Zoos humains : de Guyane à Paris, la quête des Kali'na pour ramener les restes de leurs ancêtres sur leurs terres

Le 16 septembre, la délégation a réalisé une cérémonie d’hommage aux ancêtres au jardin d’acclimatation, à Paris.
Une délégation d’une vingtaine d'Amérindiens de Guyane et du Suriname est à Paris pour réclamer le retour des restes de six Kali'na morts dans l'Hexagone après avoir été exposés au Jardin d'Acclimatation à la fin du XIXe. Malgré quelques soutiens politiques, le chemin est encore long pour les faire sortir des collections du musée de l'Homme.

Des chants sacrés résonnent au premier étage du musée de l’Homme, à Paris. Pendant plus de deux heures, en tenue traditionnelle et accompagnés d’un chaman, une vingtaine d’Amérindiens venus de Guyane et du Suriname dansent et chantent pour rendre hommage à leurs ancêtres, dont les restes sont entreposés à quelques pas, dans de grandes boîtes grises rappelant des cercueils.

Cette cérémonie pour "apaiser les âmes" n’est qu’une étape de leur séjour parisien. Toute cette semaine, la délégation va enchaîner les rendez-vous politiques et symboliques avec un seul un objectif : ramener les restes de leurs ancêtres chez eux, et leur offrir une sépulture décente.

Une cérémonie d'apaisement des âmes s'est tenue le mardi 17 septembre au musée de l'Homme, à Paris. ©Jeanne Péru-Gelly

Pour comprendre, il faut remonter à la fin du XIXe siècle. L’époque est aux zoos humains et le directeur du Jardin d’Acclimatation envoie un explorateur en Guyane à la recherche d’"Indiens caraïbes" à exhiber. En 1882 et 1892, 47 Kali'na de Guyane et du Suriname font le voyage jusqu'à Paris. Venus libres en Europe, ils sont enfermés et exposés à demi nus pendant des mois au Jardin d’Acclimatation.

Maladies, épuisement, mauvais traitements… Lorsqu’ils repartent, à l’été 1892, les Kali’na laissent huit morts derrières eux. Pourtant, dans la salle au plafond bas du musée de l’Homme, ce mardi de septembre 2024, seules six boîtes en carton s’alignent. Les restes de deux des morts ont disparu : l'un des corps a été donné à la science, l'autre serait enterré au cimetière de Levallois-Perret.

Portrait de groupe, des adultes et des enfants, dit de "Caraïbes" dans la grande serre du Jardin d'Acclimatation à Paris, au début du mois de mars 1892.

Des visages et des noms, mais pas de sépulture

Corinne Toka Devilliers est la descendante de Moliko, l’une des Kali’na exhibés à la fin du XIXe. Depuis des années, elle se bat pour rapatrier les restes des compagnons de son arrière-arrière-grand-mère en Guyane. Pieds nus, elle s’avance lentement le long des boîtes et dit bonjour à chaque mort en prononçant son nom, la voix brisée par l’émotion. Dire leurs noms est déjà une victoire : une longue enquête a été nécessaire pour les identifier. Après des mois de travail, Corinne et les équipe du musée ont pu redonner une identité aux Kali’na exhibés. On connait même leurs visages grâce aux photos prises par Rolland Bonaparte, un géographe et ethnologue qui a documenté le passage du groupe à Paris.

Corinne Toka Devilliers se recueille près des boîtes contenant les restes des Kali'na exhibés.

Mais même s’ils ont un nom, 130 ans après leur mort, les Kali’na restent entreposés à des milliers de kilomètres de chez eux. "Le gouvernement ne peut plus ignorer cette histoire, ne peut plus garder nos anciens comme ça dans ces boîtes grises !, s’indigne Corinne Toka Devilliers. Même eux, les ministres, les députés, quand ils perdent quelqu’un, ils font une sépulture. Il y a un enterrement, il y a des fleurs."

Corinne Toka Devillier s’emporte contre l'inaliénabilité des collections françaises, un verrou juridique qui empêche de sortir des objets des collections des musées nationaux. Même avec toute la bonne volonté du monde, le musée de l’Homme ne pourrait pas rendre les restes des exhibés à leurs descendants. Une loi a été votée en décembre dernier pour faciliter les restitutions de restes humains aux pays étrangers, mais les Outre-mer ne sont pas l’étranger et rien n’a pour l’heure été prévu pour les territoires ultramarins. La loi donnait au gouvernement un an pour produire un rapport sur les restitutions aux Outre-mer, mais à quelques semaines de l’échéance, on ne sait rien de l’avancée du texte.

Nous sommes venus parler à nos ancêtres, leur dire que nous sommes là, leur dire qu’il y a un travail qui se fait pour les ramener. Il est temps qu’ils repartent chez eux.

Cécile Kouyouri, cheffe coutumière kali'na.

Rappeler à l'État ses obligations

Les descendants comptent sur les parlementaires pour faire avancer leur cause. Deux ont fait le déplacement ce mardi : Jean-Victoire Castor, député de Guyane, et Emmanuel Tjibaou, élu kanak de Nouvelle-Calédonie. "En étant Kanak, Océaniens, on est aussi touchés. À travers de l’histoire des Kali’na, il y a aussi l’histoire des Kanak et de la perception que l’Occident a eu de nos peuples, commente Emmanuel Tjibaou. Le rôle d’un parlementaire, c’est aussi de rappeler à l’État, qui est l’héritier de ce système colonial, ses obligations quant à la restitution de ces restes."

Après un long combat, les Kanak ont obtenu en 2014 le retour en Nouvelle-Calédonie du crâne du chef Ataï, le leader de la révolte de 1878 contre les colons français. Mais le crâne d’Ataï est une exception  – il appartenait à une collection privée – et d’autres restes dorment dans les collections des musées français. "On sait qu’ils sont partis, mais on ne sait pas où ils sont conservés", résume Emmanuel Tjiabaou. Car la question des restitutions rejoint celle de la connaissance des collections. Les musées eux-mêmes ne savent pas précisément ce qu’ils possèdent. Rien qu’au musée de l’Homme, environ 20 000 restes humains sont entreposés. Or comment réclamer les restes d’un ancêtre sans savoir où il repose ?

Prise de conscience

Un chercheur a été embauché pour étudier les collections du musée de l’Homme : il doit inventorier les restes qui s’entassent sur les étagères des réserves et comprendre comment ils sont arrivés là. "Une seule personne, c’est largement insuffisant, vu l’ampleur de la tâche", reconnait Martin Friess, le responsable des collections anthropologiques du Muséum d’histoire Naturelle, dont dépend le musée de l’Homme. S’il insiste sur le fait que certains restes sont "des objets scientifiques légitimes", il reconnait que d’autres, acquis au prix d’une histoire violente et sans respect pour la dignité humaine, n’ont pas à être exposés. "Les choses évoluent, il y a une prise de conscience. Dans les collections de restes humains, il y a des individus qui ne devraient pas être dans un musée", estime-t-il.

Si les mentalités bougent, la loi se fait attendre. Jean-Victor Castor évoque une solution qui pourrait accélérer le retour des Kali’na en Guyane : s'’il est impossible de faire sortir les restes d’une collection publique, le musée de l’Homme pourrait les donner à un autre musée public, implanté en Guyane celui-ci. Mais la proposition ne satisfait pas les descendants : non seulement les restes appartiendront toujours à un musée, mais cette solution, pensée comme temporaire, risque de devenir permanente. Si l’ancienne ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, avait donné son accord de principe au transfert des restes à un musée guyanais, l’actuelle ministre démissionnaire, Rachida Dati, ne s’est pas prononcé sur la question.