suvelor, productrice guadeloupéenne

Sonia Suvelor en tournage
Professeure d'anglais d'un côté, réalisatrice, productrice et scénariste de l'autre, Sonia Suvelor manie tous les aspects artistiques depuis son enfance à Saint-François. Résidant à Montreuil depuis plusieurs années maintenant, la réalisatrice guadeloupéenne poursuit son ambition de faire grandir la fiction antillaise en ne s'octroyant aucune limite.

De son enfance à Saint-François en Guadeloupe à la direction de projets tous plus ambitieux les uns que les autres, Sonia Suvelor a soif de concevoir, transmettre et de partager. À travers ses productions et son parcours atypique, la professeure d'anglais manie tous les aspects du milieu audiovisuel, du scénario à la réalisation.

Qu'elle soit directrice artistique ou productrice exécutive, Sonia exploite son panel de compétences pour proposer des visuels originaux destinés à des clips musicaux, des festivals ou à la création d'événements.

Après une expérience comme assistante de production dans une entreprise audiovisuelle caribéenne, elle se dirigea vers les Etats-Unis pour y faire un lectorat. Durant son passage en Californie, elle en profita même pour organiser un festival caribéen où des initiations au gwoka étaient proposées ou encore la découverte de la recette du colombo.

Et depuis quelques mois, Sonia compte mettre une de ses nombreuses casquettes pour concrétiser ses projets de fiction. Étroitement liés à son histoire personnelle, ses projets de court et long métrages devraient voir le jour courant de l'année. 

Sonia Suvelor sur le tournage d'un clip musical


Une relation très étroite avec les Antilles  

Depuis le début de sa carrière, Sonia travaille avec des femmes et des hommes originaires des Outre-mer, grâce à ses relations, ses contacts ou par affinités. Désormais, elle souhaite s'attaquer à la fiction, un projet plus que personnel : "J'ai la volonté de dénoncer des injustices sociales, en lien avec mes racines". 

Dans un milieu très masculin et majoritairement blanc, s'imposer dans l'audiovisuel n'est pas une mince affaire, explique Sonia. Grâce à des réalisatrices comme Anne-Sophie Nanki ou Enricka MH, pour qui le travail a été grandement salué, le respect est de mise.

Quand on est une femme noire, on cumule pas mal d’obstacles. Et des femmes ont pu transcender ça, c’est extraordinaire.

Sonia Suvelor

À propos du cinéma antillais, "c'est un tournant" pour Sonia. Et effectivement, l'industrie cinématographique antillaise change de dimension depuis quelques années. Primée, récompensée et mise à l'honneur, cette industrie fascine et offre de nouvelles ambiances, de nouveaux décors à un public plus large. Jimmy Laporal-Trésor, le réalisateur guadeloupéen, à la tête des films Les Rascals, Soldat Noir,... fait partie de ceux qui l'inspirent. Et parmi tant de projets, Sonia a décidé de collaborer avec les premiers producteurs guadeloupéens à porter un film jusqu'à la présélection aux César. Pour le film Timoun Aw, qui compte plus d'une vingtaine de sélection et prix en festival internationaux, co-produit par le Guadeloupéen Yannick Rosine.

Si la production et la réalisation antillaise sont à présent reconnues à l'international, la production locale est fortement mise en avant et défendue par les Antilles. Sonia Suvelor clame que "grâce à ces boites de production, on est en train de passer une étape dans le cinéma antillais". Notamment grâce à la location de matériel qui se répand de plus en plus sur les territoires ultramarins et au développement des formations locales.

Cette indépendance grimpante, logistique ou matérielle, vis-à-vis de l'Hexagone participe à l'émancipation de la production locale. Une initiative poussée par la Région Guadeloupe qui encourage et aide davantage les réalisateurs et scénaristes lorsqu'ils font appel à des entreprises exclusivement guadeloupéennes. Pour Sonia Suvelor, "Plus l’audiovisuel va se concrétiser, plus ça va donner libre cours à l’épanouissement artistique dont on a besoin."

Et la productrice ajoute que "les Antilles montrent à peine ce qu'elles sont capables de faire, les réseaux sociaux vont leur permettre d'exploser". C'est l'une des raisons pour laquelle la professeure originaire de Saint-François souhaite réaliser ses projets de court et long métrages.

En abordant des thèmes humains centrés sur la personne antillaise, Sonia poursuit, d'une certaine façon, le combat entamé par son père, Victor Sabardin, auteur du livre "Journal atypique d'un nègre fou - La Guadeloupe est malade". Ce livre, publié en 2000, pointait déjà du doigt la politique guadeloupéenne : "Malheureusement, ce qui est intéressant, c'est qu’il a été assez visionnaire. Il parlait de corruption, des conséquences de certaines dérives politiques guadeloupéennes comme le chômage, l'exclusion, la culture locale, l'ascension sociale..."

Passé, présent et futur 

Pour ses projets à venir, Sonia compte désormais revenir sur sa terre natale afin d'y tourner ses films. Elle prévoit de tourner à des endroits qui l'ont marqué, comme à Saint-François, et est bien décidée à faire appel à des productions locales : "C’était essentiel pour moi de passer par des Guadeloupéens pour faire un film en Guadeloupe". 

Le chanteur guadeloupéen Dafxck sur le clip du morceau " Shugar "

En attendant la concrétisation de ses fictions, Sonia tourne toujours pour la scène rap et pop urbaine. À la tête de nombreuses conceptions artistiques, la productrice compte bien s'imposer dans l'art visuel, tout en gardant sa volonté de promouvoir un cinéma moderne, à l'affront des inégalités territoriales.