Un vote sous tension en Nouvelle-Calédonie, une extrême-droite raffermie dans l'ensemble des territoires ultramarins, et surtout une abstention monstre, à faire pâlir les plus grands démocrates... En Outre-mer, comme lors du scrutin de 2019, le constat au lendemain des élections européennes reste le même : à la fin, c'est le RN et l'abstention qui l'emportent. Et très largement. La majorité présidentielle, déjà bien affaiblie à l'échelle nationale, l'est encore plus dans les territoires ultramarins. Voici ce qu'il faut retenir du scrutin européen dans les territoires ultramarins.
-
Un scrutin boudé par les électeurs
Ils étaient près de 2 millions d'Ultramarins appelés à élire les nouveaux représentants français au Parlement européen. Mais seule une petite poignée d'entre eux ont fait le déplacement samedi et dimanche pour glisser un bulletin dans l'urne, faisant des territoires d'Outre-mer les mauvais élèves de ce scrutin.
Au total, à peine 360.000 personnes ont voté dans l'ensemble des 11 départements, régions et collectivités ultramarines, soit une abstention pharaonique de 82 %. Un taux tout sauf anecdotique dans ces territoires où le sentiment de déconnexion vis-à-vis de Bruxelles, mais aussi de Paris, grandit de plus en plus. En comparaison, un électeur sur deux s'est rendu dans les urnes dans l'Hexagone.
C'est en Guyane que l'élection a le moins mobilisé : 90,65 % des citoyens inscrits sur les listes électorales n'ont pas exprimé leur voix. "Je ne suis pas Européen, je suis Guyanais", avait tout bonnement lâché un passant à Guyane la 1ère, justifiant son désintérêt pour ce scrutin. Ce n'est pas le seul. En Martinique (87,68 %) et en Guadeloupe (86,75 %), les taux d'abstention s'approchent des records des Européennes de 2014 (qui étaient respectivement de 88,58 % et 90,74 %).
En Nouvelle-Calédonie, où le scrutin s'est déroulé dans un contexte tendu, l'abstention a dépassé les 86 %. Tout comme en Polynésie. Des taux surprenants pour ces collectivités qui, avec Wallis et Futuna, votent généralement plus que les autres territoires d'Outre-mer. Mais, depuis dix ans, l'intérêt pour les élections européennes semble s'y estomper.
-
L'extrême-droite, premier parti en Outre-mer
De Pointe-à-Pitre à Mamoudzou, de Saint-Pierre à Saint-Denis, de Cayenne à Mahina, l'extrême-droite s'est largement imposée dans les territoires ultramarins. Déjà, en 2019, le Rassemblement national avait fait une percée historique, arrivant pour la première fois en tête dans les Outre-mer.
Trois ans plus tard, lors de la présidentielle de 2022, rebelote : les Ultramarins n'avaient pas hésité à glisser massivement le nom de Marine Le Pen dans l'urne, voulant à tout prix éviter la réélection d'Emmanuel Macron.
Jordan Bardella, président du RN, a donc surfé sur cette nouvelle assise électorale ultramarine. Pendant la campagne, Marine Le Pen et lui-même se sont rendus en Guadeloupe, en Martinique, à Mayotte, à La Réunion... Une stratégie qui a payé.
Le candidat eurosceptique est arrivé en tête (et parfois très largement) dans 6 des 11 territoires d'Outre-mer. C'est notamment le cas à Mayotte, où, avec 52,40 % des suffrages, il fait mieux que Marine Le Pen lors du premier tour de la présidentielle 2022 (42,68 %). C'est aussi le cas à Saint-Barthélemy (34,97 %), à La Réunion (31,71 %), en Guadeloupe (30,05 %), en Guyane (25,62 %) et à Saint-Pierre et Miquelon (25,61 %).
Le pourcentage de voix obtenues par le RN a globalement augmenté dans les Outre-mer entre 2019 et 2024, avec une forte poussée à Mayotte et en Guadeloupe. Étonnamment, Jordan Bardella a aussi réalisé des gains électoraux à Wallis et Futuna et en Polynésie, des terres qui votent rituellement pour les partis traditionnels. Dans la commune de Mahina, au nord de Tahiti, la liste RN est même arrivée en première position, juste avant celle de la majorité présidentielle. Une exception polynésienne notable.
