L’abandon du mot 'métropole', ou la remise en question d’"une forme de néo-colonisation"

Le débat autour du mot 'métropole' s'inscrit dans une réflexion plus globale sur le statut des Outre-mer, d'après la professeure de linguistique Corinne Mencé-Caster.
Un amendement remplaçant le terme 'métropole' par celui d’'Hexagone' a été voté à l’unanimité à l’Assemblée nationale cette semaine. Si ce changement ne concerne a priori pour l’instant que la loi de programmation militaire, il a fait beaucoup réagir car 'métropole' porte en lui le poids colonial et celui de l’esclavage.

La cité-mère, voilà ce que signifie à l’origine la métropole, mêtropolis en grec ancien. En traversant les siècles, ce mot se dote de nouvelles définitions : capitale administrative d’une province dans la Rome antique, ville pourvue d’un archevêché, ou encore de nos jours ville principale ou capitale régionale.

Mais c’est surtout le sens qui apparaît au XVIIIe siècle qui cristallise les tensions. On le retrouve par exemple en 1748 chez le penseur Montesquieu dans son ouvrage De l’esprit des lois : "Le désavantage des colonies, qui perdent la liberté du commerce, est visiblement compensé par la protection de la métropole, qui la défend par les armes ou la maintient par ses lois."

On retrouve aujourd’hui cette définition dans le dictionnaire :

Métropole : (XVIIIe) État, territoire d’un État, considéré par rapport à ses colonies, aux territoires extérieurs (cf. Mère patrie). Ex : Colon qui rentre en métropole.

Le Petit Robert

C’est cette définition qu’a rappelée le député guadeloupéen Olivier Serva lors de la présentation de son amendement le 23 mai dernier, à l’occasion de l’examen du projet de loi de programmation militaire à l’Assemblée nationale. Un amendement destiné à remplacer le terme 'métropole' par 'Hexagone', et adopté à l’unanimité.

Un ordre "pas totalement aboli"

Utiliser en effet ce mot en 2023 dans des textes de loi pose question, car l’empire colonial n’existe plus depuis 1956, voire 1946 pour la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et La Réunion.

"Il exprime l’idée de domination, celle d’un État sur ses territoires 'extérieurs'. Il souligne le vieux fonds colonial et l’emploi d’'hexagone' à sa place cherche à dissimuler cette réalité", explique ainsi le géographe Jean-Christophe Gay dans un article publié en octobre 2022 sur The Conversation.

L’idée de domination et de colonisation s’accompagne – notamment aux Antilles – de la notion d’esclavage et de déportation, comme le rappelle la Martiniquaise Corinne Mencé-Caster, professeure de linguistique hispanique à la Sorbonne et docteure en sciences du langage.

Pour elle, cet ordre colonial "est quelque part prolongé dans une forme de néo-colonisation" quand on emploie ‘métropole’. "Ce n’est jamais par hasard que l’on maintient un mot. Il dit toujours quelque chose d’un ordre qui ne s’est pas totalement aboli", analyse-t-elle.

Pourquoi maintenant ?

D’après Jean-Christophe Gay, "le terme 'Métropole' est de plus en plus remis en question". Une remise en question qui vient à la fois des sphères intellectuelles et politiques.

Avant le vote à l’Assemblée nationale pour mettre 'Hexagone' à la place de 'métropole' dans la loi de programmation militaire, le Martiniquais Patrick Chamoiseau écrivait dans une tribune publiée sur le site du Monde en septembre 2022 : "Utiliser sans précautions les termes 'outre-mer', 'métropole', 'ultrapériphérie', c’est maintenir actif un paradigme colonial."

D’après la professeure martiniquaise, ce débat sémantique est en fait une facette d’une réflexion plus globale de la place des Outre-mer par rapport à l’Hexagone.  "Je crois que nous sommes à un carrefour où il y a une vraie réflexion sur notre statut, estime-t-elle en faisant référence aux polémiques autour de l’obligation de se faire vacciner pendant le Covid-19, ou à l’appel de Fort-de-France. Il y a une volonté d’être plus autocentré et de pouvoir de prendre des décisions à l’échelle de nos territoires."

