Euzhan Palcy : "Mon film sur Toussaint Louverture, je le ferai et j'aimerais que la France le produise" #MaParole

Euzhan Palcy
Le Centre Pompidou à Paris propose une rétrospective consacrée à l'oeuvre d'Euzhan Palcy, du 8 au 19 novembre. A cette occasion, la réalisatrice martiniquaise de l’inoubliable "Rue Cases-Nègres" retrace son parcours dans #MaParole.

Comment se fait-il qu’il aura fallu attendre 2023 pour qu’enfin le cinéma d’Euzhan Palcy fasse l’objet d’une rétrospective en France ? Le travail de la réalisatrice martiniquaise a déjà été salué par de nombreux événements de ce type en Angleterre, aux États-Unis, au Canada et dans plusieurs pays du continent africain. Mais en France rien. En novembre 2022, Euzhan Palcy a reçu un oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. Un an après, son pays natal s’est réveillé et la voilà célébrée au Centre Pompidou du 8 au 19 novembre 2023. "Mieux vaut tard que jamais", déclare la réalisatrice dans #MaParole.

Cependant, comble de malchance pour Euzhan Palcy, un mouvement de grève a lieu en ce moment au Centre Pompidou. La soirée d’ouverture ce 8 novembre ne sera pas affectée. L’ouverture aura bien lieu ce soir, à 20h en Grande salle. "Dans le cas où les séances à venir seraient annulées, nous communiquerons sur les réseaux du Centre Pompidou", précise le service de presse.

1 Le Gros-Morne

Son parcours est exceptionnel. D’abord son prénom, Euzhan. Son grand-père, professeur de langues anciennes, l’a inventé. Native du Gros-Morne, en Martinique Euzhan Palcy s’intéresse très tôt au cinéma. Elle ne manque aucune projection organisée dans la salle communale après la messe du dimanche. À Fort-de-France où la famille déménage, elle continue à aller au cinéma régulièrement. Des réalisateurs tels que Fritz Lang, Billy Wilder, Alfred Hitchcock ou François Truffaut l’inspirent. Elle rêve de devenir réalisatrice et s’amuse à fabriquer une caméra et un studio en papier. Euzhan Palcy possède de multiples dons. Elle aime chanter et enregistre un disque de chansons pour enfants. Elle aime aussi écrire de la poésie et participe à la télévision à une émission qui parle de poètes.

En parallèle, elle se consacre à sa passion, le cinéma et écrit le scénario d’un film intitulé La messagère pour la télévision locale alors qu’elle n’a que 17 ans. Après le baccalauréat, elle quitte la Martinique pour Paris où elle commence des études de théâtre et de littérature. Elle entre ensuite à l’Ecole Louis-Lumière. En 1982, elle réalise un court-métrage diffusé sur FR3 (France 3 aujourd’hui) intitulé L’atelier du diable, un conte dans lequel un enfant s’aventure dans la mystérieuse maison d’un sorcier qui vit reclus avec un coq de combat.

2 Rue Cases-Nègres

Un projet lui tient à cœur. Elle veut adapter au cinéma le roman autobiographique de Joseph Zobel qu’elle a reçu enfant des mains de sa mère à l’âge de 12 ans. Ce roman l’a envoûté. Enfin, un livre "avec des noirs" qui lui parlait de son histoire martiniquaise !

Rue Cases-Nègres raconte la jeunesse de José dont la grand-mère Man Tine fait tout pour qu’il fasse des études et n’aille surtout pas travailler dans les champs de canne à sucre pour un salaire de misère. L’action se déroule dans la Martinique des années 30, marquée par un système colonial et des inégalités profondes entre blancs et noirs.

Rue Cases-Nègres

À Paris, Euzhan Palcy travaille sur le scénario et grâce à une amie, elle fait la connaissance de François Truffaut, le réalisateur des 400 coups et du Dernier métro. Elle obtient l’avance sur recettes du CNC, le Centre national du cinéma, et le parrainage de François Truffaut. Un exploit ! Mais pour parvenir à financer le film, c’est le chemin de croix. Euzhan Palcy finit par y arriver. Le tournage dure neuf semaines en 1983 en Martinique. Le bonheur !

L’accueil de Rue Cases-Nègres est spectaculaire. À Venise, le film obtient le Lion d’argent à la Mostra et le prix d’interprétation pour Darling Légitimus. À Paris, Euzhan Palcy est la première réalisatrice à obtenir le César du meilleur premier film en 1984. Au total, près d’une vingtaine de prix couronnent Rue Cases-nègres.

