Gérald Darmanin s'interroge sur la pertinence de trois codes de l’environnement en Nouvelle-Calédonie

Les îles Loyauté, en Nouvelle-Calédonie.
Gérald Darmanin veut "régler les grands problèmes du Caillou". Et la première difficulté du pays à laquelle souhaite s'attaquer le ministre, comme il l'a précisé dans son entretien au journal Le Monde publié les 10 et 11 septembre, ce sont les trois différents codes de l’environnement des trois provinces. La solution se trouverait dans son projet présenté lors des discussions sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Outre-mer la 1ère vous propose la réaction d'une juriste qui a participé à la rédaction du code des îles Loyauté.

En Nouvelle-Calédonie, le droit de l’environnement est une compétence provinciale et comme il y a trois provinces, chacune a son propre code de l’environnement. Une spécificité qui ne semble pas avoir les faveurs de Gérald Darmanin. Le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer a précisé dans un entretien au journal Le Monde qu’avoir trois différents codes de l’environnement en Nouvelle-Calédonie est une difficulté dans la répartition des compétences entre les trois provinces et le gouvernement. Le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer proposerait d'y remédier dans le cadre d'un projet pour "régler les grands problèmes du Caillou" présenté dans le cadre des discussions sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Carine David est professeur de droit public à l’université d’Aix-Marseille et membre sénior de l’institut universitaire de France. Elle a longtemps vécu en Nouvelle-Calédonie où elle a participé à l’élaboration du code de l’environnement de la province Sud, adopté en 2009. Depuis 2013, elle travaille sur le code de l'environnement de la province des îles Loyauté.

Carine David, professeur de droit public, a participé à l'élaboration du code de l'environnement des îles Loyauté en Nouvelle-Calédonie (à dr.).

La 1ère : Pour bien comprendre le contexte, pourriez-vous nous expliquer pourquoi il y a trois codes de l’environnement en Nouvelle-Calédonie ?

Carine David : Les trois provinces ont décidé de codifier leur droit de l’environnement. La province Nord a adopté son code de l’environnement en 2008, la province Sud en 2009 et la province des îles Loyauté en 2016.

Le code de l'environnement de la province Sud est relativement proche de celui de la France, celui de la province Nord prend en considération un certain nombre de spécificités culturelles de la population Kanak mais de manière assez marginale, alors que le code de la province des îles Loyauté prend en compte les usages coutumiers et les formalise. Il y a donc bien trois codes, trois réglementations provinciales différentes.

Dans son entretien au Monde, Gérald Darmanin précise que l’existence de trois différents codes de l’environnement est une difficulté pour la Nouvelle-Calédonie, qu’en pensez-vous ?

Quand on connaît les spécificités de la Nouvelle-Calédonie, on ne peut qu’être en désaccord avec cette analyse. Ces trois réglementations sont différentes parce qu’elles ressemblent aux populations dont elles sont issues. Le sort des requins selon s’ils se trouvent en province Sud ou en province des îles Loyauté est un bon exemple. Suite aux attaques de requins qui ont eu lieu en Nouvelle-Calédonie, les animaux sont prélevés en province Sud alors qu’en province des îles Loyauté, le code de l’environnement consacre le requin comme entité naturelle juridique et lui reconnaît un certain nombre de droits. En province des îles Loyauté, le requin est une espèce totémique alors qu’en province Sud, c’est une espèce considérée comme nuisible parce qu’elle attaque l’homme.

Un requin à pointe noire (photo d'illustration).

Est-ce qu’il y a autre chose qui pourrait expliquer cette mise à l’index des codes de l’environnement de Nouvelle-Calédonie ? 

On peut se demander si Gérald Darmanin a soulevé la question environnementale parce que c’est la plus visible. Je m’explique : parmi toutes les compétences provinciales, c’est la seule qui soit codifiée dans les trois provinces.

Mais cette analyse du ministre pose une question politique. La construction institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie cherche un équilibre politique à travers sa provincialisation qui permet un partage du pouvoir. Remettre en cause la compétence des provinces en matière environnementale parce que ça serait gênant d’avoir un code différent par province, c’est remettre en cause, à mon sens, l’esprit même des accords de Matignon et de l’accord de Nouméa. Si on commence à discuter de la pertinence des réglementations sur l’environnement, on va ensuite discuter sur d’autres matières et on risque de perturber l’équilibre qui a été trouvé il y a maintenant 35 ans.

C’est finalement, selon moi, assez maladroit d’avoir choisi l’exemple de l’environnement parce que par définition la relation à la nature est un marqueur identitaire. La nature a une place particulière dans l’identité kanak et qui est complètement différente dans les sociétés européennes. Cet exemple n’était pas le plus pertinent à remettre en question.