Réunionnais de la Creuse : Jean-Thierry Cheyroux, une enfance laminée

©la1ere
Environ 1 615 enfants ont été exilés de La Réunion entre 1963 et 1982 vers des départements peu peuplés. La commission des enfants de la Creuse se réunit pour la première fois à La Réunion mardi prochain. Jean-Thierry Cheyroux, 56 ans, exilé à l’âge de 7 ans y sera. La1ere.fr l'a rencontré. 
"Pendant longtemps, je n’étais pas très à l’aise avec cette histoire, j’ai toujours voulu l’occulter, avoue Jean-Thierry Cheyroux à la1ere.fr. Agé de 56 ans, en paraissant 20 ans de moins, Jean-Thierry Cheyroux fait partie de ceux que l’on appelle les Réunionnais de la Creuse.
 

Une histoire française

De 1963 à 1982, plus de 1 600 enfants réunionnais ont été exilés de leur île pour aller repeupler des zones rurales telles que la Creuse, le Tarn, le Gers, le Cantal ou la Lozère. On les a appelé Réunionnais de la Creuse car ceux qui se sont fait connaître en premier venaient de ce département et il semblerait qu’ils aient été plus nombreux dans ce département. C’est Michel Debré, député de La Réunion qui a impulsé cette politique.
 

L’Orphelinat de Saint-Clar

"Je suis arrivé à l’âge de 7 ans à Saint Clar dans le Gers. Je n’ai que très peu de souvenirs de cette période, explique Jean-Thierry Cheyroux. Je sais qu’il faisait froid. Je m’étais fait un copain Patrice avec qui je jouais. Je ne me souviens plus si je parlais le créole ou pas".
 
L'orphelinat de Saint-Clar dans le Gers

Jessie, la grande sœur de Jean-Thierry, a gardé des souvenirs de cette enfance en exil. Contrairement à son frère, elle a cherché très tôt à en savoir plus sur ses racines. Grâce à elle, Thierry sait qu’il a vécu dans la commune du Port avant de partir en France. "D’après ma sœur, nous étions dans la misère. Nous traînions tous les deux dans la rue. Ensuite, j’ai été envoyé dès l’âge de 4/5 ans dans un pensionnat tenu par des religieux".
 
Patricia et Jean-Thierry Cheyroux enfants

A Saint-Clar, à l’Aérium, Jean-Thierry et ses sœurs restent pendant 6 mois, "3 mois, selon ma soeur Jessie", précise Jean-Thierry Cheyroux. Puis, un couple de professeurs installé à Auch décide d’adopter les trois enfants. "Au début, nous étions contents de ce changement. Nous avions une maison, un foyer et nous mangions bien, mais cela n’a pas duré ».
 

Auch, un père tyrannique

A Auch, les trois enfants adoptent le nom de leur père adoptif : Cheyroux. L’adoption vire rapidement au cauchemar. "Notre père était tyrannique et violent. Il y avait pleins de règles à la maison qu’il fallait absolument observer, sous peine de sanctions. Nous n’avions pas le droit de recevoir des amis à la maison, nous ne mangions jamais avec nos parents et nous n’avions droit d’aller aux toilettes qu’à certaines heures".
 
Jean-Thierry est régulièrement battu avec une règle en bois dont il a gardé les stigmates. "J’ai encore une marque sur la main qui date d’il y a 50 ans", se désole-t-il. Au collège, l’adolescent respire un peu. "J’aimais étudier, j’étais bon élève. Au CES d’Auch, je me sentais bien". En revanche, une fois rentré à la maison avec ses sœurs, "c’était l’oppression. On était comme dans une prison".

Jean-Thierry Cheyroux devant son collège à Auch

 
Une hache à la main

"Au collège, personne ne me posait de question sur mes origines. Je ne me souviens pas d’avoir une seule fois évoqué La Réunion ou que quelqu’un m’en ai parlé, se souvient Jean-Thierry Cheyroux.  En revanche, il y avait un garçon qui se moquait de moi. Il m’avait surnommé Fleur de tunnel, car je suis métis. Il avait trouvé ça et cela avait le don de m’exaspérer. J’avais envie de le taper !"
 
Mais à la maison, c’était bien pire. "Un jour mon père est entré dans une rage noire. C’est ma sœur qui m’a raconté cet épisode. Encore une fois, je ne m’en rappelais plus vraiment. Et pourtant maintenant, c’est bien net, mon père avait une hache à la main et il voulait tout casser à la maison".

Jean-Thierry Cheyroux et ses deux soeurs

 

Le divorce

"Ma mère a fini par divorcer. Elle n’en pouvait plus de la violence de notre père. Mais curieusement, c’était très dur. Pour elle, c’était un échec terrible. Tout son rêve de famille s’effondrait. Pour nous, même si notre ambiance familiale était épouvantable, c’était quand même notre famille, on ne savait pas de quoi serait fait l’avenir. Ma mère était très fragile psychologiquement. Ce divorce l’a anéanti. "
 
 

Une faille toujours présente

Jean-Thierry Cheyroux a fini par quitter Auch pour un apprentissage en boulangerie. "J’aurais aimé faire des études, mais je voulais trouver rapidement du travail et la boulangerie, ça m’a bien aidé dans la vie, même si ce n’était pas une vocation".
 
La cathédrale d'Auch

Pendant 10 ans, Jean-Thierry Cheyroux s’est cherché. De petit boulot en petit boulot, le Réunionnais du Gers a vécu successivement à Toulouse, à Bordeaux, dans les Vosges, puis à Paris. Dans la capitale, ses journées étaient ponctuées par des cours de théâtre le soir et le travail matinal en boulangerie.
 
Au bout d’un moment Jean-Thierry Cheyroux a choisi de se stabiliser et de travailler dans une entreprise de promotion immobilière. Entre temps, il s’est pris de passion pour l’aïkido qu’il pratique et enseigne à Toulouse. Et puis, il y a eu un déclic.

Jean-Thierry Cheyroux, professeur d'Aïkido à Toulouse
 
"A la mort de ma mère adoptive, explique-t-il, j’ai ressenti un immense vide. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose, car à chaque difficulté face à laquelle je me trouvais confronté dans la vie, c’est comme si je n’avais pas les moyens de les affronter. Cette histoire, elle est comme imprimée en nous".
 
Il y a quelques mois, Jean-Thierry Cheyroux a décidé de rejoindre l’association Rasinn Anler. Il s’est même rendu à Guéret à l’assemblée générale de la Fédération des enfants déracinés des DROM et a rencontré des Réunionnais qui partageaient la même histoire, une histoire de douleurs.  
  

Retour à La Réunion

L’association Rasinn Anler a décidé d’aider Jean-Thierry Cheyroux revenir pour la première fois de sa vie à La Réunion. La commission des enfants de la Creuse doit s’y rendre au même moment pour présenter à la population l’avancée de ces travaux. Jean-Thierry est décidé à faire des recherches sur ses origines. Il sait juste que sa mère biologique est la mère de ses deux sœurs. Il n’a pas le même père. Son nom d’origine est Abrousse.
 
Pour Jean-Thierry Cheyroux, La Réunion, c’est l’inconnu. Il ne se rappelle plus du créole. Il n’a jamais cherché à fréquenter des Réunionnais. Il ne mange pas spécialement de plats réunionnais. A 56 ans, il part donc à la recherche de ses racines dans l’espoir de se faire du bien.