"Il faut que l'État trouve des solutions ou, à terme, il n'y aura plus d'assureurs dans les Outre-mer", mettait en garde le 7 octobre dernier Jean-Laurent Granier, le président de la compagnie d’assurance Generali. Son entreprise est présente en Nouvelle-Calédonie, où les dégâts causés par la crise débutée en mai dernier se chiffrent en milliards d’euros. Jean-Laurent Granier met en cause l’État et son incapacité à maintenir l’ordre.
"Effectivement, si l’ordre n’est pas respecté, alors l’économie de l’assurance ne peut pas fonctionner : il n’y a plus d’aléa s’il y a des émeutes à répétition", note Christophe Delcamp, directeur des Assurances de Dommages et Responsabilité la principale fédération des entreprises d’assurance en France. Parce que les tensions sociales occasionnent régulièrement des destructions en Outre-mer et que ces territoires sont en première ligne face au dérèglement climatique, les assureurs vont-ils finir par déserter les territoires ultramarins ?
En 2020 déjà, l’inspection générale des Finances, notait dans un rapport que "l’Outre-mer peut faire peur aux assureurs, avec des marchés trop exigus aux caractéristiques particulières, au regard de risques considérés comme excessifs". De son côté, Christophe Delcamp assure qu’il n’y a "pas de difficultés Outre-mer", tout en reconnaissant que si l’assureur "estime qu’il y a une fréquence trop grande de certains évènements, qui sont certains de survenir, il peut adapter ses couvertures d’assurance, voir sa présence sur certains territoires".
Des ravages prévisibles, et donc pas assurables
"L’assureur va analyser l’exposition au risque, que ce soit à Nice ou en Guadeloupe, explique Christophe Delcamp. Les Outre-mer sont exposés à un grand nombre d’aléas climatiques, des éruptions volcaniques, des cyclones, des glissements de terrain, des inondations…" Mais en théorie ces aléas ne freinent pas les compagnies d’assurance, puisqu’ils sont pris en charge par la garantie catastrophes naturelles. Ce système, quasiment unique au monde, est un régime d'assurance "public-privé" financé par une taxe sur les contrats d'assurance. La franchise est la même, dans l’Hexagone comme en Outre-mer. Mais alors que les évènements extrêmes se multiplient, le système peine à se financer. La taxe, jusqu’ici fixée à 12%, passera à 20% à partir du 1er janvier prochain, pour prendre en compte les conséquences du dérèglement climatique.
La garantie catastrophes naturelles n'assure pas tous les risques liés au changement du climat : on ne peut pas assurer son bien contre les sargasses par exemple, ni contre la montée du niveau de la mer. Le régime couvre les dommages directs, or ce n’est pas l’échouage des algues qui abime directement l’électroménager, mais l’absence de ramassage qui provoque leur pourrissement. "Même chose pour le recul du trait de côte. L’assurance est basée sur l'aléa, il faut que le phénomène soit aléatoire. Or, malheureusement, le recul du trait de côte n’est pas un phénomène aléatoire, c’est un phénomène certain : toutes les côtes du monde sont menacées", explique Christophe Delcamp.
Assurer des biens contre les effets du dérèglement climatique s’avère particulièrement complexe : non seulement un glissement de terrain a des causes multifactorielles, mais les catastrophes sont plus ou moins imprévisibles et leurs conséquences difficiles à anticiper, d’où la difficulté des assureurs à provisionner des fonds pour ce type de risque.
Déjà moins d'assureurs en Outre-mer
Selon l’inspection générale des Finances, il y a déjà moins d’assureurs dans les Outre-mer qu’ailleurs en France. En 2020, seuls quatre assureurs se partageaient 70% du marché ultramarin. Dans l’Hexagone, une telle part de marché est occupée par 11 compagnies d’assurance.
Il est parfois difficile pour ceux qui veulent s’assurer de trouver une franchise. L’année dernière, Madi Madi Souf, le maire de Pamandzi, à Mayotte, s’inquiétait de voir des particuliers mahorais contraints de se tourner vers des compagnies d’assurance à La Réunion. "Avec les problématiques qu’on connait actuellement, les voitures brulées, les maisons brulées, les particuliers ont du mal à s’assurer", expliquait-il, craignant que les communes ne doivent, à terme, faire de même.
Que faire si certains territoires deviennent inassurables parce que les émeutes ou les pillages se font trop fréquents ? Dans un rapport publié en mars dernier, le sénateur Jean-François Husson propose de s’inspirer du régime des catastrophes naturelles pour mieux prendre en charge le risque des dégradations urbaines, et soumet l’idée d'un "arrêté de reconnaissance d’émeute", comme il existe des arrêtés de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle.