Clémentine Méténier et Margot Hemmerich, journalistes indépendantes, publient ce mois-ci un dossier dans La revue dessinée sur les enfants réunionnais de la Creuse. Sans lien avec l'île, elles ont voulu comprendre ce que cette histoire racontait du rapport de la France à ses anciennes colonies.
Dans le numéro 29 de La revue dessinée, un trimestriel d'actualité en bande dessinée, les journalistes indépendantes Margot Hemmerich et Clémentine Méténier publient un dossier consacré aux enfants réunionnais dits de la Creuse. "Une génération sacrifiée sur l'autel d'une utopie républicaine", écrivent-elles, "des enfants arrachés à leur île natale pour peupler le désert rural" de l'Hexagone. Une histoire souvent ignorée en France hexagonale et qu'elles-mêmes ont découvert il y a seulement deux ans. Outre-mer la 1ère les a rencontrées à Paris.
Outre-mer la 1ère : Pourquoi avez-vous eu envie de raconter l'histoire des enfants réunionnais appelés "Réunionnais de la Creuse" ?
Clémentine Méténier : On n'a aucun lien personnel avec La Réunion. C'est venu après une rencontre avec la Fédération des enfants déracinés des départements et régions d'outre-mer. Je ne connaissais absolument pas et ça m'a vraiment interpellée. Il y avait quelque chose à creuser sur la France à cette époque là. On a voulu comprendre l'histoire dans sa globalité, la petite histoire dans la grande, cette histoire qui s'inscrit dans la politique coloniale de la France.
Margot Hemmerich : On voulait prendre de la distance, sortir du pathos. Des témoignages, il y en a eu beaucoup. On ne voulait pas faire un récit de vie. Ce qui nous a intéressé c'était le lien avec la question coloniale, la départementalisation. Politiser et replacer cette histoire dans une vraie question politique qui se perpétue aujourd'hui : le lien de la métropole avec ses territoires d'Outre-mer, l'exil parfois à marche forcée. Les Réunionnais continuent à dire qu'ils n'ont pas d'avenir chez eux et viennent en métropole mais pas de gaité de coeur.
Pourquoi avoir raconté cette enquête journalistique sous forme de bande dessinée ?
L'enquête s'y prêtait, il y avait matière à dessin, on l'a vu. Le dessinateur (Jérémy Capanna, NDLR) s'est beaucoup investi. Il nous envoyait des articles, des archives. Son travail fonctionne très bien avec ces jeux de couleur, tous ces détails. Peut-être que le raconter de cette manière va aider à faire passer cette histoire et à la faire comprendre, notamment auprès des jeunes et de la jeunesse "métropolitaine".
A-t-il été difficile d'enquêter sur ce sujet, lourd et parfois encore tabou ?
CM : Il y a eu la question de la légitimé, une question majeure, parfois paralysante, qu'il faut dépasser. On a été encensées par les institutions et les associations qui étaient contentes qu'on travaille sur ce sujet. Il y a des témoignages très durs, mais il faut garder de la neutralité et ce n'est pas plus mal parfois de n'avoir aucun lien avec le sujet. On l'a traité en enquête, en allant creuser, chercher, explorer. Cela prend du temps. Et en n'étant pas dans le jugement. On voulait apporter des faits, une vision historique aux témoignages qui sont parfois modifiés par les traumatismes. C'était aussi l'enjeu : ne pas être trop dans l'empathie.
MH : Le rapport rendu par des chercheurs, historiens, sociologues était la source pratiquement unique. Notre source principale est une source officielle et même si on a pu échanger avec les auteurs, on ne voulait pas faire un copier-coller du rapport. Il fallait avoir un regard critique sur ce travail qui est énorme mais qui reste un rapport commandé par un pouvoir politique. La question coloniale est entre les lignes mais est-ce qu'on en fait une interprétation ? Cela reste sensible d'utiliser ce terme-là. Au niveau politique, il nous a manqué d'avoir des acteurs politiques de l'époque, d'aller là-bas. Le ministère des Outre-mer n'a pas été coopératif. C'est ultra tabou.
► Pour aller plus loin, ce décryptage sur les enfants Réunionnais dits de la Creuse :
Outre-mer la 1ère : Pourquoi avez-vous eu envie de raconter l'histoire des enfants réunionnais appelés "Réunionnais de la Creuse" ?
Clémentine Méténier : On n'a aucun lien personnel avec La Réunion. C'est venu après une rencontre avec la Fédération des enfants déracinés des départements et régions d'outre-mer. Je ne connaissais absolument pas et ça m'a vraiment interpellée. Il y avait quelque chose à creuser sur la France à cette époque là. On a voulu comprendre l'histoire dans sa globalité, la petite histoire dans la grande, cette histoire qui s'inscrit dans la politique coloniale de la France.
Margot Hemmerich : On voulait prendre de la distance, sortir du pathos. Des témoignages, il y en a eu beaucoup. On ne voulait pas faire un récit de vie. Ce qui nous a intéressé c'était le lien avec la question coloniale, la départementalisation. Politiser et replacer cette histoire dans une vraie question politique qui se perpétue aujourd'hui : le lien de la métropole avec ses territoires d'Outre-mer, l'exil parfois à marche forcée. Les Réunionnais continuent à dire qu'ils n'ont pas d'avenir chez eux et viennent en métropole mais pas de gaité de coeur.
Pourquoi avoir raconté cette enquête journalistique sous forme de bande dessinée ?
L'enquête s'y prêtait, il y avait matière à dessin, on l'a vu. Le dessinateur (Jérémy Capanna, NDLR) s'est beaucoup investi. Il nous envoyait des articles, des archives. Son travail fonctionne très bien avec ces jeux de couleur, tous ces détails. Peut-être que le raconter de cette manière va aider à faire passer cette histoire et à la faire comprendre, notamment auprès des jeunes et de la jeunesse "métropolitaine".
A-t-il été difficile d'enquêter sur ce sujet, lourd et parfois encore tabou ?
CM : Il y a eu la question de la légitimé, une question majeure, parfois paralysante, qu'il faut dépasser. On a été encensées par les institutions et les associations qui étaient contentes qu'on travaille sur ce sujet. Il y a des témoignages très durs, mais il faut garder de la neutralité et ce n'est pas plus mal parfois de n'avoir aucun lien avec le sujet. On l'a traité en enquête, en allant creuser, chercher, explorer. Cela prend du temps. Et en n'étant pas dans le jugement. On voulait apporter des faits, une vision historique aux témoignages qui sont parfois modifiés par les traumatismes. C'était aussi l'enjeu : ne pas être trop dans l'empathie.
MH : Le rapport rendu par des chercheurs, historiens, sociologues était la source pratiquement unique. Notre source principale est une source officielle et même si on a pu échanger avec les auteurs, on ne voulait pas faire un copier-coller du rapport. Il fallait avoir un regard critique sur ce travail qui est énorme mais qui reste un rapport commandé par un pouvoir politique. La question coloniale est entre les lignes mais est-ce qu'on en fait une interprétation ? Cela reste sensible d'utiliser ce terme-là. Au niveau politique, il nous a manqué d'avoir des acteurs politiques de l'époque, d'aller là-bas. Le ministère des Outre-mer n'a pas été coopératif. C'est ultra tabou.
Aujourd'hui, ça reste compliqué. Des métropolitains qui partent travailler là bas où ils seront très bien payés, croisent sur leurs chemins des étudiants qui partent et qui ne trouveront jamais de travail chez eux. Ca reste délicat d'en parler aujourd'hui.
► Pour aller plus loin, ce décryptage sur les enfants Réunionnais dits de la Creuse :