"Les mots, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ont une force d’assignation, c'est-à-dire ils nous disent comment nous sommes vus et comment nous acceptons d’être vus, détaille-t-elle. Donc les refuser, c’est revendiquer une nouvelle posture et être dans une logique d’un dialogue où nous serons notre propre centre."

"Les mots ne sont pas innocents"

Malgré le poids colonial qu’il peut porter, le mot métropole est pourtant utilisé sans arrière-pensée colonialiste dans des instituts comme l’Insee qui indique 'France métropolitaine' dans ses rapports pour bien distinguer les données de l’Hexagone de celles des Outre-mer. Il l’est aussi par une partie des Ultramarins : "les étudiants calédoniens en métropole" ont intitulé leur groupe Facebook ainsi ; les sites officiels de la présidence de la Polynésie ou de la région de La Réunion utilisent indifféremment les termes 'métropole' et 'Hexagone'.

Des choix qui s’expliquent par l’histoire de chaque territoire : la colonisation ne fut pas la même dans le Pacifique où il n’y a pas eu de traite ou d’esclavage organisé comme aux Antilles. Des choix qui s’expliquent aussi par la force de l’habitude. Corinne Mencé-Caster fait le parallèle avec une expression : "Lorsqu’on dit qu’une chose est de couleur chair, et qu’on est noir de peau, on a une utilisation inconsciente des mots qui vient d’un usage spontané, non réfléchi." Le mécanisme serait le même pour ‘métropole’.

Pour elle, le fait que les politiques ou intellectuels alertent sur le sens d’un terme permet justement à tout un chacun de prendre conscience "que les mots ne sont pas innocents et qu’ils influent sur notre manière de voir le monde". "Ce n’est pas pour rien qu’il y a tout le temps des néologismes, des réactualisations des mots, ajoute-t-elle. Parce que cela permet de dynamiser la vision des choses et de modifier l’ordre socio-politique."

Des précédents échecs

Changer le mot métropole par Hexagone dans les lois semble donc être l’un des pas qui peut aider à cette prise de conscience. Mais encore faut-il que les demandes aboutissent.

Avant que l’Assemblée nationale ne vote cette semaine pour la substitution de 'métropole' par 'Hexagone', les députés se sont heurtés plusieurs fois à un mur. En avril 2021, dans le cadre du projet de loi sur le Climat, un amendement du même type que celui d’Olivier Serva avait été déposé mais rejeté à une voix près, sous prétexte que "la Corse serait alors considérée comme indépendante du vieux continent" si on utilisait 'Hexagone'.

En mai 2021, une proposition de loi avait aussi été présentée pour que le mot ‘métropole’ soit remplacé par l’expression ‘France hexagonale’ dans la Constitution, sans que cela ne débouche sur une modification pour l’instant.

Révision constitutionnelle ?

Interrogée, la constitutionnaliste réunionnaise Véronique Bertile estime qu’en l’état, la proposition de loi constitutionnelle "a peu de chances d’aboutir" car elle vient des parlementaires et non du gouvernement.

Néanmoins, elle rappelle qu’"une révision constitutionnelle devrait être en chantier avec la situation en Nouvelle-Calédonie". Si celle-ci a bien lieu, "on pourrait tout à fait changer rapidement le mot 'métropole' par 'Hexagone', cela ne coûterait rien", estime-t-elle.

"Ce n’est pas que du symbolique, c’est important, car souvent les changements en droit amène les changements de mentalités", assure-t-elle en citant l’exemple de l’abolition de la peine de mort ou du mariage pour tous. Mais pour elle, plutôt que d’attendre une révision de la Constitution, il serait déjà bien d’arrêter d’utiliser le mot 'métropole' dans les lois.

Ce terme va-t-il donc être banni ? "C’est très difficile de prédire ce qui se passe en termes d’usage linguistique, prévient la docteure en sciences du langage pour qui la réflexion doit aussi concerner le mot 'outre-mer'. Ce qu’on peut dire, c’est qu’à partir du moment où il y a une conscience du poids des mots et de leur idéologie, les usages vont progressivement se modifier. Il faut un certain temps, mais je pense qu’on est dans cette logique-là."