En Nouvelle-Calédonie, en revanche, Jordan Bardella a vu son score baissé... mais celui de l'extrême-droite a quand même progressé. Car un grand nombre d'électeurs et d'électrices a décidé de voter pour la liste Reconquête de Marion Maréchal, qui y fait un de ses meilleurs scores en France avec 16 % des suffrages, alors que la candidate n'a reçu que 5,5 % des voix à l'échelle nationale. Cumulées, les deux candidatures d'extrême-droite ont donc remporté 37,72 % des votes calédoniens. Un score inédit dans l'archipel où les débats sur le dégel du corps électoral et le statut du territoire dans la République se sont récemment tendus.
-
Une défaite cinglante pour la majorité présidentielle
"Tout sauf Macron". Ce slogan résume à lui seul l'attitude politique des Ultramarins, qui, depuis 2017, font montre d'une défiance inédite envers le pouvoir en place. Il faut dire que le mouvement des gilets jaunes et la crise sanitaire sont passées par là. Scrutins après scrutins, la majorité présidentielle essuie des revers considérables en Outre-mer.
Les élections européennes de 2024 n'y font pas exception : dans la plupart des territoires, Valérie Hayer, la candidate investie par Renaissance et ses alliés, n'obtient qu'une pénible troisième ou quatrième place. À Mayotte et à La Réunion, où son concurrent du Rassemblement national s'est largement imposé, elle ne dépasse même pas la barre des 10 %.
Il n'y a qu'à Saint-Martin et en Nouvelle-Calédonie que la majorité présidentielle augmente considérablement son score. Sur le Caillou, la liste soutenue par Emmanuel Macron a clairement bénéficié de la position sans équivoque de l'exécutif sur le dossier calédonien. Les non-indépendantistes, qui se sont largement mobilisés comparé aux indépendantistes, ont sanctionné positivement le camp présidentiel.
Partout ailleurs, la liste Renaissance baisse, voire s'effondre. C'est notamment le cas à Wallis et Futuna (-10,5 points), à Saint-Barthélemy (-11 points), en Guyane (-6,1 points) et en Guadeloupe (-4,24 points).
-
Une gauche impuissante
Sans connaître une déroute, le bilan électoral de la gauche en Outre-mer est en demi-teinte. Un seul territoire a placé Manon Aubry, la candidate La France insoumise (LFI), en première position : la Martinique, avec 18,64 % des voix. Mais elle est talonnée par son concurrent d'extrême-droite, Jordan Bardella, qui a recueilli 17,98 % des suffrages martiniquais.
LFI parvient néanmoins à décrocher le titre de deuxième parti politique en Outre-mer, avec près de 53.700 votes, soit près de 15 % des suffrages. Bien placée dans les quatre DROM historique (Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion), où Jean-Luc Mélenchon était arrivé en tête lors du premier tour de l'élection présidentielle de 2022, la liste d'extrême-gauche est cependant concurrencée par celle, plus modérée, de Raphaël Glucksmann (Parti socialiste - Place publique, PS-PP), qui a attiré plus de 33.000 voix. Mais, malgré sa troisième place à l'échelle nationale, au coude-à-coude avec la liste Renaissance, la liste PS-PP a très peu convaincu les Ultramarins.
Si l'on cumule les suffrages obtenus par Manon Aubry (LFI), Raphaël Glucksmann (PS-PP) et Marie Toussaint (EELV), la gauche cumule plus de 100.000 voix en Outre-mer, soit le double du score de la majorité présidentielle. Mais ce n'est pas suffisant pour dépasser les listes d'extrême-droite : ensemble, le Rassemblement national et Reconquête comptent près de 120.000 voix.
À l'aune des élections législatives anticipées, qui doivent se dérouler les 29 et 30 juin et les 6 et 7 juillet, c'est sans conteste un paysage politique protestataire qui se dessine dans les territoires d'Outre-mer. Cette contestation a deux visages. Celui du désintérêt total pour les élections, comme le prouve les taux d'abstention. Ou celui du vote sanction, en mettant dans l'urne le nom de candidats antisystèmes, comme Jordan Bardella ou Manon Aubry. Le lien de plus en plus distendu entre les territoires ultramarins et l'Hexagone sera difficile à renouer.