Des collectifs de citoyens qui dénoncent l'insécurité et l'immigration illégale bloquent Mayotte depuis plusieurs semaines. Sur l'île, qui subit une importante pression migratoire, notamment venue des Comores voisines, près de la moitié de la population est étrangère. En visite à Mayotte dimanche 11 février, le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, a annoncé un ensemble de mesures pour répondre à la crise. Parmi elles, la suppression du droit du sol pour les enfants nés à Mayotte.
Étapes à respecter, délais possibles, éventuels freins... Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris II Panthéon-Assas, a répondu aux questions de La 1ère.
Est-ce que la suppression du droit du sol à Mayotte peut faire baisser les flux migratoires sur l’île ?
C'est assez peu probable. Si on fait le bilan de la réforme de 2018 [qui limitait déjà le droit du sol à Mayotte, ndlr], on voit que ça n'a pas tari les flux, parce que les gens qui viennent à Mayotte ne viennent pas forcément pour des papiers. Ils viennent pour des conditions de vie, etc. La question du droit du sol peut être un facteur d'opportunité, mais c'est un facteur peu décisif, relativement marginal quand on regarde l'ensemble des flux. Ça peut être un outil, ça ne sera clairement pas une baguette magique.
Depuis 2018, le droit du sol est déjà limité à Mayotte. Cette limitation s’était faite sans réforme constitutionnelle. Pourquoi cette fois-ci la suppression du droit du sol nécessite de modifier la Constitution ?
Mayotte est un territoire d'Outre-mer, et comme Mayotte est un territoire d'Outre-mer, on est sous le sceau de l'article 73 de la Constitution. L'article 73 permet des adaptations du droit dès lors qu'il y a des conditions objectives, qui font que ces territoires seraient différents de la métropole. Ce sont des adaptations limitées, mais sur lesquelles on s'est fondé en 2018 pour dire que Mayotte pouvait connaître des modulations du droit du sol. Ça ne veut pas dire une annulation, ça veut ne pas dire une suppression. On ne remet pas en cause directement ce droit, simplement, on l'atténue, on le module.
Si jamais on veut singulariser un peu plus le droit du sol à Mayotte, voire le supprimer, il va falloir modifier la Constitution. D'un point de vue juridique, c'est tout à fait possible. Vous pouvez tout changer dans la Constitution. Si vous voulez interdire la pizza à l'ananas dans la Constitution, vous pouvez le faire. Il n'y a pas de limite, il n'y a pas de carcan.
Quelles sont les étapes avant de modifier la Constitution ? À quels freins le gouvernement risque-t-il d’être confronté ?
Une fois que le même texte à la virgule près a été adopté à l’Assemblée nationale et au Sénat, le président de la République a un choix binaire : soit il réunit le Congrès, c'est-à-dire les deux chambres à Versailles, qui doivent voter le texte au trois cinquièmes des présents ; soit il décide de soumettre le texte à référendum au niveau national, c'est-à-dire que l'ensemble des Français, en métropole et Outre-mer, seraient amenés à se prononcer.
Avant ça, il faut une majorité dans les deux chambres, or c'est ce qui pose le plus problème. Il n'y a pas de majorité à l'Assemblée nationale et le Sénat est plutôt tenu par la droite. Il faudrait le soutien de LR et du RN pour espérer faire passer la révision constitutionnelle, ou de la gauche. On ne peut pas vraiment compter sur les groupes de gauche pour soutenir le gouvernement dans cette affaire, et du côté de la droite, il y a un risque de surenchère. Pour la droite et pour l'extrême droite, il y a un risque de considérer que c'est insuffisant et que le texte qu'ils souhaiteraient interdirait le droit du sol sur l'ensemble du territoire. Entre une gauche qui juge que c'est trop et une droite qui va probablement juger que c'est trop peu, trouver une majorité risque d'être extrêmement compliqué.
Certains politiques de droite et d'extrême droite demandent déjà la suppression du droit du sol partout en France. Se dirige-t-on vers une modification plus large du droit du sol ?
C'est tout à fait une possibilité. Même s'il n'a pas été consacré par le Conseil constitutionnel comme étant un principe fondamental reconnu par les lois de la République, le droit du sol reste un principe auquel l'immense majorité de la classe politique demeurait attachée et dont la constitutionnalité, à défaut d'être consacrée, apparaissait presque comme étant sous-jacente. Dès le moment où un principe connaît des exceptions, alors les droits fondamentaux qui sous-tendaient son existence étaient, en fait, relativement fragiles. Si vous pouvez le faire à Mayotte, pourquoi pas à La Réunion ? Si vous le faites à La Réunion, pourquoi pas en Guyane ? Si vous le faites en Guyane, pourquoi pas dans les départements frontaliers de la Méditerranée ? Si vous le faites dans les départements frontaliers de la Méditerranée, pourquoi pas dans le Nord-Pas-de-Calais ou à la frontière allemande ?
À quels délais peut-on s’attendre avant la mise en place de cette réforme ?
C'est très variable. Si le texte n'est pas adopté à la virgule près par l'Assemblée et par le Sénat lors de la première lecture, on a une deuxième lecture. S'il n'y a toujours pas d'adoption dans les mêmes termes, il y en a une troisième, etc. On n'est pas contraint de s'arrêter un jour et ça peut durer très, très longtemps. Gérald Darmanin annonce un texte avant l'été, et la moyenne d'une révision constitutionnelle est d’à peu près six mois. Si les choses devaient bien se passer, c'est-à-dire que les oppositions décident de ne pas bloquer le texte par principe, on pourrait imaginer quelque chose à l'hiver 2024-2025.