Dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie : les débats s'éternisent à l'Assemblée nationale

L'hémicycle de l'Assemblée nationale à Paris (image d'illustration).
Après que le Sénat et la commission des lois de l'Assemblée nationale aient adopté le projet de loi constitutionnel visant à dégeler le corps électoral pour les élections provinciales de Nouvelle-Calédonie, c'est en séance publique de l'Assemblée nationale que le texte est désormais étudié. Les deux positions sont toujours irréconciliables, et les débats ont duré jusque tard dans la nuit.

Alors que la violence a gagné les rues de Nouméa et de son agglomération, l'Assemblée nationale a commencé l'examen du projet de loi constitutionnel visant à dégeler le corps électoral pour les élections provinciales de Nouvelle-Calédonie. Dans son propos introductif, le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, jusqu'alors chargé du dossier, a exhorté les députés à voter le texte présenté. "En votant ce texte, vous ne ferez qu’une chose, rétablir la démocratie" s'est-il exclamé en conclusion de son propos général, après avoir salué les forces de l'ordre mobilisées sur l'archipel. 

Motion de rejet préalable 

Pour tenter de faire barrage au texte, le groupe socialiste et apparentés de l'Assemblée nationale a déposé une motion de rejet préalable, débattue avant le texte, et visant à le rejeter avant son examen. Dénonçant un "calendrier à contre-temps" et un "projet de loi qui divise plus qu'il ne rassemble", Arthur Delaporte, député socialiste, a défendu, cette motion de rejet. "Pour remplir son rôle, l’État doit rester neutre" a-t-il poursuivi, rappelant la nomination de la loyaliste Sonia Backès dans le gouvernement précédent et estimant que Gérald Darmanin n'avait pas su garder cette neutralité dans le dossier calédonien. 

"Vous optez pour le jusque boutisme", a de son côté argué Olivier Serva, député guadeloupéen du groupe LIOT, au gouvernement, se posant en faveur de la motion de rejet. Les groupes de la majorité présidentielle, Les Républicains et Rassemblement national, ont eux expliqué qu'ils voteraient contre la motion de rejet. Motion finalement rejetée 174 voix contre 79 à l'issue du vote public en fin d'après-midi. Le texte et les prés de 200 amendements déposés ont donc ensuite été débattus dès le début de la soirée, à Paris.

Démocratie vs décolonisation 

Dès le début de l'examen des plus de 200 amendements déposés par les partis de gauche dans l'hémicycle, la tension est montée avec les défenseurs du texte. L'un des amendements prioritaires déposés par Bastien Lachaud, député de la France insoumise, visait à supprimer les articles du projet de loi constitutionnel. "Nous sommes nés en Nouvelle-Calédonie, lui répond Nicolas Metzdorf. Nous sommes chez nous. Si vous appliquez votre logique à la France hexagonale, vous devriez changer de bord, monsieur Lachaud" avant d'être applaudi par la majorité et hué par La France Insoumise. "Entre la démocratie et la violence, j'ai choisi mon camp.

Il n'est pas possible de dégeler hors d'un accord global

Bastien Lachaud, député insoumis

Pour Gérald Darmanin, le débat qui se joue est celui de la démocratie. "Les accords de Nouméa ont donné trois fois non. Peut-être, n’avaient-ils pas prévu le fait que le peuple calédonien avait par trois fois dit non." À la démocratie, les opposants au texte invoquent la notion de décolonisation. Mais le processus est achevé pour le rapporteur Nicolas Metzdorf : "Non, la décolonisation n’est pas achevée avec les trois référendums" estime lui Jérôme Guedj, député du groupe socialiste et apparentés. "Aujourd’hui, il y a besoin de donner du temps au temps, le président l’a fait hier, et il faut s’en féliciter." 

Ce dimanche en effet, Emmanuel Macron a lancé une invitation aux partenaires politiques calédoniens pour se retrouver à Paris, afin de poursuivre les discussions, une fois que le texte aura été voté à l'Assemblée. Alors que le texte doit, s'il est validé par l'Assemblée nationale dans les mêmes termes que le Sénat, être adopté par le Congrès de Versailles, convoqué par Emmanuel Macron. Dimanche, Emmanuel Macron a affirmé, par la voix de son entourage, qu'il ne convoquerait pas "dans la foulée" le Congrès du Parlement

Un accord global à portée de main ?

Durant des heures, s'écharpant parfois sur des virgules, les deux camps ont tenté de rappeler des parties de l'histoire complexe du Caillou la tournant chacun à sa manière. Pourtant, au fond, les deux camps s'accordent à dire que le dégel du corps électoral est nécessaire. C'est sur la méthode et les conséquences de l'adoption de ce texte que les parties débattent. Bastien Lachaud demande en boucle d'apporter des chiffres sur le nombre de personnes concernées par le dégel. "Donnez-nous les chiffres ! Combien de personnes sont concernées, aujourd’hui ? Dans 1 an ? Dans 10 ans ?", s'énerve-t-il à chaque amendement défendu. Après plusieurs minutes, le ministre répond que la réforme concernerait un peu plus de 25 000 personnes sur tout le territoire.

Personne ne remet en cause le dégel du corps électoral. Mais pour se mettre d'accord, que proposez-vous ? Vous ne proposez pas de décisions alternatives. 

Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur et des Outre-mer

La députée écologiste Sabrina Sebaihi défend sa position. Pour argumenter son amendement prioritaire, elle n'hésite pas à qualifier le projet de loi de "dangereux". Pour répondre au ministre, elle évoque une proposition avec l'un de ses amendements. "Circonscrire l'ouverture du corps électoral aux natifs de Nouvelle-Calédonie" pour "permettre une transition plus juste et éviter que la situation ne dégénère." Déjà reportées, les élections provinciales devront se tenir avant le 15 décembre 2024. Comprenant qu'aucun amendement n'aurait la majorité pour être adopté, le député polynésien GDR Tematai Le Gayic a choisi de retirer certaines de ces propositions de modifcations du texte. 

L'accord global : "nous l'appelons aussi de nos vœux", a précisé Philippe Gosselin, député les Républicains, pour répondre aux députés de gauche qui les accuse de ne pas chercher à débattre sur le fond du sujet. À minuit heure de Paris, les débats ont dû se clore avant la fin de l'examen de tous les amendements déposés. Pendant ce temps, à Nouméa, un couvre-feu a été instauré à compter de 18h, ce mardi. 

Philippe Dunoyer, député calédonien, juge que le Caillou n'avait pas connu de telles violences depuis 40 ans. "Parler de l'histoire de la Nouvelle-Calédonie, c'est très important, je veux simplement vous dire que le processus calédonien est très compliqué, très fragile. Je vous le dis avec le cœur, je suis très inquiet par ce qu'il se passe. Le président de la République a lancé un appel, c'est le dernier espoir que nous ayons de sortir le territoire du risque de retomber dans les pires heures de son histoire", a-t-il conclu, alors qu'il avait été très attentif et silencieux pendant les débats. Une centaine d'amendements devront encore être étudiés. Les débats reprendront mardi dans l'après-midi, à Paris, avant le vote solennel initialement prévu à 16 h, qui pourrait être repoussé à mercredi si les débats s'éternisent encore.