Clément Giraud a passé le Cap Horn dimanche, au bout de 69 jours, 22 heures, 34 minutes de navigation. Le marin martiniquais change aussi de dimension et prend tout avec bonne humeur à bord. 23è du Vendée Globe sur Compagnie du lit / Jiliti, Clément est un homme heureux.
Après ses 40 ans fêtés à bord en décembre Clément Giraud passe un nouveau cap dans sa vie de marin atypique. Devenant un Cap-Hornier, il rentre dans une confrérie très fermée de marins ayant franchi ce bout de terre de l’Amérique du Sud, dont les pionniers ont à peine quatre siècles. D'ailleurs, il a fallu quelques heures seulement pour que la très réputée Société Internationale des Cap-Horniers, patronnée par le Duc d'Edimbourg félicite le bizuth, admirateur de ses prédécesseurs.
Sans se prendre la tête pour autant, il assume sa 23ème place au classement, et n’a pour objectif que de boucler son tour du monde aux Sables-d’Olonne pour son premier Vendée Globe. Clément est là pour apprendre, mais n’en distille pas moins des bons mots. Il a un moral de fer à bord de son vieux bateau, et va essayer de rattraper l’Anglaise Miranda Merron pour la doubler dans la remontée de l’Atlantique. Nous l’avons joint hier par téléphone, les propos sont cash et parfois émouvants, comme l’est Clément.
Outre-mer la 1ère : Clément des nouvelles du front tout d’abord, comment allez–vous et où êtes-vous en ce moment ?
Clément Giraud : Je navigue vers les Malouines, c’est plutôt calme dans l’instant, mais c’est bizarre il y a du courant dans le coin. Hier j’ai vu mon premier bateau depuis la descente au large de Rio, un bateau de pêche énorme qui était sur un plateau, une marche où les fonds passent de 800 à 200 mètres. On a discuté avec le capitaine, c’était super sympa, comme un retour à la civilisation. La terre, les bateaux, l’AIS qui sonne (système d’alarme prévenant de la présence d’un autre bateau qu’embarquent les navigateurs du Vendée Globe), je me suis dit qu’on est très chanceux, nous les marins. Exemple tout bête, on ne parle pas d’argent à bord, on n’utilise pas le mot euro, on a banni ce mot du bord et c’est pas mal comme ça on utilise plus le mot heureux, ça nous change un peu (rires).
Outre-mer la 1ère : Comment avez-vous vécu votre premier passage du Cap Horn ?
Clément Giraud : Tu fais de l’Est sans arrêt et d’un seul coup tu arrives au bout de la route, je l’ai abordé par les cailloux, ce sont des remparts. Mes routages me faisaient passer tout près du Horn. Il y avait beaucoup de brume, des grains et puis tout s’est levé et je l'ai vu.
Le Cap Horn, je l'ai bien vu ! Entouré de beaucoup d'autres cailloux. Si c'est cela que l'on appelle la Terre de Feu, alors je veux bien y croire. C'est chouette mais c'est vraiment flippant. Il y avait des grains, du courant et je n'ai pas eu très envie de rester ici.
Ici, ça sent l'Histoire. Je pense à tous les bateaux qui sont au fond, à ceux qui ont découvert le « nouveau monde », à ceux qui ont emprunté cette route commerciale. Ces routes, il a bien fallu les trouver, c'est impressionnant !
Je l’ai passé à 12 h 54 pour être précis, avec un peu anxiété avant et de l’émotion après. Vraiment je ne sais pas si c’était de la joie mais j’étais très ému de passer ce caillou. J’étais super fier, c’est top, on ne parle pas beaucoup et trouver les mots parfois ce n’est pas évident, l’émotion m’a fait perdre aussi mes mots, mais je n’ai pas versé ma petite larme et j’ai bu un peu de rhum.
Outre-mer la 1ère : Vous avez pris un look de capitaine Haddock sur la photo, un vrai marin qui passe le Cap Horn..
Clément Giraud : Ah oui le look du Cap-hornier, il y a eu de la mer depuis dix jours, et je n’ai pas pris le temps de me raser, ce n’était pas voulu mais ça fait son effet, je vais prendre le temps de me raser, promis (rires).
Outre-mer la 1ère : A qui dédiez-vous ce passage sur le plus mythique des caps ?
