D'un côté, on a le cannabis : diversement répandue dans les Outre-mer, cette drogue est très consommée dans les territoires du Pacifique, notamment en Nouvelle-Calédonie. Dans les DROM, il y a moins de fumeurs annuels ou au stade d'expérimentation que sur l'Hexagone, mais ces derniers la consomment de manière plus intensive.
Selon l'OFDT (Observatoire français des drogues et des tendances addictives), en 2022, 56 % des plants de cannabis saisis en France l’ont été dans les Outre-mer et notamment en Polynésie française.
La moitié tente de se suicider
De l'autre, on a la schizophrénie. Cette maladie psychiatrique, souvent caricaturée, est en fait très complexe et touche presque 1% de la population en France et ailleurs. Elle se caractérise par trois types de symptômes :
- Ceux dits productifs(ou positifs) qui sont les plus connus et les plus impressionnants : hallucinations (visuelles, auditives, olfactives...), sentiment de persécution ou paranoïa, mégalomanie, idées délirantes et excentriques.
- Ceux dits négatifs (ou déficitaires) : émotivité réduite, perte d'intérêt, apathie, repli familial et social... Ils correspondent à un appauvrissement affectif et émotionnel et peuvent ressembler à une dépression.
- Enfin, les symptômes dissociatifs : trouble de l'attention, difficulté à comprendre ou se faire comprendre, à planifier des tâches simples… Ils correspondent à une désorganisation de la pensée des patients, qui peut être discordante avec ce qu'ils ressentent ou ce qu'ils vont faire.
Très handicapante, cette maladie peut conduire parfois au pire : selon l'Inserm, la moitié des patients fait une tentative de suicide au cours de sa vie et entre 10% et 20% en décèdent.
Plus de schizophrénie chez les Antillais ?
Bien que touchant toute la population, la schizophrénie semble plus fréquente chez les personnes vivant en milieu urbain et celles ayant un parcours d’immigration. Une étude de 2015 précisait ainsi que le risque de troubles psychotiques était "particulièrement élevé chez les immigrés à peau pigmentée et chez les Antillais, qui ne sont pas des immigrés suivant la définition stricte du terme".
Mais les interprétations manquaient : dépression psychotique engendrée par le départ des Antillais vers l'Hexagone puis le retour au pays ? Abus de drogues ? Car la question qui revient souvent est : quel est le lien entre la schizophrénie et le cannabis ?
C'est ce que tentent de savoir les médecins depuis des années et ils ne sont pas tous d'accord. On tente de vous résumer cela en une minute dans la vidéo ci-dessous, et de vous donner plus de détails dans l'article ci-dessous.
Le cannabis aggrave les délires
À force de recherches, certaines hypothèses ont été vérifiées. Plusieurs études ont ainsi montré que chez une personne atteinte de schizophrénie, fumer de l'herbe augmente et aggrave les symptômes, comme les délires, les hallucinations ou le repli sur soi.
Les symptômes peuvent être aussi plus précoces et plus résistants aux traitements médicamenteux, comme l'expliquait le Dr Alice Deschenau, psychiatre addictologue, sur le plateau de l'émission Allô Docteurs sur France 5.
Ce qui joue sur les symptômes, c'est le tétrahydrocannabinol, ou THC, contenu dans le cannabis. C'est le principal composé à l'origine des effets psychotropes tels que l'euphorie ou l'altération de la perception. Plus une personne schizophrène va fumer un joint chargé en THC, plus il risque de souffrir d'hallucinations puissantes ou de délires aggravés.
Les jeunes plus vulnérables
Une étude danoise publiée en mai 2023 dans la revue Psychological Medicine confirme que la consommation abusive de cannabis augmente le risque de schizophrénie, surtout chez les jeunes hommes.
Les chercheurs de l'Université de Copenhague ont examiné les dossiers médicaux de près de 7 millions de personnes. En isolant les consommateurs de cannabis et à l'aide de modèles statistiques, ils ont estimé que jusqu’à 30 % des cas de schizophrénie chez les hommes âgés de 21 à 30 ans auraient pu être évités.
Ces données viennent appuyer une autre étude, finlandaise cette fois, selon laquelle les jeunes ayant fumé régulièrement ont trois fois plus de risques d'être atteint de schizophrénie avant l'âge de 30 ans. Les adolescents étudiés n'avaient aucun symptôme précurseur, ni de parents affectés.
Un cerveau fragile en réorganisation
Alors cette drogue déclenche-t-elle la maladie ? Impossible de répondre clairement à la question. Mais il y a clairement une concomitance liée à l'âge, car avec la puberté, les neurones et différentes zones du cerveau sont en pleine maturation et se réorganisent. Toute perturbation, qu'elle soit génétique ou environnementale, peut donc avoir des conséquences néfastes sur le bon fonctionnement du cerveau adulte.
"Ceci explique pourquoi la majorité des maladies psychiatriques se développent avant l’âge de 25 ans", indique l'Inserm dans son dossier sur la schizophrénie, qui se manifeste en effet le plus souvent entre 15 et 25 ans.
Or cette tranche d'âge est également celle où l'on expérimente les "plaisirs défendus" : alcool, tabac... et cannabis. D'après l'Inserm, le THC perturberait justement la maturation cérébrale des adolescents.
Teneur doublée en 10 ans
Un THC dont la concentration est de plus en plus forte. L'OFDT a ainsi noté que "la teneur moyenne en THC de la résine de cannabis a plus que doublé en dix ans, passant de 12,3 % en 2011 à 30 % en 2022, tandis que, dans la même période, celle de l’herbe a progressé de 34,6 %".
Alors le THC peut-il déclencher une schizophrénie ? C'est une ligne que beaucoup ne franchissent pas et qui fait débat, car l'augmentation des taux de THC aurait pu avoir pour conséquence une augmentation de la fréquence de cette maladie, or le nombre de malades reste stable.
Dans tous les cas, le conseil numéro un des médecins est de proscrire l'usage du cannabis lorsqu'on souffre de schizophrénie ou qu'on a des antécédents familiaux au premier degré.