Victoire des indépendantistes en Polynésie: on vous explique les conditions pour organiser un référendum d'autodétermination

Bulletins du Oui et du Non à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, pendant le référendum du 12 décembre 2021.
Ce jeudi 12 mai, l'indépendantiste Antony Géros a été élu président de l'Assemblée de la Polynésie française. Choix de la question, organisation du vote, reconnaissance ou non des résultats... La tenue d’un référendum sur l'indépendance reste à la main du gouvernement central.

Le 30 avril dernier, les indépendantistes du Tavini ont remporté les élections territoriales en Polynésie. Le mouvement préférant axer sa campagne sur le pouvoir d'achat, la question de l'indépendance n'a été que très peu discutée avant le scrutin. Mais si Moetai Brotherson, le futur président polynésien, a évoqué un horizon de dix à quinze ans avant la tenue d'un référendum d'autodétermination, une frange du mouvement indépendantiste veut aller plus vite. 

Est-ce que Paris peut refuser la tenue d'un vote ? Qui choisit la question posée aux électeurs ? Le gouvernement peut-il ignorer les résultats ? On vous détaille les étapes à franchir avant d'organiser un référendum sur l'indépendance.

Rien n'oblige le gouvernement à organiser un vote, ni même à reconnaître le résultat

L'accession à l'indépendance d'un territoire français passe forcément par la tenue d'un référendum. "C’est consubstantiel à la libre détermination des peuples : pour que les peuples se déterminent, il faut bien qu’ils soient consultés. C’est aussi une condition en droit international", précise Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit public à l’Université de Bordeaux.

Il existe deux voies possibles : soit le recours à l'article 72-1 de la Constitution, qui prévoit la consultation obligatoire des populations intéressées en cas de changement de l’organisation d’une collectivité territoriale, soit le recours au préambule de la Constitution, qui reconnait un droit des peuples à "s'administrer eux-mêmes". Cette deuxième option n'a été utilisée qu'une seule fois, en 2000, quand la collectivité territoriale de Mayotte a changé de statut. 

Avant de confier l'organisation d'un référendum au ministère de l'Intérieur, le gouvernement doit déposer un projet de loi qui fixe le cadre de la consultation. Théoriquement, le Parlement peut le rejeter et ainsi bloquer le processus.

Le droit à l'autodétermination n'est "pas vraiment un droit" selon Alain Moyrand, maître de conférence en droit public à l'université de Polynésie française, qui précise : "C'est une procédure. Les indépendantistes peuvent demander la tenue d'un référendum, mais ils ne sont jamais sûrs de l'obtenir. C'est Paris qui décide".

En cas de victoire du camp indépendantiste, le gouvernement peut même ignorer le choix des électeurs. "Dans la Constitution, rien ne dit que c'est contraignant, explique Alain Moyrand. Mais depuis 1958, à chaque fois qu'il y a eu référendum, on a suivi les résultats." Dans les faits c'est la pression politique, interne ou internationale, qui pousse le gouvernement à organiser un vote et à reconnaître les résultats.

Le levier international

La Polynésie a été réinscrite en 2013 sur la liste des territoires non-autonomes à décoloniser selon l'ONU. Les indépendantistes polynésiens espèrent bénéficier de la pression internationale pour entamer un processus d'autodétermination. "Après les élections, l’ONU demandera à la France d’ouvrir des discussions sur la décolonisation", voulait croire Antony Géros, le vice-président du mouvement indépendantiste Tavini, le 26 avril dernier.

Mais les avis de l'ONU ne sont pas contraignants juridiquement. La France ignore d'ailleurs depuis des années les critiques onusiennes sur le cas polynésien. "Dans le cas de la Nouvelle-Calédonie [inscrite sur la liste des territoires à décoloniser en 1986], la pression internationale a joué", assure Alain Moyrand. "C'est une contrainte politique qui pourrait faire bouger les lignes", confirme Ferdinand Mélin-Soucramanien.

Le gouvernement décide de la question posée

C'est au gouvernement de rédiger la question qui sera posée aux électeurs. Dans les faits, et comme pour la tenue ou non du scrutin, le choix des mots dépend du contexte politique. Une fois choisie, la question est soumise au Conseil d'État, qui doit vérifier qu'elle est suffisamment claire et qu'elle n'avantage pas l'un des deux camps.

Dans le cas des référendums sur l'indépendance organisés en Nouvelle-Calédonie à partir de 2018, les indépendantistes préféraient le terme "pleine souveraineté" à celui "d'indépendance", alors que certains non-indépendantistes voulaient offrir aux électeurs un choix entre deux bulletins, l'un indiquant "France" et l'autre "indépendance". La question posée aux électeurs calédoniens - "Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante?"- est le fruit d'un compromis. La formule, proposée par le Premier ministre de l'époque, Edouard Philippe, a été acceptée par l'ensemble des parties après des heures de discussions.

Reste une interrogation : faut-il prendre en compte les résultats du vote île par île ou les étudier dans leur globalité ? "C'est une question qui taraude les Polynésiens: et si un archipel décidait de ne pas devenir indépendant ? La question se pose pour les Marquises", précise Alain Moyrand. Le vote indépendantiste est sous représenté dans cet archipel et, depuis des années, les élus marquisiens espèrent faire sécession de la Polynésie pour devenir une collectivité territoriale à part entière. Un hypothétique divorce qui fait écho au cas mahorais : en décembre 1974, après la tenue d'un référendum d'autodétermination, Mayotte a choisi de rester française quand les autres îles des Comores ont opté pour l'indépendance.