Huit des dix territoires ultramarins ont vu leur taux de participation augmenter entre le premier tour des législatives de 2022 et de 2024. La Martinique passe par exemple de 21,5 % de participation lors du premier tour des législatives de 2022, à 31,2 % ce dimanche. Une hausse de près de 10 points. Certains, comme la Nouvelle-Calédonie, ont même vu leur taux de participation exploser de 27 points. Malgré cette hausse, les taux de participations en Outre-mer restent pour la plupart bien en dessous de la moyenne nationale. Pourquoi vote-t-on moins en Outre-mer que dans l'Hexagone ?
Éloignement électoral
"Les raisons sont différentes d'un endroit à un autre" estime dans un premier temps la politologue réunionnaise Françoise Vergès. En Guyane par exemple, seuls 32,3 % des électeurs se sont déplacés aux urnes pour le premier tour de ces législatives anticipées. "La Guyane, c'est très grand. Quand on va vers l'ouest, il y a des petits villages où il n'y a pas beaucoup de bureaux de vote, les informations arrivent bien plus tard." L'éloignement est donc la première hypothèse de la moindre mobilisation pour la chercheuse réunionnaise. En plus d'être électoral, l'éloignement est aussi politique, explique-t-elle. "Les Outre-mer se sentent de moins en moins concernés par la politique nationale. Il nait donc un sentiment que des élections nationales ne les concernent pas."
Une hypothèse portée aussi par la politiste et historienne martiniquaise Audrey Célestine. "Ça nous dit quelque chose du rapport distant que peuvent entretenir une grande partie des citoyens par rapport à la politique en général, à la position de l'État", estime la professeure à l'Université de New-York.
Il y a une forme d'absence de croyance dans le fait que la politique peut vraiment faire quelque chose pour vous.
Audrey Célestine - Professeure à l'Université de New York
Elle ajoute aussi les conditions socio-économiques des populations ultramarines, qui expliquent que certaines personnes restent éloignées du vote. "Vous avez les mêmes raisons pour lesquelles l'abstention est aussi élevée en France hexagonale. Mais avec un niveau de relégation plus élevé, le chômage est aussi plus fort et le niveau de diplôme plus faible."
Le spectre du Rassemblement national
Les enjeux nationaux se sont aussi reportés dans les urnes en Outre-mer. "Les enjeux étaient fortement amplifiés, dramatisés, en raison de la possibilité assez forte de la présence au second tour du Rassemblement National. Ça a été un élément mobilisateur dans l'ensemble du pays, y compris dans ces territoires", analyse Audrey Célestine. Un point que l'historienne réunionnaise Françoise Vergès appuie : "Nos sociétés ont connu l'esclavage, elles savent ce que c'est que d'être dirigés par des racistes."
Un spectre qui se poursuit dans la campagne de l'entre-deux-tours. À La Réunion, sept candidats RN se sont qualifiés pour le second tour, une première. "Cet enjeu peut mobiliser des deux côtés, juge Audrey Célestine. À la fois ceux qui ne veulent absolument pas du RN, et les militants ou sympathisants galvanisés par le fait qu'on n'a jamais autant voté pour l'extrême droite dans certains territoires."
+15 points à La Réunion, +27 en Nouvelle-Calédonie
Les électeurs des sept circonscriptions réunionnaises se sont, eux aussi, beaucoup plus mobilisés qu'en 2022, faisant passer la participation de 30,5 % à 45,5 % sur l'île. Quinze points supplémentaires qui s'expliquent simplement pour Philippe Fabing de l'institut réunionnais SAGIS : "Il y a au-delà des motifs du national, l'influence d'une municipalisaton importante dans certaines circonscriptions et donc d'un scrutin qui a mélangé des enjeux locaux et nationaux." Certains candidats avaient en effet en ligne de mire les élections municipales de 2026, qui mobilisent toujours plus que les scrutins nationaux.
Autre surprise, la Nouvelle-Calédonie. Les électeurs se sont réunis en masse : 27 points de plus qu'au premier tour des législatives de 2022. Les violences et le contexte politique perturbé sur l'archipel ont également ajouté de l'enjeu local au scrutin considéré comme national partout ailleurs. "Le contexte influe toujours ce qui se joue pendant une élection, insiste Audrey Célestine. En Nouvelle-Calédonie, c'est assez évident. On est dans un contexte de crise depuis plusieurs semaines donc nécessairement ce contexte joue. La situation de crise a un effet mobilisateur sur les électeurs de Nouvelle-Calédonie."
Les bons taux de participation se maintiendront-ils dimanche à l'occasion du second tour du scrutin ? Pour la chercheuse martiniquaise, les bons scores des députés sortants au premier tour auront peut-être un " petit effet démobilisateur", aux Antilles notamment. "A priori les gens vont quand même continuer de se mobiliser parce que la campagne est quand même intense et les gens qui votent suivent ce qui se passe au niveau national" conclut-elle.