"Vive la République française Madame !" Certains y verront une marque de mépris, d'autres voudront croire à un républicanisme passionné. Une chose est sûre : le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin a préféré l'affront à l'apaisement avec les députés d'Outre-mer, mardi 7 février, lors des Questions au gouvernement à l'Assemblée nationale.
Trois élus ultramarins ont interpellé le ministre sur les propos qu'il a tenu jeudi 2 février lors d'un colloque sur les Outre-mer organisé par Le Point. "C’est la République française qui a aboli l’esclavage, avait-il alors lancé. La France a sans doute mis dans des conditions extraordinairement difficiles les populations colonisées, mais c’est la République qui a aboli l’esclavage. Donc, on leur demande d’aimer la République, pas toute l’histoire de France, bien évidemment."
Par ces propos, Gérald Darmanin soulignait sans ambiguïté le rôle – selon lui majeur – du mouvement républicain dans l'abolition de l'esclavage. Mais pour les représentants des Antilles, de la Guyane et de La Réunion, pour certains d'entre eux descendants d'esclaves, cette lecture de l'Histoire de France n'est pas passée. "Il amoindrit la réalité de l'esclave et il ment par omission. Il oublie que nos ancêtres ont arraché leur liberté. Il oublie toutes les révoltes d'esclaves. Il pense que ça s'est fait dans le calme et la quiétude, mais non, ça n'est pas le cas !", rappelait alors la députée de La Réunion Karine Lebon (GDR). Dans une lettre signée avec seize autres collègues d'Outre-mer, elle réclamait des excuses au ministre.
Darmanin signe et persiste
Jusqu'ici, Gérald Darmanin n'avait pas réagi publiquement à la polémique naissante. Et c'est Perceval Gaillard, député (LFI) de La Réunion, qui a affronté le ministre en premier. "M. le ministre, l'ignorance est une chose, le mépris en est une autre", a-t-il lancé au locataire de la Place Beauvau, rappelant que "ce sont les esclaves eux-mêmes qui se sont libérés par leur lutte et leur combat". "Vous nous faites honte !", a ajouté le député, avant de réclamer de nouveau des excuses.
"C'est vous qui n'êtes pas républicain", a rétorqué Gérald Darmanin, qui signe et persiste : "Par deux fois [en 1794 et en 1848] la République a aboli l'esclavage !" Le ministre à l'esprit régalien, et qui a hérité de ce super-ministère lors du dernier remaniement, convoque alors la figure du révolutionnaire Robespierre, artisan, selon lui, de l'abolition de l'esclavagisme. Les propos du ministre créent une bronca dans l'Assemblée. Soucieux d'essayer d'arrondir les angles, il donne néanmoins crédit à la lutte des esclaves dans le processus de libération des colonies.
[Ça] ne retire évidement en rien le combat de ceux qui, esclaves ou non-esclaves, ont voulu combattre ce crime contre l'humanité.
Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur et des Outre-mer
"Nous, citoyens français d'Outre-mer, aimons la République"
Ironie du sort, c'était au député guadeloupéen Max Mathiasin (LIOT) de poser la question suivante. Voulant, à l'origine, évoquer le problème du coût du kérosène, le descendant d'esclaves a pu rebondir sur les propos de Gérald Darmanin. "L'abolition de l'esclavage, c'est aussi et surtout la lutte des esclaves qui n'ont jamais accepté ce système", a-t-il critiqué.
Mais le ministre insiste – "C'est la République qui a aboli par deux fois l'esclavage" –, suscitant la colère de Max Mathiasin et de son collègue guadeloupéen Olivier Serva, debout à côté de lui.
Quelques minutes plus tard, la députée réunionnaise Karine Lebon (GDR) prend le relais et interpelle à son tour le ministre : "Nou la kas la shèn !", lance-t-elle. Avant de rappeler que les discriminations entre les territoires d'Outre-mer et l'Hexagone persistent aujourd'hui.
Nous, citoyens français d'Outre-mer, aimons la République. Mais que fait le pouvoir de cet amour ? La vie la plus chère de France ! Des taux de pauvreté et de chômage record !
Karine Lebon, députée de La Réunion
En réponse, et toujours sans convaincre, Gérald Darmanin parle à nouveau de Robespierre, invitant les Ultramarins à "être fiers d'être membre de la République française". Les injonctions du ministre risquent d'avoir du mal à être entendu par la population ultramarine. Le Réunionnais Perceval Gaillard a d'ores et déjà prévenu Gérald Darmanin : "Vous êtes disqualifié."