"On n’est pas sur la sellette, mais on reste vigilants" : les producteurs d’alcool ultramarins s’inquiètent de la menace de surtaxe voulue par Trump

Bouteilles de vin de Cilaos, à La Réunion.
Le locataire de la Maison Blanche menace d'imposer des droits de douane de 200 % sur le champagne et les vins français et européens si l'Europe ne renonce pas à son projet de taxer à hauteur de 50 % le bourbon américain. Une annonce de Donald Trump qui fait craindre le pire aux professionnels du secteur.

C’est une attaque à peine voilée à la France. Le 13 mars, le président américain a averti la France et l'Union européenne qu'il imposerait des droits de douane de 200 % sur les champagnes, vins et autres alcools si les Vingt-Sept persistaient dans leur projet de taxer le bourbon américain à hauteur de 50 %.

La veille, en effet, l’UE annonçait la mise en place imminente de droits de douane sur plusieurs produits américains, tels que le bourbon, les motos et les bateaux, en réponse aux surtaxes de 25 % appliquées sur l'acier et l'aluminium à compter du même jour. 

La riposte de la Maison Blanche ne s’est pas faite attendre. Avec cette annonce choc, Donald Trump fait un pas de plus dans la guerre commerciale et dans la communication politique musclée à laquelle le président américain est coutumier. 

Le premier marché mondial de champagne

200 % de taxes à l’importation, un chiffre qui fait craindre le pire chez les professionnels français du vin. Actuellement, la majorité des produits alcoolisés européens entrent aux États-Unis sans droits de douane (seuls 2 % étant appliqués sur les vins pétillants, selon l'Organisation mondiale du commerce). 

"Le marché des États-Unis, c’est le marché le plus important pour le champagne, insiste la Guadeloupéenne Marie-Inès Romelle, fondatrice et dirigeante des champagnes Marie-Césaire, aux portes de Reims. Donc forcément, il y a des inquiétudes. Heureusement, pour moi, ce marché américain ne représente que 5 %, donc une partie infime de ma production. Mais pour mes collègues, pour le monde viticole, bien évidemment, ce sont des inquiétudes parce qu’il y a des emplois qui sont menacés, il ne faut pas se mentir. Taxer à plus de 200 %, c’est menacer 70.000 emplois derrière."

Marie-Inès Romelle dans les vignes du village d’Écueil, dans la Marne.

En France, les professionnels du secteur viticole s’agacent de ces décisions politiques. Et l’inquiétude gagne du terrain, chez les vignerons. "Entendre que ce marché risque de mettre en place des droits de douane aussi élevés fait craindre le pire pour la production de vin français et pour le marché du vin qui est déjà, dans beaucoup de régions viticoles françaises, impacté par une baisse de la consommation et des ventes", rappelle Olivier Cadarbacasse, viticulteur dans le Bordelais et dans le chai de Cilaos, à La Réunion.

Les producteurs français ne sont pas les seuls à avoir peur. Outre-Atlantique, les importateurs s’activent pour maximiser le stock, avant que cette menace du président Trump ne soit mise à exécution. "En ce moment, les collègues du champagne se retrouvent avec des commandes énormes, parce que les importateurs ont peur de cette surtaxe", souffle Marie-Inès Romelle, dont le distributeur américain avait fait entrer ses caisses avant même les élections de novembre dernier. 

Des conséquences directes sur les portefeuilles américains

Car les conséquences de cette mesure sur les droits de douane se feront forcément ressentir chez les producteurs, mais aussi sur les consommateurs américains. "Typiquement, aujourd’hui, aux États-Unis, quand vous trouvez une bouteille de champagne à 60 €, il faut se dire que demain, elle va se retrouver à minimum 180 , ajoute Marie-Inès Romelle, à la tête de sa maison depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui, qui, dans la population américaine, peut se payer des bouteilles à 180 € ? Bon, il y a quand même des riches là-bas, mais ce n’est pas tout le monde…"

Pas le temps d’attendre le sursaut des consommateurs américains, pour Marie-Inès Romelle. La Champenoise d’origine guadeloupéenne plaide pour un élargissement du marché du champagne pour s’émanciper des seuls clients américains. "On ne peut pas être comme ça à la merci d’un chef d’État pour nos produits, martèle-t-elle. Ce n’est pas possible. Donc il faut que les maisons de champagne, beaucoup plus importantes que la mienne, puissent avoir une réflexion sur d’autres marchés. Pour moi, les autres marchés, ce sont déjà les territoires français, les Outre-mer, car il y a une forte demande sur la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et La Réunion".

Et pourquoi pas se tourner vers d’autres régions. Cette mesure choc de Trump pourrait avoir un effet stimulant sur d’autres marchés viticoles. Dans l’océan Indien, les producteurs de vin français pourraient tenter de s’imposer à l’île Maurice, ou dans d’autres zones touristiques de la région. Olivier Cadarbacasse l’assure, ses confrères regardent de plus en plus près le marché sud-africain, "un pays qui aime le vin, et qui en produit". La dynamique est claire, du côté des producteurs français : exit les États-Unis comme marché ultra-majoritaire des vins et champagnes.

La filière rhum préservée ?

Côté spiritueux, si le cognac et l’armagnac sont dans le viseur de Donald Trump, avec son projet de droits de douane élevés à 200 %, la filière rhum, elle, semble pour le moment épargnée. "On reste vigilants, mais pour le moment, on n’est pas encore sur la sellette comme peuvent l’être certains professionnels de la filière cognac, ou des vins, confirme Marc Sassier, président de l’appellation d’origine contrôlée Rhum de la Martinique. Pour le moment, même si on perdait le marché des États-Unis, ce n’est pas pour autant qu’on ne se relèvera pas. Ça représente une petite part de notre marché."

Photo d'illustration. Des bouteilles de rhum produites à l'habitation Clément en Martinique

Pour autant, celui qui est aussi responsable de la production de la distillerie Saint-James ne crie pas victoire trop vite. "On reste vigilants et on surveille ces décisions politiques comme le lait sur le feu. Monsieur Trump changeant d’avis souvent et puis ayant souvent de nouvelles lubies, on ne sait jamais…", conclut Marc Sassier.

Les États-Unis restent le premier marché à l'international pour les vins et spiritueux, avec une croissance de 5 % des ventes françaises en 2024, atteignant 3,8 milliards d'euros, notamment grâce aux exportations de vins et de cognac.