À travers ses trois derniers livres, Jennifer Richard guide ses lecteurs dans le récit d’un pan de "l’impérialisme dont le colonialisme est l’une des facettes", selon ses mots. Dans Notre Royaume n’est pas de ce monde (Albin Michel), son dernier roman paru à la rentrée 2022, elle convoque des personnalités telles que Jean Jaurès, Martin Luther-King ou Patrice Lumumba dans un Olympe imaginaire. Le maître de cérémonie n’est autre qu’Ota Benga, un Pygmée dont elle retrace l’histoire épouvantable. Jennifer Richard livre dans Notre royaume n’est pas de ce monde une fresque foisonnante et documentée dans laquelle apparaissent encore Pierre Savorgnan de Brazza, l’explorateur qui a donné son nom à Brazzaville, Blanche, l’amante cupide et imbécile de Léopold II, ou la missionnaire Alice Harris qui a dénoncé grâce à ses photos les atrocités de la colonisation au Congo belge. Dans #MaParole, la romancière nous parle de son œuvre et nous raconte aussi son parcours marqué par de nombreux voyages Outre-mer.
1 Le rêve américain
Jennifer Richard est née à Los Angeles d’une mère guadeloupéenne et d’un père normand. Quand ses parents se rencontrent en Guadeloupe, à RFO, lui est grand reporter, elle speakerine. Il rêve de faire du cinéma aux États-Unis. Sans parler anglais et sans contacts, ses parents s’installent en Californie. Finalement, ils ouvrent une crêperie à San Francisco et font faillite. La famille part alors à Tahiti, puis à Wallis-et-Futuna. Jennifer Richard, qui doit son prénom à la période américaine de ses parents, se souvient d’une enfance de rêve à Wallis dans #MaParole.
De retour dans l’Hexagone, le couple divorce. Jennifer Richard s’habitue tant bien que mal au froid et à la neige et commence alors pour elle une vie à cheval entre Paris et les Outre-mer. À Paris, elle vit chez son père et pendant les vacances scolaires, elle s’échappe en Guadeloupe, en Guyane, en Nouvelle-Calédonie ou à Mayotte au fur et à mesure des mutations du couple formé par sa mère et son beau-père guyanais. Elle se souvient de ses premières vacances en Guadeloupe durant lesquelles ses grands-parents tuaient le cochon et préparaient eux-mêmes le boudin.
"Pour moi, c’était une opportunité fantastique" de voyager ainsi, raconte-t-elle dans #MaParole. Pendant ses vacances, Jennifer Richard passe beaucoup de temps en compagnie des livres. Elle se souvient en particulier de Week-end à Zuydcoote de Robert Merle que lui avait conseillé son père. Elle apprécie également les romans de Somerset Maugham ou de Graham Greene. Vers l’âge de 7/8 ans, elle tient ses premiers journaux intimes et note ses rêves.
Après le baccalauréat, la future romancière décide de suivre des études de droit comparé à Assas. "Cinq ans de souffrance terrible" dit-elle, dont elle retire toutefois "une rigueur intellectuelle". Elle obtient un master II, mais ne se voit pas du tout passer les concours pour devenir avocate ou magistrate. Elle ne se juge pas au niveau et commence à chercher du travail tous azimuts. Embauchée à M6 comme documentaliste, elle passe une année à chercher des archives et négocier les droits pour des documentaires. Un métier qu’elle continue encore aujourd’hui à exercer.
2 Ota Benga
"Tous les échecs sont des avancées dans la vie", affirme Jennifer Richard dans #MaParole. "Virée de M6 de manière illégale" après une année qu’elle a appréciée, la future romancière se retrouve à chercher du travail, un peu perdue. Un ami de M6 lui parle d’un concours ouvert par les éditions Robert Laffont. Elle décide de participer, écrit la trentaine de pages demandées et passe à autre chose. Entre-temps, grâce à l’ANPE, elle postule pour un travail d’archiviste à la gendarmerie et s’apprête à passer les tests psychologiques quand elle reçoit un appel des éditions Laffont. Elle plaque la gendarmerie pour une résidence d’écriture à l’abbaye de Fontevraud. Et là, le déclic ! Jennifer Roman termine son premier roman, Bleu poussière. L’histoire de Ladislas qui, le jour de ses 20 ans, ivre, rentre chez lui, et bascule dans un autre univers. Il ne retrouve ni son frère, ni sa mère, change d’identité et doit vivre dans la peau d’un autre. Très angoissant pour un premier roman.
