Il était un peu plus de 4h du matin le 22 juin 1962 quand le vol Air France 117 s’écrasa non loin de la commune de Deshaies, en Guadeloupe. Accident ou attentat ? Soixante ans après le drame, certains des proches des 103 passagers et des dix membres d’équipages, tous morts sur le coup, attendent toujours des réponses.
Dans 'La terre comme un poing, les mystères du vol AF117', un documentaire de 70 minutes, Franck Salin revient sur l’histoire du crash. "Pendant plus de 50 ans, on n’a pas pu savoir", indique le réalisateur guadeloupéen, qui rappelle que le rapport d’enquête concernant la catastrophe n’a été déclassifié qu’en 2015. Mais derrière le récit de la nuit du 22 juin 1962, Franck Salin se penche plus largement sur la naissance du mouvement autonomiste aux Antilles et en Guyane.
Elle court, elle court la rumeur
Les conditions météo étaient difficiles ce 22 juin, mais le pilote était expérimenté et l’avion avait été inspecté une semaine avant le drame. De quoi alimenter la thèse de l’attentat. D’autant que le contexte politique est très tendu -une semaine avant, les forces de l'ordre ont réprimé une manifestation à Cayenne- et que le profil de certains passagers interroge.
Parmi les victimes, on compte le Guadeloupéen Albert Béville, alias Paul Niger, écrivain et militant indépendantiste, et Justin Catayée, député de la Guyane et fondateur du parti socialiste guyanais. Quelques jours auparavant, il réclamait un statut spécial d’autonomie pour son territoire devant l'Assemblée nationale, à Paris.
Le rapport concernant le crash a immédiatement été classé secret confidentiel par l’État, ce qui avait suscité beaucoup de colère et de rumeurs d’attentat. Les familles se demandaient pourquoi on leur cachait la vérité.
Franck Salin, réalisateur.
Juste après le drame, les autorités classent le rapport. L'affaire est "confidentielle". De quoi nourrir les doutes.
Zones d'ombre et hommage
Le rapport concernant le crash a été déclassifié en 2015. En novembre 2016, une commission présidée par Benjamin Stora s’empare de ses conclusions et écarte l’hypothèse de l’attentat. L’enquête menée au début des années 1960 concluait à un problème technique : perturbés par les mauvaises conditions climatiques, les instruments de mesure ont cessé de fonctionner. Désorienté, le pilote a dirigé l’avion droit vers la montagne.
"Certains ont accepté les conclusions de la commission Stora, d’autres non, rappelle Franck Salin. Certains rejettent ces conclusions et certaines associations continuent de chercher la vérité, même si leur plus grande action est mémorielle". Des interrogations, auxquelles le documentaire entend répondre, demeurent. Pourquoi l’État français a-t-il classifié le rapport -au risque d’attiser les tensions dans un contexte déjà très tendu- alors que ce dernier retenait la thèse de l’accident ?
Pour son film, le réalisateur a rencontré des membres des familles des disparus, en particulier les proches de Justin Catayée, d’Albert Béville et de l'étudiant martiniquais Georges Tropos. Il a aussi suivi le combat des associations qui militent pour entretenir la mémoire des victimes.
Si le film s’appuie sur de nombreuses archives et des témoignages, une partie de la vie des militants est également reconstituée. 'La terre comme un poing' est une enquête, mais aussi un hommage aux victimes, jusqu'au titre du film, extrait du dernier poème écrit par Albert Béville, 'Belle image'.
Le documentaire propose de découvrir ou de redécouvrir une affaire qui a défrayé la chronique et de plonger dans une époque, celle de la naissance du mouvement autonomiste aux Antilles et en Guyane. "Les actions de ce mouvement ont des échos jusqu’à aujourd’hui. La relation entre l’État français et les départements d’Outre-mer reste à bien des égards conflictuelle, estime le réalisateur. C’est un film historique, et c’est aussi un film d’actualité".