En 1985, l’acteur américain Robert Redford invite Euzhan Palcy à participer à son festival de cinéma indépendant baptisé Sundance. Il la pousse à accepter de travailler pour la Warner à Hollywood. Elle finit par signer pour l’adaptation au cinéma du roman d’André Brink Une saison blanche et sèche qui dénonçait le système de l’Apartheid en Afrique du Sud qui a sévi de 1948 à 1991. Le film raconte l’histoire d’un professeur, Ben Du Toit, qui, à la suite de la mort du fils de son jardinier puis de son jardinier, comprend toute l’horreur de l’Apartheid et décide de lutter. Grâce à ce film sorti en 1989 alors que Nelson Mandela était toujours en prison, la réalisatrice a pu rencontrer Madiba en 1995 au palais présidentiel. Il lui a dit tout le bien qu’il pensait de son travail.

Euzhan Palcy et Nelson Mandela

Dans ce film Une saison blanche et sèche, il y a une scène de procès mémorable avec Marlon Brando qu’Euzhan Palcy est la première femme réalisatrice à avoir dirigé. En 1992, retour en France avec sous le bras, le scénario de Siméon. Il s’agit d’un conte fantastique qui rend hommage à la musique antillaise. On y voit toute une série d’artistes inoubliables tels que Jacob Desvarieux, Jocelyne Béroard de Kassav, Pascal Légitimus, mais aussi le tromboniste guadeloupéen Albert Lirvat ou encore le pianiste Alain Jean-Marie.

Lors du tournage d'Une saison blanche et sèche, Euzhan Palcy dirige Marlon Brando et Donald Sutherland

3 Oscar d’honneur

De 1994 à 1995, la réalisatrice s’attelle à un long documentaire en trois volets sur Aimé Césaire, une voix pour l’histoire. Elle enregistre des heures et des heures avec cet homme politique, poète et intellectuel martiniquais. De retour aux États-Unis, Euzhan Palcy signe la réalisation pour la télévision américaine du combat de Ruby Bridges. Ce film tiré de faits réels raconte la lutte d’une écolière noire et de sa famille pour aller à l’école des blancs dans le sud des États-Unis à la fin de la ségrégation scolaire en 1960. On est frappé par la force de cette petite fille face aux manifestations de haine et de racisme.

Euzhan Palcy et Aimé Césaire

En 2005, Euzhan Palcy met en lumière dans son documentaire Parcours de dissidents l’histoire de ces Guadeloupéens et Martiniquais qui ont quitté leur île entre 1940 et 1943 pour rejoindre les Forces françaises libres du général de Gaulle, baptisé localement le "Général Micro". Les dissidents avaient été complètement oubliés. Grâce à ce film et au militantisme de sa réalisatrice, les présidents Nicolas Sarkozy puis François Hollande ont fini par rendre hommage aux dissidents au nom de la France. En 2006, choisie par une productrice, elle tourne un téléfilm en deux volets sur l’histoire de la colonisation de La Réunion, intitulé Les mariés de l’Isle Bourbon.

Euzhan Palcy a parfois mis de côté sa carrière de réalisatrice. Elle en profite pour donner beaucoup de cours à travers la planète et former de jeunes réalisateurs. Elle a souvent dit non à des projets qui ne la tentaient guère. Un journaliste s’est amusé à les compter. Elle aurait refusé 200 projets aux États-Unis !

Euzhan Palcy sur le tournage du Combat de Ruby Bridges

En 2022, l’académie des Oscar lui décerne un prix pour l’ensemble de sa carrière. Habillée d’une robe jaune splendide, elle se lance dans l’exercice du discours avec beaucoup de plaisir. Elle raconte sa carrière émaillée de rencontres, rend plusieurs fois hommage à la Martinique. Elle dit encore : "seul, on peut aller vite, mais à plusieurs, on peut aller loin". Une phrase que l’on devrait afficher dans toutes les écoles de France ! Au cours de son discours, elle évoque sa famille, ce collège qui porte son nom au Gros-Morne ainsi que ces deux jeunes martiniquaises venues assister à sa demande à cette cérémonie. Elle martèle à plusieurs reprises que : "Oui, les noirs et les femmes sont "bankable" !" On lui a tellement dit souvent le contraire...

Un an après cette cérémonie, le centre Pompidou organise une rétrospective consacrée à l’œuvre d’Euzhan Palcy. Ça tombe bien, car cette année, le film Rue Cases-Nègres fête ses 40 ans. Pour autant, Euzhan Palcy ne compte pas s’arrêter de faire des films. Elle n’a pas renoncé à son projet de fiction sur Toussaint Louverture qui lui tient tant à cœur et qui, à cause des refus, avait provoqué un nouveau départ pour les Etats-Unis. "Mon film sur Toussaint Louverture, je le ferai et j'aimerais que la France le produise". Telle est sa conclusion dans #MaParole !

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♦♦ Euzhan Palcy en 5 dates ♦♦♦

►13 janvier 1958

Naissance au Gros-Morne (Martinique)

►1983

Rue Cases-Nègres

►1989

Une saison blanche et sèche

►2005

Parcours de dissidents (documentaire)

Novembre 2022

Oscar d’honneur