Au-delà de la peine d’avoir perdu un proche, des funérailles nous font aussi endurer des tracas administratifs. Et quand le décès se passe à plusieurs milliers de kilomètres, cela peut tourner au casse-tête.
Pour répondre à cette situation, le ministère des Outre-mer a mis en place en 2018 la continuité territoriale funéraire qui comprend deux volets : d’une part le transport de corps, d’autre part un voyage pour participer à des obsèques ou aller voir un parent mourant.
1. L’aide à la continuité territoriale obsèques
Elle consiste en une aide pour financer en partie le prix d’un billet d’avion aller-retour, d’un territoire ultramarin vers l’Hexagone et inversement, ainsi que pour un déplacement entre deux territoires d’Outre-mer, dans le but de rendre visite à un parent mourant ou d'assister aux obsèques d’un parent.
- Qui y a droit ?
Le proche qui peut en bénéficier doit résider dans l’un des territoires d’Outre-mer ou dans l’Hexagone, et il peut être :
> un parent au 1er degré, c’est-à-dire l’enfant, le père ou la mère du défunt
> le frère / la sœur
> le conjoint / partenaire lié par un pacte civil de solidarité.
Cette aide n’est cependant pas ouverte à tous, mais uniquement aux personnes dont le plafond de ressources maximum est de 11.991 € (à savoir le revenu fiscal annuel d’un foyer divisé par le nombre de parts dans ce foyer, NDLR).
- A combien s’élève l’aide ?
L’aide est forfaitaire et donnée sous forme de remboursement. Elle varie selon la collectivité d’outre-mer de destination/de provenance, comme dans le dispositif classique de continuité territoriale :
À noter que les montants ont été revus à la hausse début mars. Pour les voyages inter-DROM, le montant de l’aide à la continuité territoriale est fixé à 40 % du coût du titre de transport aérien aller/retour.
2. L’aide au transport de corps
L’aide est destinée à financer une partie du coût du transport aérien de corps d’un territoire ultramarin vers l’Hexagone et inversement. Par dérogation, le transport de corps peut aussi se faire inter-DROM lorsque le décès est intervenu au cours ou à la suite d’une évacuation sanitaire.
- Qui y a droit ?
La personne qui organise les funérailles du défunt et le rapatriement du corps peut réclamer cette aide, à condition de ne pas dépasser un plafond de ressources maximum de 11 991 €, comme pour le dispositif « obsèques ».
L’autre condition est que le défunt ou un de ses proches n’ait pas souscrit d’assurance qui prendrait en charge tout ou partie du coût du transport.
- À combien s’élève l’aide ?
L’aide est attribuée sous la forme d’un remboursement forfaitaire du prix du billet d’avion. Le montant de l’aide est fixé à 50 % des frais, avec un plafond en fonction de la distance à savoir :
> 1.000 € pour la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte, La Réunion, Saint-Barthélémy, Saint-Martin et Saint-Pierre et Miquelon
> 2.000 € pour la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie et Wallis et Futuna
- À qui s’adresser dans les deux cas ?
Pour les deux dispositifs, l’agence de l’Outre-mer pour la mobilité (LADOM) est compétente pour la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte, la Réunion, Saint-Barthélémy et Saint-Martin.
Pour les demandes concernant la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna et Saint-Pierre et Miquelon, ce sont les services de l’État présents localement qui s’occupent de l’attribution des aides.
Dans les deux cas, il faut déposer la demande après les obsèques et au plus tard dans les trois mois suivant la date de voyage.
Pourquoi est-elle si peu demandée ?
Mise en place en 2018, la continuité territoriale funéraire est très peu sollicitée. Selon les rapports d’activités de LADOM, entre 2019 et 2021, 180 aides obsèques et 9 aides au transport de corps ont été prises en charge dans les départements et régions d’Outre-mer.
Les chiffres de 2022 ne sont pas encore publiés mais la direction générale des Outre-mer a indiqué lors de son audition par le Sénat le 9 mars dernier qu’ils restent faibles, année après année. Les raisons pour expliquer cette sous-utilisation sont multiples.
Pour le transport de corps par exemple, il ne faut pas avoir d’assurance qui finance le rapatriement du défunt. Or, une partie de la population dispose d’une couverture assurantielle.
Lors de la même audition, la direction générale des Outre-mer a admis par ailleurs que la continuité funéraire restait méconnue car l’information n’a pas été suffisamment relayée : "Nous vous rejoignons sur le défaut de communication de LADOM, ça fera partie du projet ‘LADOM 2024’ de renforcer sa communication."
"Je l'ai expérimenté, j’ai laissé tomber"
La troisième raison pourrait être le fonctionnement actuel qui limiterait les demandes. La sénatrice martiniquaise Catherine Conconne, co-rapporteure de cette mission sur la continuité territoriale, pointe ainsi "des complexités administratives" alors que "le funéraire demande une réactivité importante". "Je l’ai moi-même expérimenté pour un certain nombre de familles. Tout en annonçant mon nom, qui j’étais… J’ai laissé tomber", raconte-t-elle.
