Adopté par les députés en commission le 14 février, le texte porté par le député de Guadeloupe Elie Califer prévoit que la "République française reconna(isse) sa responsabilité dans les préjudices sanitaires, écologiques et économiques" causés par l'utilisation de ce pesticide en Martinique et en Guadeloupe. La France doit avoir pour objectif "la dépollution des terres" et "l'indemnisation des victimes", poursuit le texte.
Le chlordécone, pesticide répandu dans les bananeraies pour lutter contre le charançon, a été interdit aux États-Unis dès 1975. Mais il est resté autorisé en France jusqu'en 1990, et même jusqu'en 1993 - 15 ans après les premières alertes de l'OMS - aux Antilles, où il a bénéficié d'une dérogation.
Par cette loi, le groupe PS dit espérer "enfin une reconnaissance officielle de la responsabilité de l'État" dans ce "scandale environnemental et sanitaire". "C'est une première étape essentielle" qui permettra "d'introduire dans la loi les objectifs" de dépollution des terres et des eaux et d'indemnisation des victimes, note le PS. Mais le texte a surtout une valeur symbolique. "C'est très important, même si ça ne changera pas le montant des indemnisations", reconnaît un cadre du groupe.
"Réécriture inacceptable"
Une trentaine d'amendements ont été déposés, dont deux de la députée Charlotte Parmentier-Lecocq, exprimant les réserves macronistes. L'un vise à remplacer la "responsabilité" de la République française dans les "préjudices" subis par sa "part de responsabilité dans l'ampleur des dommages", l'autre réclame une "instance indépendante" pour évaluer les actions de dépollution et de protection des populations.
"C'est important de reconnaître une part de responsabilité de l'État, mais la responsabilité est partagée, sinon c'est un peu facile", dit-elle à l'AFP, citant les fabricants du chlordécone, les propriétaires d'exploitations qui l'utilisaient et les élus locaux "qui plaidaient à l'époque pour des dérogations".
Dénonçant le "flou artistique" du texte initial d'Elie Califer, elle estime qu'il n'apporte pas de "réponses concrètes sur la dépollution et l'indemnisation" des victimes.
Elie Califer, à l'origine de la proposition de loi, s'insurge et dénonce "une réécriture" du texte. "C'est inacceptable. Ça va être un bras de fer", prévient-il. "On a besoin que la reconnaissance de la responsabilité de l'État soit inscrite dans le marbre de la loi. C'est important pour nous. Les territoires des Antilles se sentent abandonnés à leur sort. Après, viendront les questions d'organisation et du fonds d'indemnisation", poursuit le député de Guadeloupe.
"Il faudra une mobilisation"
Aux Antilles, où le non-lieu prononcé en janvier 2023 par deux juges d'instruction parisiennes enquêtant sur le scandale avait provoqué beaucoup d'amertume, le vote sera scruté de près. Christophe Lèguevaques, avocat des parties civiles dans l'information judiciaire, note l'absence de reconnaissance du préjudice moral et regrette lui aussi que seule la responsabilité de l'État soit engagée.
Un positionnement qui rejoint celui du collectif "Lyannaj pou dépoliyé Gwadloup" (Alliance pour la dépollution de la Guadeloupe), pour qui le texte ne va pas assez loin, notamment en n'impliquant pas les producteurs de l'époque. "Nous sommes favorables, bien sûr, à une reconnaissance de la responsabilité de l'État, souligne Laurence Maquiaba, membre de ce collectif. Mais nous ne pouvons pas considérer que l'État est seul responsable, les pollueurs doivent aussi être concernés".
En Martinique aussi, les militants attendent plus. Pour Philippe Pierre-Charles, porte-parole du collectif "Simenn Matinik doubout, gaoulé kont chlordécone" (Semaine de la Martinique debout - révolte contre le chlordécone), cette reconnaissance serait "un élément non négligeable" mais doit ouvrir la porte à un programme de réparation". "Et là, ce n'est pas encore ce qui est mis clairement sur la table", regrette-t-il.
Comme nombre d'acteurs engagés dans le dossier, Philippe Pierre-Charles reste marqué par le non-lieu prononcé en janvier 2023, vu à l'époque comme un "déni de justice". En cas d'échec au Parlement, les Martiniquais resteront "déterminés", prévient-il : "C'est la pression populaire qui compte. Si jamais les macronistes ne le comprennent pas, il faudra une mobilisation".