En décembre 2023, la France a fait un pas de géant dans sa politique de restitution des restes humains. Une loi largement adoptée par les parlementaires facilite désormais la restitution de crânes, d'ossements ou de cheveux aux pays dont ils sont originaires. Dans ce cadre-là, une première étape a été franchie début octobre pour rendre les restes de deux chefs de l'ethnie Sakalava et le crâne du roi Toera, décapité en 1897 par les troupes françaises, à Madagascar, ancienne colonie française.
Sauf que cette loi, imaginée pour réparer la mémoire de l'histoire coloniale française, ne permet pas de restituer tous les restes humains : elle n'encadre que la restitution à des États étrangers. Or, en France, certaines personnes réclament, elles aussi, le retour des restes de leurs ancêtres. C'est le cas des Kali'na de Guyane, un peuple autochtone d'Amazonie. En septembre, une délégation d’une vingtaine d'Amérindiens est venue à Paris pour réclamer le retour des ossements de six Kali'na morts dans l'Hexagone après avoir été exposés au Jardin d'Acclimatation à la fin du XIXe.
Pour la première fois, les descendants de ces six personnes, dont les ossements reposent dans des boîtes grises au Muséum national d'histoire naturelle, ont pu rencontrer leurs aïeux, plus de 130 ans après leur mort. "Nous ne pouvons plus attendre", estime Corinne Toka Devilliers, héritière de Moliko, une des Kali'na exhibés dans la capitale. La Guyanaise veut que les restes reviennent sur leurs terres pour pouvoir organiser leurs funérailles.
Trouver une solution juridique
Sauf que la loi française ne permet pas aux musées et établissements nationaux de rendre ces restes-là, les collections étant inaliénables. Dans la loi adoptée en décembre 2023, le sujet des restes ultramarins avait été remis à plus tard. Une mission de l'État devait être lancée en début d'année pour trouver une solution. Mais rien n'a vraiment avancé. Et les soubresauts politiques de ces derniers mois ont bloqué toute prise de décision sur ce dossier. Or, la loi prévoit qu'un rapport doit être remis au Parlement d'ici la fin de l'année. Le temps presse donc.
Maintenant que le gouvernement de Michel Barnier est installé et que les travaux parlementaires ont repris, le dossier peut de nouveau avancer. Dans un courrier daté du 11 octobre, le chef du gouvernement, reconnaissant "l'enjeu important pour l'apaisement des mémoires", a missionné le député du Loir-et-Cher Christophe Marion (Ensemble pour la République) pour qu'il se penche sur le volet ultramarin de la question des restitutions. "Il est nécessaire d'identifier rapidement une solution juridique appropriée à ces situations", écrit le Premier ministre.
Rapporteur de la loi sur la restitution des restes humains aux pays étrangers en 2023, Christophe Marion connaît déjà bien le dossier. D'ici le 15 décembre, date à laquelle il devra remettre son rapport au gouvernement, l'élu sera donc chargé de "dresser un état des lieux de l'environnement juridique du sujet" et de "proposer (...) des modalités juridiques et procédurales de sortie du domaine public d'éléments de corps humains et de leur remise à des demandeurs".
Jeudi 17 octobre, il recevait l'association Moliko, créée par la Kali'na Corinne Toka Devilliers, à l'Assemblée nationale, pour avancer dans sa mission qu'il doit mener au pas de course. Pendant les deux prochains mois, il devra tenter d'établir quelles modalités s'appliqueront pour restituer des restes humains au sein même de la République. Du jamais fait. C'est pourquoi tout reste à inventer.
Cela "suppose notamment de déterminer les demandeurs habilités à pourvoir aux funérailles, mais aussi de préciser le champ d'application temporel, les méthodes envisageables pour vérifier les filiations, ainsi que les autorités administratives, juridictionnelles ou coutumières qui pourraient intervenir dans la procédure", précise Michel Barnier dans sa lettre.
Identifier les restes
Pour Christophe Marion, le travail autour de la restitution va nécessairement de pair avec un travail d'identification des restes présents dans les collections du pays. "Aujourd'hui, il y a tout un travail de recherche à établir, et de recherche de provenance, précise-t-il. Nous avons beaucoup de restes humains dans nos musées, notamment le Muséum national d'histoire naturelle, mais également dans des réserves d'universités." Pour beaucoup, on ne sait pas d'où ils viennent.
Il cite en exemple l'identification de deux crânes d'esclaves Bushinengué originaires de Guyane. La découverte récente de leur existence s'est faite au détour d'un article scientifique. Ces ossements sont conservés à l'Université de Strasbourg, dans l'Est de l'Hexagone, établissement qui possède énormément de restes humains, mais qui, pour beaucoup, ne sont pas identifiés. "Il faut systématiser le travail de manière à ce qu'on ne découvre plus les choses par hasard", dit le député.
Reçue par le nouveau chargé de mission au Palais Bourbon, Corinne Toka Devilliers salue l'approche du parlementaire sur la question. "C'est une rencontre qui a été importante. Je pense que M. Christophe Marion a compris l'importance de notre démarche."
Après la remise de son rapport, Christophe Marion espère rapidement pouvoir présenter une loi au Parlement. "L'important, c'est de pacifier les mémoires", expose-t-il. "Quel est le but de garder encore des aïeux dans des boîtes grises dans des musées sachant qu'il y a des descendants et tout un peuple qui attend leur retour ?", questionne Corinne Toka Devilliers.