À l'aube des Jeux Olympiques, les champions ultramarins face au dopage

Le Colombien Nairo Quintana lors d'un contrôle anti-dopage sur le Tour de France en 2013.
Après Ysaora Thibus et Alexie Alaïs, Dimitri Bascou a été contrôlé positif à un test anti-dopage. L'hurdleur met en cause des compléments alimentaires, comme la lanceuse de javelot guyanaise. À un peu plus de 100 jours des JO à Paris, comment le monde du sport se confronte-t-il au problème du dopage ? Décryptage.

Ostarine, stéroïdes ou sibutramine : trois sportifs ultramarins sont en procédure avec les instances anti-dopage après des contrôles positifs. Ysaora Thibus, escrimeuse guadeloupéenne, a été contrôlée le 8 février dernier à l'ostarine. Elle se défend en indiquant avoir été contaminée par les "fluides corporels de son compagnon". Alexie Alaïs, lanceuse de javelot guyanaise, a été suspendue après un test positif à la sibutramine, qu'elle pense avoir ingéré, sans le savoir, en prenant des compléments alimentaires. Dernier en date, l'hurdleur martiniquais Dimitri Bascou a été contrôlé positif le 28 janvier lors du meeting de Val-de-Reuil (Eure). Il se défend aussi en évoquant à nos confrères de franceinfo:sport la prise de compléments alimentaires

Dimitri Bascou, au stade Dominique Duvauchelle de Créteil.

Les compléments alimentaires en cause

Ils sont devenus d'incontestables partenaires d'entrainement des athlètes de haut niveau. Si bien qu'en 2022, l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) indique que 20 % des résultats d'analyse anormaux étaient liés à l'usage de compléments alimentaires. Ils permettent d'éviter les carences ou de stimuler la concentration, mais c'est pour perdre du poids après une blessure que la lanceuse de javelot Alexie Alaïs explique en avoir consommé. "J'avais pris 15 kilos durant toute la période de ma blessure au genou, indique la Guyanaise. Je souhaitais perdre du poids pour soulager à la fois mon genou et mon mental. Et comme l'Ipokads n'avait aucun composant figurant sur la liste des produits interdits, je ne me suis pas inquiétée." Le marché des compléments alimentaires n'étant pas régulé, les industriels ne sont pas contraints d'indiquer la composition précise de leurs produits. Ils peuvent donc contenir des substances interdites par l'agence mondiale antidopage (AMA) sans que cela soit explicite.  

Dans le cas de Dimitri Bascou, il est fortement probable qu’il soit question de stéroïdes anabolisants d’autant qu’après sa non-sélection aux JO de Tokyo en 2021 il s’était reconverti un temps dans la musculation.

Jean-Pierre de Mondenard, médecin du sport sur X

L'AFLD précise dans son règlement que "les compléments alimentaires ne sont pas interdits dans le sport" mais que "le sportif est responsable de toutes les substances retrouvées dans son organisme". Ainsi, si les compléments alimentaires qu'a pris Dimitri Bascou contenaient des stéroïdes interdits, il devrait en être tenu responsable et donc risque une suspension au même titre qu'Alexie Alaïs. 

Conduites dopantes

"La prise de compléments alimentaires peut amener le sportif à développer une conduite à risque" insiste l'AFLD. Même si leur efficacité est mise en cause par certains professionnels, les compléments alimentaires peuvent donner de mauvaises habitudes aux sportifs.

"Oui, le dopage, ça peut exister, confirme Sébastien Le Garrec, médecin du sport, chef du pôle médical de l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep). On y est extrêmement attentif et on met tout en œuvre pour le prévenir et éviter toutes les dérives. On connait les moments de faiblesses de nos athlètes et quand ils peuvent être tentés de passer la limite." À l'Insep, six éducateurs ont été formés par l'AFLD pour encadrer les athlètes et leur entourage sur les questions de dopage.

Plus la compétition est médiatisée, plus on va vers le 100 % de dopage.

Jean-Pierre de Mondenard, médecin du sport

Pour Jean-Pierre de Mondenard, médecin du sport et pionnier de la lutte anti-dopage en France : "Quand on fait des enquêtes en dehors du sport, la part des tricheurs dépasse les 50 % dans toutes les activités humaines. Il n’y a aucune raison que ce soit moins dans le sport de haut niveau. " Il reconnait que toutes les substances ingérées par les sportifs ne sont pas considérées par les institutions officielles comme interdites mais nuance : "À partir du moment, où vous n’êtes pas malade et que vous prenez un médicament pour faire du sport, vous êtes dans le dopage. Après, il y a une distinction : si le produit est dans la liste, vous êtes dans le dopage à 100 %. Si le produit n’est pas dans la liste, vous êtes dans une conduite dopante." Le spécialiste justifie ces comportements par la recherche permanente de gains marginaux : chaque minute d'entrainement supplémentaire compte tandis que les calendriers de compétitions sont de plus en plus resserrés.

Lutte anti-dopage inefficace ? 

Sur les réseaux sociaux, Dimitri Bascou s'est défendu en louant ses "20 ans de carrière propre". Sans parler du cas précis de l'hurdleur martiniquais, Jean-Pierre de Mondenard explique qu'un contrôle négatif n'est pas la preuve que le sportif ne se dope pas." La seule preuve, c'est qu’on n’a pas trouvé les substances qu’on a cherchées. Mais il y en a d’autres qu’on ne trouve pas parce qu’on ne les cherche pas " précise le docteur.  Ainsi, certains produits à "base de plantes" peuvent contenir des substances interdites et conduire à un contrôle positif, précise l'AFLD. C'est le cas de l'Ipokads, complément alimentaire brésilien pris par Alexie Alaïs officiellement "entièrement composé de produits naturels", selon l'athlète.

Dernier espoir de qualification olympique

Si la sentence est déjà tombée pour Alexie Alais, suspendue jusqu'à l'été 2025, les espoirs s'amenuisent pour les deux autres champions ultramarins. Ysaora Thibus est encore temporairement suspendue par la fédération française d'escrime et une procédure est toujours en cours au sein de l'International Testing Agency (ITA) en Suisse. "C'est la plus sévère, complète Jean-Pierre de Mondenard. A priori, je ne vois pas comment elle peut s’en tirer. Mais tout est possible." Si la Guadeloupéenne parvient à prouver son innocence, elle devra encore participer à des compétitions officielles pour espérer se qualifier pour Paris 2024. 

Ysaora Thibus lors de la finale par équipes du fleuret aux JO de Tokyo

Dimitri Bascou rêvait de décrocher à Paris une seconde médaille olympique sur sa discipline de cœur, le 110 m haies. Après plusieurs années à blanc, l'athlète avait annoncé son retour à la compétition en juin 2021. Si les espoirs de qualifications étaient déjà minces pour Dimitri Bascou à Paris, cette procédure n'arrange rien au cas du Martiniquais de 36 ans qui a demandé l'analyse d'un échantillon B. Il devra s'expliquer prochainement auprès de l'Agence française de lutte anti dopage.