Son deuxième livre, publié chez Laffont, Requiem pour une étoile, est également un roman d’anticipation et porte sur un amour impossible. Avec L’illustre inconnu, son troisième livre, Jennifer Richard change de registre. C’est l’histoire de Felix né en 1970, le jour même de la mort de son grand-père dont il porte le prénom. Felix attire le regard et l’attention des autres, tandis que son grand-père passait pour invisible. Mais un jour, le petit-fils découvre dans le grenier des centaines de lettres de son grand-père qui raconte une vie passionnante. Il y est même question d’une île en Polynésie.
Au bout de trois romans, Jennifer Richard, décide de quitter son éditeur, Robert Laffont pour Albin Michel. Et là, elle s’embarque dans une tout autre aventure littéraire. Terminée la science-fiction et le roman pur, Jennifer Richard décide de mener un travail de recherche sur la colonisation en Afrique. Dans son roman Il est à toi, ce beau pays, publié en 2018, elle raconte l’histoire emblématique d’Ota Benga, pygmée d’Afrique centrale, dont la famille a été décimée par la force publique de Léopold II. Acquis par un missionnaire pour l’exposition universelle de Saint-Louis aux Etats-Unis, il est ensuite exposé au Zoo du Bronx à New York dans la cage des primates. Ota Benga met fin à ses jours en 1916.
3 Le royaume
Après Il est à toi, ce beau pays, Jennifer Richard s’intéresse à un personnage absolument épouvantable, un vendeur d’armes enrichi pendant la Première Guerre mondiale, sans aucun scrupule, dénommé Basil Zaharoff. Dans son roman Le diable parle toutes les langues, elle donne vie à ce sinistre individu qui aurait inspiré à Hergé l’un de ses personnages dans Tintin.
Après Le diable parle toutes les langues, la romancière poursuit son enquête sur l’impérialisme dans Notre royaume n’est pas de ce monde. Dans cette grande fresque, elle convoque plusieurs fantômes de l’histoire tels que Malcom X, Thomas Sankara, Rosa Luxembourg. Ils sont quarante au total, précise-t-elle. Elle parle aussi d’une campagne dénonçant les atrocités commises au Congo belge appartenant au roi Léopold II. Elle raconte que cette campagne menée aussi bien en Angleterre qu’en France et aux États-Unis par des intellectuels montrant lors de conférences l’horreur de la colonisation, preuve à l’appui (en particulier des photos de mutilations, de mains et de pieds coupés) a finalement échoué. Certes, le Congo belge a été vendu, oui vendu, à la Belgique par son roi Léopold II, mais les Congolais ont continué à être soumis à un régime de travail forcé inhumain. Côté français ce n’était guère mieux, en 1905, Pierre Savorgnan de Brazza mène une enquête sur place où il constate de nombreuses exactions sur la population locale. Mais son rapport, même édulcoré par des fonctionnaires, est enterré par le gouvernement français jusqu’à ce qu’une historienne, Catherine Coquery-Vidrovitch, ne le redécouvre dans les années 60.
En plus de ses romans historiques, Jennifer Richard écrit pour la jeunesse. Elle a notamment signé Le Chemin de la liberté sur la vie de Booker T. Washington, ancien esclave devenu l’un des plus grands orateurs de son époque et qui, un soir en 1901, sera convié à la table du président Théodore Roosevelt. Jennifer Richard a aussi donné vie pour les enfants à un personnage guadeloupéen dénommé Timothée Pacap. Elle songe à écrire un jour sur la Guadeloupe dont elle est originaire par sa mère, mais pas tout de suite… "Dans quelques années", dit-elle.
♦♦ Jennifer Richard en 5 dates ♦♦♦
►26 aout 1980
Naissance à Los Angeles
►2007
Bleu poussière (Robert Laffont)
►2018
Il est à toi ce beau pays (Albin Michel)
►Janvier 2021
Le diable parle toutes les langues (Albin Michel)
►Septembre 2022
Notre royaume n’est pas de ce monde (Albin Michel)
→Tous les précédents numéros de #MaParole sont téléchargeables sur les plateformes de podcasts suivantes : Apple Podcasts, Spotify, Castbox, Podcast Addict, Sybel, Amazon Music et RadioPlayer France.