C'est dans une ambiance morose et sous un ciel parisien pluvieux que les députés et leurs collaborateurs ont commencé à faire leurs cartons. En annonçant la dissolution surprise de l'Assemblée nationale dimanche soir, à la suite de résultats peu reluisants pour sa majorité aux élections européennes, Emmanuel Macron a complètement chamboulé la vie politique française. Les parlementaires doivent retourner en campagne express. Leur sort sera scellé les week-ends des 29 et 30 juin (pour le premier tour) et des 6 et 7 juillet (pour le second).
Les manœuvres politiques ont commencé. À droite, le patron des Républicains (LR), Eric Ciotti, a annoncé mardi vouloir s'allier avec le Rassemblement national (RN), plongeant le parti gaulliste dans une crise sans précédent. Plusieurs fédérations départementales ont désavoué l'initiative de leur chef, à l'instar de celle de Mayotte. "Au regard des engagements passés de notre mouvement, notamment de nos anciens leaders comme Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy, qui ont toujours invité à ne pas composer avec les extrémistes, je ne pense pas que [cette alliance] soit une très bonne idée", a réagi son président, Abdoul Kamardine.
La Nupes ressuscitée
Tandis que la droite se déchire, la gauche, elle, a mis de côté ses désaccords pour partir plus forte dans ces législatives imprévues. Elle le sait : il n'y a qu'en s'unissant qu'elle pourra peser dans le prochain Parlement, et, espère-t-elle, faire barrage au RN, alors que l'extrême droite n'a jamais été aussi proche du pouvoir.
Lundi, dans la soirée, les quatre partis politiques qui s'étaient alliés au sein de la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (Nupes) en 2022 ont décidé de s'unir à nouveau. Ils ont acté la constitution d'"un nouveau front populaire". "Dans chaque circonscription, nous voulons soutenir des candidatures uniques dès le premier tour. Elles porteront un programme de rupture détaillant les mesures à engager dans les 100 premiers jours du gouvernement du nouveau front populaire", écrivent les Écologistes (EELV), la France insoumise (LFI), le Parti communiste (PCF) et le Parti socialiste (PS) dans un communiqué. L'alliance a aussi été signée par Place publique, Génération·s et le GRS.
Avant les élections, les gauches doivent désormais s'accorder sur un programme commun, mais aussi sur le nom des candidats qui porteront les couleurs du "Front populaire". Mercredi, le mouvement a trouvé un accord sur la répartition des circonscriptions entre chaque parti : LFI présentera 229 candidatures, le PS, sorti renforcé des Européennes, en aura 175, EELV 92, et le PCF 50. Seules manquent à l'appel 31 circonscriptions : les 27 d'Outre-mer, et les 4 de Corse.
"C'est en train d'être discuté"
Pourquoi les législatives ultramarines ne sont-elles pas comprises dans l'accord "Front populaire" ? En 2022 déjà, la Nupes ne s'était appliquée que dans l'Hexagone. En Outre-mer et en Corse, les élections législatives sont avant tout locales, avec des partis que l'on ne retrouve pas à l'échelle nationale. Difficile, donc, d'appliquer l'alliance PS-EELV-LFI-PCF dans ces territoires.
Mais la Nupes ne s'était pour autant pas complètement effacée des batailles législatives ultramarines. Pour le second tour, la gauche avait apporté son soutien à certains candidats. D'ailleurs, la plupart des députés ultramarins élus avaient par la suite siégé au sein d'un des quatre groupes de la Nupes. Mais ce n'était pas le cas de tous : par exemple, le Guadeloupéen Olivier Serva, soutenu par la gauche, avait rejoint le groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT) après son élection.
Pour ces législatives 2024, dont le premier tour se tiendra dans moins de trois semaines, les parlementaires ultramarins de gauche sont toujours dans l'attente. "On ne sait pas", souffle un élu d'Outre-mer, occupé à remballer ses affaires avant de repartir en campagne. "C'est en train d'être discuté", assure le collaborateur d'un autre.
