De la Guadeloupe aux JO de Tokyo, l'escrimeur Enzo Lefort se raconte dans un manga

Présentation du manga "Enzo", co-écrit par l'escrimeur Enzo Lefort, à Paris, le 15 novembre 2022.
Le fleurettiste de 31 ans, triple champion du monde et champion olympique par équipes, a coécrit le premier tome d'une série d'ouvrages retraçant son parcours, depuis son enfance aux Antilles.

"J'en ai marre d'être assis là. Et pis, j'ai mal à mes doigts", se plaint le petit Enzo. "Tu n'aimes pas le piano ?", lui demande sa mère. "Non." En 1996, à Vieux-Habitants, une petite commune de la Guadeloupe, Enzo Lefort préfère aller jouer au foot avec ses copains plutôt que d'apprendre le solfège. Mais ce mois de juillet-là, le garçon est happé par la télévision. Sur l'écran, une jeune Guadeloupéenne se prépare à combattre. C'est la finale d'escrime aux Jeux olympiques d'Atlanta. Laura Flessel vient de remporter la médaille d'or.

Depuis, Enzo Lefort s'est, lui aussi, lancé dans le "scrime". Il a quitté la Guadeloupe et s'est installé dans l'Hexagone pour y suivre les pas de Laura, jusqu'à devenir champion d'Europe, du monde et champion olympique de fleuret, par équipes et en individuel. Son enfance, sa découverte de l'escrime, ses entraînements, ses amis, il les raconte dans Enzo, un manga qu'il a coécrit avec Tony Lourenço et Madana (au dessin), paru aux éditions Blackléphant, le 17 novembre.

Dessin représentant Enzo Lefort quand il était petit.

Démocratiser l'escrime

Tout commence à l'été 2021, aux Jeux olympiques de Tokyo. Enzo Lefort décroche la médaille d'or au fleuret avec l'équipe de France. Fan du Guadeloupéen, le fils du directeur de la maison d'édition Blackléphant, une toute jeune entreprise basée en Bretagne, lance le défi à son père de faire un projet avec le champion olympique. "Chiche", a répondu Philippe Bonhomme.

Notre volonté, c'était de montrer que l'escrime est un sport accessible, qui n'est pas élitiste. Enzo, c'est le sportif idéal : il vient de la Guadeloupe, d'un petit village qui s'appelle Vieux-Habitants, ses parents sont enseignants, et il devient champion du monde !

Philippe Bonhomme, directeur de Blackléphant

À l'occasion du lancement du manga, Enzo Lefort et la maison d'éditions ont convié la presse dans une salle parisienne, deux jours avant la sortie du livre en librairie. Dans un petit coin, Tony Lourenço, le scénariste, et Madana, la dessinatrice, se plient au jeu de l'interview, tout en dédicaçant des ouvrages pour les quelques chanceux à obtenir un exemplaire avant les autres.

"Des échecs, des grandes victoires, ses copains qui gagnent... La vie d'Enzo, elle est quand même exceptionnelle", énumère Tony Lourenço. Le Enzo en question, qui alterne entre interviews et dédicaces, se réjouit de pouvoir raconter son histoire à travers ce format, très prisé des jeunes, et qui s'est naturellement imposé. Loin du récit hyper-scénarisé des mangas traditionnels japonais comme Naruto, Enzo raconte simplement l'évolution extraordinaire d'un jeune Guadeloupéen. Le message derrière ce récit : n'importe qui peut devenir champion, que ce soit en escrime, ou dans un autre sport.

Présentation du manga "Enzo", co-écrit par l'escrimeur Enzo Lefort, à Paris, le 15 novembre 2022.

Présentation du manga "Enzo", co-écrit par l'escrimeur Enzo Lefort, à Paris, le 15 novembre 2022.

"Génération Flessel"

Enzo, c'est aussi l'histoire des héritiers de la "génération Flessel". Comme Enzo Lefort, ils sont nombreux à s'être lancé dans l'escrime aux Antilles et à remporter des médailles, les unes après les autres : Ysaora Thibus, Yannick Borel, Luidgi Midelton, Anita Blaze, Pierre Loisel, Daniel Jérent... "Pour moi, c'est important de montrer qu'on a commencé l'escrime en Guadeloupe et que ça ne nous a pas empêché d'aller loin, dit Enzo Lefort. Au contraire, ça a été une force qui nous a permis d'atteindre les plus hauts sommets du monde."

Si ce manga peut contribuer à relancer un peu l'usine à champions qu'est la Guadeloupe, mon objectif aura été atteint.

Enzo Lefort, à Outre-mer La 1ère

Dessin du manga "Enzo".

La dessinatrice du livre, Madana, qui n'avait jamais rencontré le Guadeloupéen avant la soirée de lancement à Paris, a dû se baser sur des dizaines et des dizaines de photos et vidéos d'Enzo pour dessiner au mieux le fleurettiste. Représenter les gestes rapides, furtifs et précis des escrimeurs s'est avéré compliqué, avoue-t-elle : "La spécificité du combat au fleuret, c'est qu'à peine le combat est commencé, c'est déjà terminé. Enzo, lui, il est reconnu pour être rapide." Pas simple à dessiner. Mais au moins, "elle a bien capté mes yeux", s'amuse Enzo.

Pour toucher un public le plus large possible, le manga, contrairement au format traditionnel japonais, ne se lit pas de droite à gauche, mais de gauche à droite, comme un bouquin "normal". En revanche, les traits de dessin, et les scènes spectaculaires (voire exagérées), propres au manga sont bel et bien là. "J'ai exagéré certains gestes d'Enzo dans le manga pour qu'on se rende bien compte de la furtivité de l'escrime, et pour que ce soit bien dynamique", explique Madana.

5.000 exemplaires d'Enzo ont été imprimés. L'objectif est d'atteindre les 50.000 mangas vendus, espère Philippe Bonhomme. "Il va y avoir un tome par an, ensuite. L'objectif, c'est d'arriver aux JO de Paris-2024 en apothéose avec le dernier tome", avance Tony Lourenço. Ensuite, ce sera à la "génération Lefort" d'écrire la suite de l'histoire.