Après la crise sécuritaire, la crise de l'eau et la crise des barrages, Mayotte connaît une nouvelle crise, sanitaire cette fois-ci. Depuis bientôt trois mois, le nombre de cas de choléra se multiplie dans l'archipel. Le dernier bilan publié par l'agence régionale de santé (ARS) lundi 3 juin fait état de 138 cas depuis le 18 mars, dont la plupart sont autochtones. Deux personnes en sont mortes : une petite fille de 3 ans et une dame de 62 ans.
L'épidémie a commencé en début d'année dans les pays voisins, et en premier lieu aux Comores. Fin mai, l'archipel avait cumulé 6745 cas de choléra, dont 5712 rien qu'à Anjouan, l'île la plus proche de Mayotte. 118 personnes sont mortes du côté comorien.
Les flux de personnes étant nombreux entre les Comores et Mayotte, la bactérie a vite franchi la frontière et est parvenu à entrer en France. "La bactérie se transmet entre les hommes, mais en passant très souvent par l'environnement", rappelle le professeur Renaud Piarroux, spécialiste des épidémies à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP à Paris et chargé de mission auprès du directeur général de l’ARS de Mayotte.
La transmission se fait par une personne qui est malade, qui va contaminer l'environnement, par exemple un ruisseau, et d'autres personnes qui vont utiliser l'eau de ce ruisseau, soit directement pour boire, soit pour laver les légumes, soit pour faire la vaisselle.
Renaud Piarroux, chef du service de parasitologie à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP à Paris
Des quartiers insalubres sans eau potable
À Mayotte, département le plus pauvre de France, un nombre considérable de personnes vivent dans des logements insalubres, sans accès direct à l'eau potable. Or, le manque d'hygiène est le premier facteur facilitant la propagation du choléra. La semaine dernière, le magazine L'Express révélait l'existence de deux rapports qui pointaient justement du doigt le manque d'accès à l'eau potable dans ces quartiers défavorisés pour expliquer l'arrivée soudaine de cette épidémie.
Sans eau, les habitants, pour la majorité des personnes en situation irrégulière, n'ont d'autre choix que d'utiliser les ruisseaux avoisinants pour faire leur vaisselle, laver leurs légumes, voire boire. Et ce sont ces eaux souillées qui transmettent la bactérie.
Un premier foyer de contamination est détecté à Koungou, le 22 avril. Un autre, dans la même commune, est découvert le 11 mai. Le choléra fait également son apparition à Mtsangamouji, puis à Passamainty.
"Dans ces quartiers, la très grande majorité des cas déclarent utiliser de l'eau de rivière pour leurs besoins quotidiens (boisson et/ou hygiène corporelle). Cette situation est partagée avec plusieurs autres quartiers informels de certaines communes de Mayotte : non-raccordement des foyers à l'eau potable, absence d'évacuation des eaux usées, partage de latrines notamment", analyse Santé publique France.
Faciliter l'accès à l'eau potable
Sur place, les autorités sanitaires, mobilisées pour endiguer l'épidémie, se veulent plutôt rassurantes. Début mai, le ministre délégué à la Santé, Frédéric Valletoux, qui s'est rendu sur place, assurait que l'épidémie était "sous contrôle". Au micro de Mayotte la 1ère, jeudi 30 mai, le directeur de l'ARS, Olivier Brahic, a précisé qu'"il n'y a pas d'explosion épidémique à Mayotte".
Une campagne de vaccination a été lancée, ciblant uniquement les personnes dans l'entourage des cas détectés. Plus de 5600 personnes ont été vaccinées. Mais, pour les scientifiques, c'est surtout l'accès à l'eau potable qu'il faut améliorer pour endiguer la propagation de la bactérie.
Dans un avis remis aux autorités nationales le 7 mai, le Comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires (Covars), qui réunit, entre autres, des épidémiologistes, soulignait que "la limitation des points d’accès à l’eau (...) n’est pas défendable dans un contexte d'épidémie d’une maladie hydrique comme le choléra". Les experts recommandaient alors de faciliter l'accès à l'eau potable aux populations, d'augmenter le nombre de soignants pour mener une politique de prévention plus efficace et de renforcer la surveillance des eaux usées.
"Si on veut éviter [la propagation du choléra], il vaut mieux sécuriser l'apport en eau dans les quartiers précaires", soutient lui aussi le professeur Renaud Piarroux, qui s'est récemment rendu dans le département. "À partir du moment où il y aura un apport en eau suffisant dans ces quartiers, le risque de transmission du choléra va beaucoup diminuer, et on reviendra à la situation précédente, c'est-à-dire avec la possibilité d'avoir des cas importés, éventuellement de la transmission à l'intérieur des familles, mais ça s'arrêtera là."