"La deuxième chose, c’est ce plafond de conditions de ressources qui est pour moi inacceptable", poursuit-elle. 11.991 €, "ça fait 1.000 € par mois, avec des prix d’alimentation supérieurs de 38%", insiste-t-elle en rappelant que les Outre-mer connaissent les taux de pauvreté parmi les plus élevés de France.
Les critiques de la sénatrice martiniquaise sont résumées ainsi par son confrère de Saint-Pierre et Miquelon, Stéphane Artano : "Il faut d’abord que les gens avancent les frais funéraires puis après se fassent rembourser, ce qui pose des difficultés dans la plupart des cas puisque les gens n’ont pas forcément – justement - la capacité de les avancer."
Comment répondre à l’urgence
D’où sa question : "Est-ce qu’une révision ou un conventionnement avec les collectivités pour avoir un relais sur cet aspect-là des choses pourraient être étudiées ? Ou une modification des règles de mobilisation de ces crédits ?"
Sur ce point, les représentants de la direction générale des Outre-mer ont reconnu que le système actuel "s’emboîte mal avec l’urgence et la détresse d’une famille qui est confrontée à un décès", mais qu’"il y a forcément une complexité dès lors qu’on est avec de l’argent public. C’est regrettable mais c’est aussi une réalité."
"Il faut qu’on voie […] qu’est-ce qu’on peut imaginer comme solution opérante", ont-ils proposé, en soulignant qu’ils "passai[en]t énormément de temps pour essayer d’améliorer les choses".
Le dispositif de continuité funéraire a en effet été réformé en 2021 pour permettre de rendre visite à un parent mourant, pour ouvrir le dispositif aux frères et sœurs, et rendre possible les déplacements entre Outre-mer.
Le dispositif réunionnais
Mais ce n’est visiblement pas suffisant, puisque des régions développent des aides complémentaires. Dans l’Hexagone, c’est le cas de l’Île-de-France. Depuis le 6 mars dernier, la Région et le Département de La Réunion ont également signé une convention de continuité funéraire pour accompagner financièrement les familles les plus modestes.
Désormais, en cas de décès d’un Réunionnais, ses proches peuvent appeler un numéro unique - le 0262 974 777 - et sont aidés en fonction de leurs besoins.
S’ils souhaitent assister à des funérailles, la Région peut leur donner 500 € en plus des 360 € de LADOM, soit 860 € en tout pour financer leur billet d’avion. L’avantage, c’est qu’ils n’ont pas besoin d’avancer cet argent car la collectivité leur remet directement un bon. Seule condition : rentrer dans les critères, c’est-à-dire ne pas avoir un revenu fiscal annuel supérieur à 11.991€.
S’il s’agit d’un transport de corps, c’est cette fois le Département qui verse entre 3.000 et 5.000 € aux familles endeuillées, là encore sous conditions de ressources.
Le risque d’être retoqué ?
D’après le directeur mobilité de la Région Réunion, Frantz Blard, il y avait des besoins "urgents", "cruciaux" face à un remboursement qui "n’est pas très satisfaisant d’un point de vue de l’accompagnement des familles". "L’année dernière, on a eu énormément de cas, se souvient-il. C’est conjoncturel. Il y a eu beaucoup de cagnottes donc les élus ont été sensibilisés à ça."
Cette solution semble donc répondre à une demande, mais respecte-t-elle la loi ? En décembre dernier, la justice a en effet rappelé à la Réunion qu’elle n’avait pas le droit de se substituer à l’État en instaurant un dispositif régional autonome de continuité territoriale, ce qu’elle avait fait entre 2015 et 2022.
Le dispositif réunionnais risque-t-il d’être à nouveau retoqué ? Pas cette fois, pense Frantz Blard qui assure que la Réunion a pris toutes les précautions. D'une part, "le dispositif a été calqué sur les critères de LADOM notamment en termes de quotients familiaux".
Répondre à toutes les demandes
D’autre part, l’agence de l’Outre-mer pour la mobilité "a participé aux travaux" et "a été sollicitée officiellement" pour signer avec le Département et la Région la même convention. Mais ses responsables n’ont "pas été en mesure de valider parce qu’ils étaient en pleine réflexion sur la continuité territoriale" et qu’ils devaient attendre la fin des travaux avant d’apporter une réponse.
Une information confirmée par LADOM qui explique obéir au code des transports, et qu’elle ne peut pas décider de son propre chef tant que les textes n’évoluent pas.
Surtout, elle est en train de fusionner avec la délégation interministérielle pour l'égalité des chances des Français d'Outre-mer. Ce chantier de transformation doit permettre de redéfinir les missions de LADOM d’ici à 2024, pour en faire un guichet unique efficace au service des Ultramarins. C’est en tout cas ce qu’espère sa direction.
Pour en savoir plus sur le fonctionnement actuel de la continuité territoriale, retrouvez notre article ici. Le deuxième volet de notre dossier est consacré au dispositif corse et à la question de sa transposition aux territoires ultramarins.