À 2.120 miles nautique de la baie de Saint-Pierre d’où sont partis les dix trimarans de la Route des Terre-Neuvas le 16 août, le village d’arrivée de Saint-Quay-Portrieux, en Bretagne, attire les passionnés de voile du coin, mais aussi et surtout des descendants de Terre-Neuvas (les pêcheurs de morue près de Terre-Neuve, au Canada) et des Saint-Pierrais installés dans l’Hexagone. L’occasion pour tout le monde de partager ses histoires et de retisser des liens.
Le vent souffle de nouveau dans la baie de Saint-Brieuc. Après un final haletant sans une once de vent qui a vu Primonial s’imposer dans cette première édition de la Route des Terre-Neuvas, le moment du partage sur la terre ferme est arrivé. Depuis 18 h ce jeudi, le village d’arrivée du petit village breton est officiellement ouvert. Dorénavant, les marins ne sont plus les seules vedettes de l’événement.
Avec son drapeau de Saint-Pierre-et-Miquelon accroché sur un manche à ballet aux rayures bleues et blanches, Dominique Le Dû connait bien l’histoire des Terre-Neuvas. La Saint-Pierraise a travaillé plus de 20 ans aux archives de l’archipel. Elle connaît bien l’histoire de ces pêcheurs français qui allaient chercher la morue sur les grands bancs de Terre-Neuve, au large de la côte est du Canada et non loin de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui leur servait de point d’appui. "Je suis plutôt chauvine et dès que l’on peut mettre à l’honneur mon archipel, je suis présente. Je l’ai dans les tripes. La Route des Terre-Neuvas va être un déclencheur pour que les Bretons s’approprient cette partie de leur histoire", explique-t-elle devant l’écran géant qui diffuse des images des trimarans en mer.
"Il y avait 5.000 marins et pas un seul médecin"
Elle vient de finir une discussion avec un Breton de 94 ans. "Son arrière-grand-père est parti en mer direction Terre-Neuve en 1876. En 1877, quelques mois après le départ, il a fait une chute fatale d’un des trois mâts de la goélette", explique la retraitée qui vit désormais six mois en Bretagne et six mois à Saint-Pierre. Le vieil homme lui confie que son arrière-grand-père est enterré au French Shore (la côte française de Terre-Neuve, abandonnée par la France au début du 20ᵉ siècle), mais il ne sait pas où précisément. L’ancienne archiviste de Saint-Pierre et Miquelon lui a proposé de fouiller dans les archives pour essayer de trouver la trace de ce Terre-Neuvas que son arrière-petit-fils cherche désespérément.
Des histoires comme celle-ci, il y en a beaucoup à Saint-Quay-Portrieux. Misha vient de Granville en Normandie. Du haut de ses 97 ans, avec ses jumelles autour du cou et son béret vissé sur la tête, il est venu partager le vécu de ses ancêtres. Ses trois grands-oncles sont décédés lors d'une campagne de pêche. "Ils ont perdu la vie dans une goélette partie de Saint-Malo, une tempête les a emportés, aucun marin n’a survécu. J’ai connu l’aumônier des Terre-Neuvas, il engueulait les députés en disant que s’il y avait 5.000 vaches à Terre-Neuve, il y aurait un vétérinaire. Là, il y avait 5.000 marins et pas un seul médecin", raconte-t-il aux passants venus écouter ses anecdotes.
Plus jeune, sa mère lui disait : "Si tu ne travailles pas à l’école, tu finiras petit gravier." Les petits graviers étaient les enfants qui se chargeaient d’étaler et de faire sécher les morues sur les graves, ces terrains caillouteux sur le rivage. "Ce n’était pas un métier facile", conclut le Normand de 97 ans.
En l’écoutant, tout le monde prend conscience du périple dans lequel se lançaient les Terre-Neuvas. Gabriel a 15 ans et fait de la voile à Binic, un village à quelques kilomètres de là. Il accompagne sa mère sur un stand de découverte des Ocean Fifty. "Je trouve que ça représente quelque chose de faire la route des années plus tard, avec ces bateaux de course. C’est une route qui existe depuis longtemps", explique le jeune garçon. Mais à la question "Qui sont les Terre-Neuvas ?", Gabriel ne sait pas répondre. "C’étaient des marins qui allaient pêcher entre ici et Terre-Neuve, vient en aide son frère jumeau. Je ne savais pas qu’ils passaient par Saint-Pierre et Miquelon avant cette course en revanche."
"Beaucoup de nos ancêtres viennent d’ici"
Dans les enceintes, le speaker annonce l’ouverture du musée éphémère du village d’arrivée. Les membres de l’association Doris de la baie ont ramené un doris, un de ces petits bateaux en bois à fond plat embarqués sur les goélettes qui étaient mis à l’eau sur les bancs de morue. "Dans la deuxième moitié du 19ᵉ siècle, les marins se sont rendus compte que les doris étaient plus pratiques que les chaloupes, car ils pouvaient les empiler sur les goélettes, il y en avait entre 10 et 15 à bord", commente Thierry, un des membres de l’association.
Sous le même chapiteau, des photos et des outils de l'époque comme des écopes ou des boîtes de nourriture sont exposées. "L’objectif, c’est de présenter aux gens un poste d’équipage qui se trouvait sur les goélettes et montrer ainsi les conditions de vie des marins", précise Thierry. On y apprend par exemple que les couchettes mesuraient 70 cm de large pour 1m80 de long et que les matelas étaient en paille.
"Je crois qu’ils partaient six mois pour les campagnes de pêche et pour la traversée retour, ils devaient mettre le triple d’aujourd’hui, donc trois semaines", suppose Myriame, une Bretonne venue pour l’événement. "J’ai habité Binic pendant 20 ans, je participais parfois à la fête de la morue qui se tient au mois de mai donc ce lien avec Saint-Pierre et Miquelon, je le connais vaguement", explique la retraitée. En arrière-plan, la cornemuse retentit.
"On a beaucoup de nos ancêtres qui viennent d’ici. J’ai trouvé en Bretagne un peu de Saint-Pierre et Miquelon, une fraternité entre les gens. Ils ne sont pas égoïstes, ils aiment recevoir. J’ai retrouvé cet esprit communautaire", confie Dominique Le Dû.
Un autre drapeau de Saint-Pierre et Miquelon attire son attention. Il est porté par un trentenaire accompagné de sa compagne, une Saint-Pierraise. Aux simples traits du visage, elle reconnait quelqu’un de familier. Leurs pères sont cousins germains. "Des années plus tard, on découvre des liens de parenté, ici en Bretagne", plaisante Magali. Elle a grandi à Saint-Pierre et est venue s’installer en région parisienne à ses 18 ans. "Je voulais participer à l’événement et partager mon histoire avec un petit bout de France. Ça permet de rappeler qu’on a une histoire commune, que l’on a plein de choses à raconter. Quand on dit qu’on est de Saint-Pierre et Miquelon, les gens sont contents. On est un peu l’histoire vivante des Terre-Neuvas. Ils sont très curieux et intéressés de la vie de Saint-Pierre à cette époque, termine la jeune femme. Et puis, on peut retrouver des connaissances !"