Des motifs de l'art occidental classique sont bouleversés par l'introduction de corps noirs, dans une recomposition des figures de l'Histoire de l'art. Au Studio des Acacias, Raphaël Barontini présente son exposition Soukhos comme une "complète créolisation des iconographies".
Soukhos est le fruit de la résidence d'artiste LVMH Métiers d'Art de Raphaël Barontini à Singapour. Le peintre de 36 ans avait été choisi en 2020 suite à un concours pour passer huit mois dans une tannerie. Il y a appris à travailler le cuir de crocodile : l'exposition est nommée d'après Soukhos, un dieu égyptien mi-homme, mi-crocodile.
L'exposition est organisée par le fonds de dotation Reiffers Art Initiatives et la galerie Mariane Ibrahim, qui représente Raphaël Barontini.
L'artiste revendique son inspiration du concept de "créolisation" du philosophe martiniquais Édouard Glissant, que Raphaël Barontini définit comme "le résultat imprévu du mélange de cultures et des références". Il l'associe avec la création artistique, qui implique une "partie expérimentale et inattendue".
Et, dans l’art de Barontini, mélange il y a ! Ses représentations passent du Chevalier de Saint-Maurice à des têtes ifé nigériennes imprimées sur des plastrons d’inspiration médiévale, le tout imbibé de couleurs et de textures bigarrées. Selon l’artiste, ce syncrétisme excentrique a des échos dans l’histoire de la Guadeloupe, l'île d'origine de sa mère. La "multiplicité de cultures et de traditions" de l’île se traduit par "une sorte d’inattendu" qui s’opère. Cela reflète les origines de Barontini : né d'un père italien et d'une mère guadeloupéenne, il a grandi à Saint-Denis.
Inspirations carnavalesques
Le visiteur est comme happé par les tons de joyaux et l'aspect baroque des tenues et étendards de l'exposition. Raphaël Barontini entraîne par l'allure fantasque du carnavalesque. Amateur de déboulés, il rend hommage au carnaval, "un moment collectif où on recompose son identité".
Les œuvres de Barontini peuvent être portées et paradées. Cette bidimensionalité permet une réinvention de son support, qui devient alors protéiforme. Avec enthousiasme, il confesse vouloir un jour organiser son propre défilé de carnaval, avec ses pièces comme costumes.
"Recomposer sa propre narration"
Interrogé sur la diversité des références historiques de ses œuvres, Raphaël Barontini esquisse un sourire amer : "Dans l’histoire de l’art, on sait qu’il y a une proéminence des représentations de l’Europe et des cours européennes qui montraient leur puissance". Il remarque qu’au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique, "c’était aussi la période de l’esclavage".
Ses oeuvres sont en fait une opportunité de "mettre un projecteur sur les cultures qui ont été sous-représentées ou sous-figurées dans l’histoire de l’art".
C'est enrichir ce que l'Histoire de l'art peut relater et mettre un projecteur sur les cultures qui ont été sous-représentées ou sous-figurées dans l’Histoire de l’art.
Retour vers le futur : l'afrofuturisme
Cette imagerie historique mêlée à une esthétique cosmique évoque la réflexion artistique de Raphaël Barontini, qui confie être "dans un va-et-vient constant entre le futur, le présent, le passé". Tout en réimaginant l'Histoire, il explore les possibilités du futur. L'artiste affirme "qu'il y a l’Histoire, mais il y a aussi comment on dépasse ça et on se réinvente", s'improvisant disciple de l'afrofuturisme.
L'afrofuturisme est un courant de pensée qui décrit l'appropriation par les communautés noires de la technologie et de l'imagerie de la science fiction, dont l'esthétique est similaire au monde du film Black Panther. Raphaël Barontini référence dans son travail le musicien afro-américain Sun Ra, considéré comme chef de file du mouvement.
En septembre, Raphaël Barontini exposera à Matignon puis au MO.CO, le Musée d'Art Contemporain de Montpellier, en octobre.
Écoutez l'entretien de Raphaël Barontini avec Kenza Cissé :
Raphaël Barontini sur "Soukhos"