Clément Giraud : A beaucoup de monde, tous ceux qui m’ont aidé à monter ce projet fou, d’abord bien sûr Erik (Nigon, voir article du 18 novembre) et puis a tous ceux qui ont été partie prenante, tout simplement. Aux Antilles il y en a tellement aussi, pèle-mêle je pense aux familles Mourés, Hospice, Martin, Monroux ou Hodock. J’en oublie peut-être…
Outre-mer la 1ère : Comment vont le bateau et le bonhomme ?
Clément Giraud : Le bateau va bien à part quelques petites déchirures sur une voile ou deux. Je suis en train de bricoler mon gennaker, le tissu est vraiment usé sur la partie légère. Je vais sortir bientôt mon grand gennaker, je m’étais interdit de le sortir dans le Sud. Mais je n’ai pas de casse, rien à déplorer, même si mes safrans font un bruit de craquement, depuis le début d’ailleurs. C’est mieux de les entendre car les Anglais disent que plus il y a du jeu dans la mécanique, mieux c’est, donc ça va.
En ce qui me concerne c’est la première fois depuis le départ que je sens physiquement le poids de 70 jours de mer. Il faut que j'aille dormir un peu. Je ne me suis pas trop plaint du froid mais quand je vous parle je suis dans la buée, et dès qu’il y a un brin de soleil, ça va mieux.
C’est rigolo de sentir dans le bateau que l’air chaud est en haut, mais quand ça surfe, tu sens la masse d’air froid qui se déplace dans le bateau, comme un courant d’air alors que tout est fermé. Tu as les doigts glacés, ça pique. Mais je dois être maso, j’ai trois paires de gants et je ne les ai quasiment jamais mises (rires)
Outre-mer la 1ère : Avez-vous l’impression de passer dans une autre dimension ?
Clément Giraud : je ne sais pas, je fais mon job et je me rends surtout compte de toutes mes lacunes, de tout ce qu’il va falloir que j’améliore en catégorie bateau. Je ne réalise pas encore, ça viendra plus tard, pour le moment je suis concentré sur ma course. Mais vu mon comportement dans ces conditions, on sort de là changé, en bien ou en mal, je ne sais pas encore.
Outre-mer la 1ère : Justement suivez-vous un peu la course, celle de Damien Seguin notamment ?
Clément Giraud : Je suis hyper fier de ce que fait Damien, on se joint un peu par whatsapp tous les deux. Il fait une course magistrale, en fait j’irai même jusqu’à dire qu’il donne une leçon avec son bon vieux bateau, c’est incroyable. Il ne lâche rien, il fait ça de main de maître, si je puis dire.
Ce Vendée Globe est impressionnant. Je n’ai pas de pronostic, tout peut se passer, que le meilleur gagne ! Mais je n’ai pas d’avis, je ne regarde pas les placements des autres et puis j’ai autre chose à faire.
Je vais d’abord tout faire pour rattraper Miranda (Merron) mais elle va partir un peu devant moi et là je ne sais pas trop où elle est. Mais ce matin c’est pétole, du coup j’en ai profité pour faire un gros ménage à bord. On recommence une dernière course en quelque sorte. J’essaie de faire avancer mon bateau, si je peux jouer, je le ferai mais je ne le ferai pas à tout prix. L’objectif c’est d’aller aux Sables maintenant.
Outre-mer la 1ère : Quand arriverez-vous aux Sables d’Olonne ? Le retour à la maison se précise, redevenir un terrien vous appréhendez ?
Clément Giraud : Sincèrement je ne sais pas. Pour la course j’ai encore du chemin, je me sors juste du grand sud et je n’ai pas de réponse. Je dirai à partir du 15 février à peu près, je pense faire au mieux pour ne pas faire plus de 120 jours et que ce soit le plus rapide possible.
Pour le reste, ma famille me manque, mes deux enfants de 12 et 14 ans et ma femme. Une fois arrivé, on va breaker tous ensemble après trois ans de projets à fond. Il va falloir que je m’occupe de mes ados, passer du temps avec eux et avec ma femme, tout en manageant sans doute d’autres projets.
Lorsque je toucherai terre, je crois que je vais être un peu perdu. Je rêve d’un bon repas, d’une bonne douche, un gros bisou et serrer fort ma famille dans mes bras, ça sera déjà pas mal. Mais je préfère ne pas trop y penser pour l’instant.