Mardi après-midi, les élus du groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR), qui compte un gros contingent de Polynésiens, de Réunionnais, de Martiniquais et de Guyanais, se sont réunis pour évoquer, entre autres sujets, l'application de l'accord dans les territoires ultramarins. Mais rien n'a encore été arrêté. "J'espère que le principe va s'appliquer en Outre-mer", avance Marcellin Nadeau, député sortant de Martinique.
Des gauches plurielles en Outre-mer
L'hypothèse la plus probable est que le nouveau "Front populaire" apporte son soutien aux députés sortants qui siégeaient au sein de la Nouvelle union populaire, écologique et sociale et qui se représentent pour un nouveau mandat de cinq ans. Beaucoup ont déjà annoncé leur candidature. Mais l'équation peut s'avérer complexe, les gauches locales étant diverses et variées. Et pas souvent prêtes à s'allier.
Dans certains territoires, le soutien à certains candidats devrait se faire assez naturellement. Par exemple, les candidats du Tavini, le parti indépendantiste polynésien, dont les trois députés siégeaient au sein de la gauche parlementaire avant la dissolution de l'Assemblée, seront très certainement inclus dans l'alliance.
Dans d'autres cas, où la gauche est beaucoup plus divisée, les investitures seront un casse-tête. À La Réunion, par exemple, deux gauches s'affrontent régulièrement lors des scrutins locaux : celle de la présidente du conseil régional, Huguette Bello (Pour La Réunion, allié à LFI), et celle de l'ancienne ministre des Outre-mer sous François Hollande, Ericka Bareigts (Parti socialiste). Selon Réunion la 1ère, une rencontre devait se tenir mercredi entre les deux mouvements pour voir si un arrangement était envisageable.
Pareil en Martinique, où deux députés sortants sont issus de Péyi-A, un autre du Parti progressiste martiniquais (PPM), et un autre est sans étiquette. Localement, ces différentes branches de gauche sont opposées. Accepteront-elles, dans le cadre du "Front populaire", de présenter un candidat commun aux législatives ? Rien n'est encore décidé. Pareil en Guadeloupe ou en Guyane.
La percée du RN en Outre-mer
À première vue, la question de l'union des gauches dans les territoires d'Outre-mer n'est pas non plus urgente car l'extrême droite, même si elle gagne du terrain lors des scrutins nationaux, n'y a pas encore percé à l'échelle locale. En 2022, la gauche avait remporté presque l'ensemble des 27 sièges ultramarins, malgré l'absence d'union.
Mais est-ce que ce sera toujours le cas lors de ces élections législatives anticipées ? Le RN, sorti vainqueur des Européennes, s'impose de plus en plus dans les territoires d'Outre-mer. En 2022, un candidat soutenu par Marine Le Pen, Rody Tolassy, avait même réussi à se hisser au second tour des législatives en Guadeloupe. Il a été battu de peu par le député sortant, Max Mathiasin. Mais il n'est pas impossible que le parti de Jordan Bardella améliore son assise électorale lors de ce scrutin que personne n'avait réellement anticipé.
Autre questionnement : l'union des gauches actée à Paris va-t-elle tenir nationalement ? Déjà, des dissensions émergent entre La France insoumise et les socialistes plus modérés, comme Raphaël Glucksmann. Arrivé en troisième position aux Européennes, mais en tête à gauche, l'eurodéputé a minimisé la portée symbolique du "Front populaire", ne parlant à ce stade que d'un projet d'accord.
L'élu Place publique a même évoqué l'idée d'étendre l'union de la gauche aux députés LIOT, un groupe un peu plus centriste à l'Assemblée nationale, et dont quelques-uns de ses membres sont originaires des territoires ultramarins. Les autres partis de gauche accepteront-ils ? Les partis ont jusqu'à dimanche 16 juin pour déposer les candidatures. D'ici là, des discussions locales et nationales devront préciser les contours du "Front populaire". Une chose est sûre : l'équation des gauches s'annonce compliquée, à Paris comme en Outre-mer.