[Décryptage] Prisons d'Outre-mer : l'enfer derrière les barreaux

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Surpopulation, violence, insalubrité… Les conditions de vie dans les établissements pénitentiaires d'Outre-mer comptent parmi les pires de France. Une situation qui perdure depuis des années.
La question de la surpopulation dans les prisons françaises est régulièrement remise à l'ordre du jour, sans que la situation ne s'améliore. Dans son dernier rapport datant du 1er janvier, l'administration pénitentiaire dénombre 68 432 détenus, pour 66 678 places. En Outre-mer, il y a 5 133 détenus pour 4 064 places, soit une densité carcérale de 126 %, contre 116 % dans l'Hexagone. 

Une cellule de la prison de Camp-Est à Nouméa. Ici, 6 personnes vivent dans moins de 10m².

À Nuutania, des détenus entassés les uns sur les autres

Dans le détail, c'est la prison de Nuutania en Polynésie qui remporte la triste palme de la surpopulation. Ils sont 138 détenus pour 54 places, soit une densité carcérale de 255 %.

La cour de promenade de la prison de Nuutania, en Polynésie.

 Suivent Remire-Montjoly (Guyane) : 575 pour 293 soit 196 % ; et Baie-Mahaut (Guadeloupe) : 520 pour 265 soit 196 %. Une autre prison guadeloupéenne est fortement touchée par le phénomène : Basse-Terre avec 226 personnes derrière les barreaux pour 130 soit 174 %. La maison d'arrêt a été désignée par ses occupants "prison la plus délabrée de France". 

Les autres prisons ultramarines ne se portent pas mieux : 


De la surpopulation à la violence

Première conséquence de cette densité carcérale étouffante : la violence. A la fois entre détenus et avec les surveillants. Bagarres, agressions, meurtres rythment la vie quotidienne dans les cellules. Le 15 juillet 2016, le meurtrier présumé d'une jeune touriste belge est retrouvé mort dans son lit à Baie-Mahault (Guadeloupe), étouffé par un oreiller. Deux semaines plus tôt à Majicavo à Mayotte, un homme tue son compagnon de cellule. Et la liste est longue. 

Une cellule du quartier disciplinaire de la prison de Remire-Montjoly, en Guyane.

Les prisonniers parviennent à se construire des armes, souvent des pics aiguisés, à partir de n'importe quel matériau. Nombre d'objets sont lancés depuis l'extérieur et arrivent directement dans les cellules. Les murs trop bas ne permettent pas d'empêcher ce type de pratique. Les surveillants sont également l'objet de violences. Régulièrement, ils manifestent pour demander une amélioration des conditions de sécurité. 

La vie dans les prisons ultramarines est rendue infernale par une hygiène très douteuse : rats, cafards dans les cellules comme dans les douches, toilettes jamais nettoyées… "La prison de Camp-Est, à Nouméa en Nouvelle-Calédonie est une zone de non-droit, une île de l'oubli. La santé des détenus est en danger", dénonçait la Ligue des droits de l'homme en mars 2015.

La France condamnée plusieurs fois

Face à ces conditions déplorables : les détenus portent plainte contre l'État, ils gagnent les procès et sont indemnisés. En 2013, le tribunal administratif estime qu'un Polynésien a passé 600 jours dans des conditions contraires aux droits de l'homme et condamne l'Etat. Même chose en 2015, 15 personnes incarcérées reçoivent entre 1 200 et 7 300 euros pour conditions de détention indignes à la prison de Ducos en Martinique.

Retard sur les aménagements de peine

François Bès, coordinateur régional pour l'Outre-mer de l'Observatoire international des prisons
Par rapport à l'Hexagone, sur les aménagements de peine et les alternatives à la prison, notamment pour les courtes peines. Elles représentent l'essentiel des condamnations outre-mer. "Pourtant, il faudrait les développer", estime François Bès, questionné par La1ere.fr. "Une journée en prison coûte 100 euros contre moitié moins pour une journée de formation. De plus, cela diminue le risque de récidive par deux à la sortie", explique le coordinateur régional Outre-mer de l'Observatoire international des prisons. 

La construction de prisons au centre des politiques de l'Etat

Les rapports parlementaires et annonces des majorités successives se suivent pendant des années. Mi-2014, un rapport est remis à Christiane Taubira, alors ministre de la Justice et Georges Pau-Langevin, ministre des Outre-mer. Il contient 43 propositions pour améliorer la situation des prisons dans les Outre-mer. Un rapport pourtant resté en partie lettre morte, notamment sur le développement des mesures alternatives à l'incarcération. 

L'Etat préfère bâtir de nouveaux établissements pénitentiaires ou agrandir les anciens. La prison de Tatutu va ouvrir en Polynésie cette année, un projet est en cours à Koné en Nouvelle-Calédonie, Ducos a été rénovée récemment. Lors de son déplacement en Guadeloupe début juillet 2016, le garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas annonce à l'agrandissement et la création de prisons. 

La prison de Basse-Terre, dans un état de délabrement avancé.

Pourtant, les chiffres le montrent : plus il y a de places de prison, plus il y a de prisonniers. "Il faudrait prendre le problème en amont, pour que la situation arrête d'empirer", analyse François Bès. 

Les détenus d'Outre-mer dans l'Hexagone

Dernier grave problème qui découle de la surpopulation : ces centaines de détenus ultramarins qui purgent leur peine dans l'Hexagone. Que ce soit par choix ou par "mesures d'ordre et de sécurité", difficile pour eux d'envisager un retour en Outre-mer. Il n'y pas de place dans les établissements pénitentiaires ultramarins et la préparation à la sortie y est moindre. Ils souffrent donc de la distance avec leur famille, du climat…

De plus, "comment faire pour préparer un aménagement de peine lorsqu'on est en France, et qu'on veut se réinsérer à La Réunion", s'interroge-t-on au Contrôle général des lieux de privation de liberté qui suit de près la situation Outre-mer. Et d'ajouter, "il reste beaucoup de travail à faire".